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Dossier

Art & Craft. Artisanat et culture populaire

Thibault Scohier
Critique culturel et membre de Culture & Démocratie

31-05-2021

Le travail de William Morris, poète, écrivain, conférencier, dessinateur et artisan britannique, a marqué durablement le mouvement ouvrier anglais jusqu’au XXe siècle. Il défendait une société utopique où l’artisanat serait devenu pour toutes et tous une pratique de l’art au quotidien. Cette courte présentation de l’homme et de ses idées complète notamment l’article de Joël Roucloux, «OUT & HIGH. Quelques clefs sur la question du populaire dans les arts plastiques».

« L’art est l’expression de la joie que l’homme tire de son travail. » Voilà une citation qui peut résumer la pensée de William Morris (1834-1896). Poète, écrivain, conférencier, dessinateur et encore, entre autres choses, artisan britannique, il semble avoir vécu plusieurs vies. Rencontrant d’abord le succès avec ses poèmes romantiques, il rejoint et anime ensuite le mouvement Art & Craft dont le credo – une rencontre entre l’art et les objets de la vie courante – le marquera durablement. Dans les années 1870 il participe également à la diffusion des idées socialistes en Angleterre. On mesure peu, dans le monde francophone, l’impact de ses écrits et de ses conférences sur le mouvement ouvrier anglais, même au XXe siècle.

William Morris critiquait à la fois le capitalisme, comme système inégalitaire et immoral, et la modernité technique, comme une source de destruction de la beauté et d’un rapport au monde direct et non-artificiel. L’originalité de ses théories politiques et esthétiques réside dans cette confluence ; l’une n’étant pas dissociable de l’autre. Ainsi son socialisme devait être une société utopique où les humain·es produisent des œuvres et où l’artisanat serait devenu pratique de l’art quotidien ; de la même manière, la beauté ne doit être préservée et cultivée que si elle est accessible au plus grand nombre et non spoliée par une élite (qui ne la mérite souvent pas).

Lorsqu’il fonde en 1877 la Society for the Protection of Ancient Building ce n’est pas uniquement dans un but de sauvegarde pour une humanité désincarnée mais pour tout un·e chacun·e et en mettant fortement en avant le rôle des artisan·nes et des ouvrier·ères à l’origine des architectures anciennes.

Si le peuple est sans aucun doute idéalisé chez Morris, et que celui-ci navigue allégrement entre progressisme (des droits) et conservatisme (des valeurs), on trouve chez lui une philosophie politico- esthétique solide, dont le but est de faire de tout travail une activité artistique. Chez Morris le beau n’est pas uniquement une valeur héritée mais l’expression du bonheur de celui·celle qui crée ou fabrique. Et tous les objets du quotidien, tout ce que les sens peuvent rencontrer dans la vie courante, mérite d’être pensés et ouvragés pour transmettre ce bonheur. On trouvera, le siècle suivant, en George Orwell un héritier assez flagrant de Morris ; l’auteur de 1984 essayant lui aussi, avec d’autres moyens, de réconcilier l’art, le socialisme et le peuple.

De William Morris, on peut lire en français : Contre l’art d’élite, Hermann, 1985 ; L’âge de l’ersatz et autres textes contre la civilisation moderne, L’encyclopédie des nuisances, 1966 ; L’Art et l’Artisanat, Rivage, 2011 ou encore Comment nous vivons et comment nous pourrions vivre, Rivage, 2013.

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