Benjamin Monteil
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Vents d’ici vents d’ailleurs

À grandes enjambées

Julie Chemin, Thibaut Georgin, Marie Godart, Sophie Verhoustraeten

19-11-2021

Née en pleine crise sanitaire, les Grandes Enjambées est une proposition citoyenne sous forme de randonnées-débats pour cheminer collectivement autour de questions-clés en invitant tous azimuts celles et ceux qui cherchent une nouvelle boussole sociétale. En amont, une question à défricher en intelligence collective et plurielle. En aval, le vœu que ces journées ressourçantes donnent lieu à d’innombrables métamorphoses concrètes au niveau individuel, collectif, local, régional, national. Voici un petit lexique pour en savoir davantage sur cette initiative.

Paysage

Mars 2020. Ce qui était impensable quelques semaines plus tôt prend forme sous nos yeux ébahis : le monde entier se met en pause pour offrir à un virus le moins d’hotes·ses possibles. Nous sommes alors loin d’imaginer que plus d’un an plus tard, la vie humaine serait toujours rythmée par les mesures sanitaires. Comme pour de nombreux·ses autres citoyen·nes, ces mois inédits nous offrent à penser, à lire, à écouter, à prendre la juste mesure des crises en cours (économique, sociale, migratoire, environnementale…). Dans ce paysage apparaissent rapidement de nombreuses initiatives. Deux parmi elles nous inspirent alors particulièrement.

Tout d’abord, le Plan Sophia, qui réunit dès mars 2020 plus de 100 contributeur·ices d’expertises et de secteurs divers (économie, mobilité, santé, agriculture, emploi, éducation, culture, transition intérieure, coopération, etc.) afin de rédiger un plan de relance pour la Belgique, comportant plus de 200 propositions concrètes. C’est à l’occasion de sa rédaction que les membres de l’équipe des Grandes Enjambées se rencontrent.

Quelques mois plus tard, Le grand tour, proposé conjointement par le Festival de Chassepierre, Latitude 50 (pôle des arts du cirque et de la rue) et Mars (Mons arts de la scène). Douze jours de randonnée-débat, sur 200 km, de Chassepierre à Marchin puis à Mons. Chaque jour, une question liée à la place de l’art et de la culture dans nos sociétés, un·e artiste complice et une mise en commun festive des réflexions. Cette proposition à la forme hybride et dynamique nous séduit énormément. On sent qu’il y a quelque chose de pertinent à profiter des contraintes sanitaires pour inventer de nouvelles façons d’être là.

Nouvelle boussole

Et si on enjambait les râleries, les nouvelles déprimantes, les résignations ? Et si on enjambait le récit hypnotisant de la sphère médiarchique et qu’on en inventait de nouveaux ? Et si on enjambait les frontières, les clivages sectoriels, les habitudes aliénantes ? Et si on se rejoignait à grandes enjambées ?! Pour partager les outils, les idées, les élans, les énergies, pour joindre nos pratiques, en sentir la riche pluralité, les essences communes, les complémentarités. On a répondu OUI ! Et ainsi, sont nées les Grandes Enjambées.

Balises

Les Grandes Enjambées, ce sont donc des randonnées-débats pour changer de cap. Chaque édition s’articule autour de quelques balises essentielles : une question à débattre au moyen des outils de l’intelligence collective, un lieu inspirant et pionnier dont nous faisons la visite et rencontrons l’équipe, une surprise artistique, des expériences kinesthésiques et sensitives, ainsi que la captation de traces écrites, sonores et photographiques qui sont ensuite mises en ligne et accessibles à toutes et tous.

Les questions que nous choisissons d’aborder sont transversales, elles concernent les communs, nous concernent tou·tes, quels que soient notre métier, notre lieu de vie, notre âge ou nos convictions politiques.

Biodiversité

Lorsque nous invitons des personnes à participer à une Grande Enjambée, nous cherchons à diversifier au maximum les profils des enjambeurs et enjambeuses du jour (le vécu professionnel, le milieu social, l’engagement militant, l’âge, etc.). Notre désir est de pouvoir mettre en valeur les différences, leurs complémentarités, leurs interdépendances. En veillant à des échanges les plus horizontaux possibles, sans hiérarchie entre pivoines, orties et pissenlits.

Chemins de traverse

Nous profitons de ces moments de rencontre pour quitter les grandes artères et découvrir d’autres sentiers, moins empruntés, plus singuliers. Le système économique et social dominant cache de très nombreuses pratiques et organisations différentes. Sur le parcours d’une Grande Enjambée, nous allons à la rencontre d’un lieu et de son équipe pour découvrir comment ces hommes et ces femmes tentent de répondre aux défis sociétaux de notre époque. Écouter avec curiosité, se laisser toucher voire même inspirer par ces défricheur·ses actif·ves dans un moment de rencontre privilégiée.

Échos

À chaque Grande Enjambée nous nous associons à un·e artiste. À différents moments de la randonnée, la matière artistique vient résonner à l’orée d’une forêt, au seuil d’une conversation animée, au coin d’une rue. Nous ne demandons pas à l’artiste de proposer quelque chose en lien direct avec la question du jour. Mais comme toute la journée s’articule autour d’un thème, les liens se font spontanément et différemment pour chacun·e.

À ces propositions artistiques viennent également se joindre des moments « waw ! » où l’on s’émerveille quelques instants d’une odeur, de la beauté d’un paysage, de la douceur du sol sous nos pas, de la pluie rafraichissante. Ces moments corporels et sensitifs font partie intégrante du cheminement de la journée. Ils nous relient au sensible, au vivant, à tou·tes les vivant·es. Ils offrent une incarnation aux idées. Ils sont l’une des clés pour régénérer notre créativité et nos idées.Sherpa

Pour préparer et guider ces Grandes Enjambées, nous sommes une petite équipe plurielle et riche de nos différents profils. Julie est musicienne et pédagogue. Thibaut est ingénieur et travaille dans le milieu des entreprises. Marie est accompagnatrice de projets collaboratifs à impacts positifs. Sophie est coordinatrice de projets au sein d’une structure culturelle jeune public.

D’autres citoyen·nes nous ont déjà rejoint·es pour enrichir de leur regard, de leurs pratiques et de leurs communautés le projet des Grandes Enjambées : des journalistes, des travailleur·ses des Arts, des entrepreneur·ses engagé·es dans les valeurs de la transition écologique et sociale, une revue sonore qui nous propose d’éditer les capsules audio qui pourront surgir des Grandes Enjambées, une association facilitant la recherche et l’éducation aux économies responsables et solidaires.

Cartographie

Notre page collecte les traces de chaque édition des Grandes Enjambées. Au fil des mois, les itinéraires, les échanges, les propositions concrètes, les projets en cours y trouveront un espace pour témoigner des transformations, dans la réalité des terrains de notre pays, au-delà des frontières linguistiques. Les Grandes Enjambées sont une invitation à faire récit ensemble des métamorphoses engagées par nous tou·tes !

Pas à pas

À l’heure d’écrire ces mots, nous avons déjà expérimenté une première Enjambée au mois de juin dernier et nous apprêtons à en vivre deux en septembre, l’une à Gand, co-organisée avec l’équipe de Re-Story, et l’autre à Louvain-la-Neuve dans le cadre du festival Maintenant.

Ces trois premières éditions sont une phase de recherche collective et joyeuse. Une façon de préciser le projet, d’en tester la viabilité, les limites, les faiblesses, les (im)pertinences.

L’expérience du mois de juin est plus qu’encourageante : nous étions 28, rassemblé·es autour de ce que signifie la transition. Cette thématique, très large, était une manière assez douce d’entrer en action. Elle a été l’occasion d’expérimenter sur le terrain les rouages de notre petite équipe et la combinaison de nos énergies (nous ne nous connaissions pas il y a quelques mois !). Cette première Grande Enjambée nous a permis aussi de rencontrer des associations et des citoyen·nes, devenu·es depuis des partenaires. Elle nous a égale- ment confronté·es à une série de questions dont nous ne connaissons pas encore les réponses : comment pourrons-nous poursuivre ce projet sur le long terme si nous ne trouvons pas de source de financement ? Comment réussirons-nous à réunir des publics qui ne sont pas déjà sensibles à la question de la transition ? Oserons-nous nous confronter à des questions qui fâchent, qui font trembler, qui donnent le vertige, ou resterons-nous prudent·es, à la lisière de celles-ci ? Comme nous ne pourrons pas tout embrasser, qu’allons-nous choisir comme axe principal pour les Grandes Enjambées ?

Une chose est certaine : la route s’annonce passionnante et pleine d’inattendus !

Horizons (à la belle étoile)

Les Grandes Enjambées sont un outil dont chacun et chacune peut s’emparer. Il nous importe de le construire comme tel. Nous rêvons de créer un site sur lequel seraient rassemblées les traces de ces enjambées multiples, permettant d’inspirer à leur tour d’autres citoyen·nes. Nous serions très heureux·ses d’apprendre qu’une Grande Enjambée s’organise au sein d’une entreprise, d’un quartier, d’une école, d’une commune, pour mettre en lien ses différent·es membres.

Nous rêvons aussi d’organiser des Grandes Enjambées pour des élèves d’écoles secondaires, auxquel·les nous ferions découvrir des réseaux professionnels et modes d’organisation alternatifs à proximité de chez eux·elles. Augmenter la visibilité de projets positifs, porteurs de sens, afin de stimuler cette façon-là de prendre part au monde chez les jeunes adultes.

Face à la montagne de défis qui nous attendent (le rapport du GIEC ne laisse plus aucun doute là-dessus), les Grandes Enjambées encouragent à leur façon les communautés humaines à se refaire confiance, à se retrousser les manches et à prendre part activement et joyeusement au monde.

Au plaisir de marcher à vos côtés lors de prochaines Grandes Enjambées !

 

Image : © Benjamin Monteil

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