APPROCHES sans DISTANCES

Paul Biot

Formateur en droits culturels
Fédération du théâtre-action
Culture & Démocratie (Plateforme d’observation des droits culturels)

29-09-2021

Une formation aux droits culturels par visioconférence a été expérimentée à deux reprises dans le cadre d’un partenariat entre la Fédération du Théâtre-Action et La Concertation ASBL-Action culturelle bruxelloise, avec la collaboration de membres de l’Association Marcel Hicter pour la démocratie culturelle et d’Article 27. Les participant·es, réuni·es en deux sessions de quatre demi-journées chacune, membres de La Concertation, sont pour la plupart des travailleur·ses de Centres culturels de la Région bruxelloise mais aussi de la Maison de la Poésie, de Vidéo-Nomade, des Nouveaux disparus, 68 Septante asbl… Une formation avec distance « technique » autour d’une table virtuelle imposée par les mesures de confinement à laquelle va impérativement s’adapter la formation. Car, modelée autant par ces contraintes que par les nombreuses interrogations induites par le décret de 2013 relatif aux centres culturels, existe en matière de droits culturels une autre distance, symbolique celle-là, que synthétise abruptement un participant : « qu’est-ce que la culture a à faire avec le droit » ? C’est cependant à une distance d’une autre nature, celle qui sépare les matières sociales et culturelles, que doit d’être née la formation « Approche des droits culturels ».

Une APPROCHE des DROITS CULTURELS dans une formation expérimentale « en distanciel »

Une formation aux droits culturels par visioconférence a été expérimentée à deux reprises dans le cadre d’un partenariat entre la Fédération du Théâtre-Action et La Concertation ASBL-Action culturelle bruxelloise, avec la collaboration de membres de l’Association Marcel Hicter pour la démocratie culturelle et d’Article 27.

Les participant·es, réuni·es en deux sessions de quatre demi-journées chacune, membres de La Concertation, sont pour la plupart des travailleur·ses de Centres culturels de la Région bruxelloise mais aussi de la Maison de la Poésie, de Vidéo-Nomade, des Nouveaux disparus, 68 Septante asbl…

Une formation avec distance « technique » autour d’une table virtuelle imposée par les mesures de confinement à laquelle va impérativement s’adapter la formation.

Car, modelée autant par ces contraintes que par les nombreuses interrogations induites par le décret de 2013 relatif aux centres culturels, existe en matière de droits culturels une autre distance, symbolique celle-là, que synthétise abruptement un participant : « qu’est-ce que la culture a à faire avec le droit » ?

C’est cependant à une distance d’une autre nature, celle qui sépare les matières sociales et culturelles, que doit d’être née la formation « Approche des droits culturels ».

>>> Voir le Manuel d’approche des droits culturels ICI <<<

Brève explication

La formation « Approche des droits culturels » est née de trois rencontres en Auvergne lorsque Fred Janus, enseignant en sciences sociales, et Paul Biot, docteur en droit et cofondateur du théâtre-action, tous deux membres de la Commission Art et travail social de Culture & Démocratie ont, à trois reprises en 2016 et 2017, répondu à une demande de l’association « Culture du Cœur » de Clermont-Ferrand (Auvergne).

À ce moment en effet la Direction de la Culture du Département du Puy du Dôme s’attelait avec plusieurs associations de communes et de terrain à une action culturelle de grande envergure fondée sur un « changement de posture au sein d’une collectivité départementale, dont la compétence principale, réaffirmée par la loi NOTRe (Loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République) est d’être le chef de file de l’action sociale ».

La loi NOTRe dont l’article 103 les rendait responsables, aux côtés de l’État français, de l’effectivité des droits culturels de la population. Ce rapprochement entre culture et social donnait une coloration singulière à une approche des droits culturels qui, comme dans la Déclaration des droits de l’homme (DUDH) de 1948, traitait dans son article 22, des droits culturels et sociaux.

Le Manuel « Approche des droits culturels » naissait de ces rencontres, offrant des « clés d’identification » de ces droits méconnus, retraçant leur histoire, fondée – comme tous les droits humains – sur des luttes universelles contre les discriminations qui ne le sont pas moins.

Retour sur l’expérience en visio-conférence

Dans l’expérience de la formation « à distance » le Manuel a constitué le premier contact de la formation avec les futur·es participant·es : un envoi préalable, avec le pari que, la curiosité aidant, ils et elles auront pu d’autant mieux préparer leurs questions. D’entrée de jeu en effet, est annoncé que leurs questions constitueraient le point de départ de la première « approche » de la matière. Un large tour de table virtuel y sera consacré, aussitôt très animé malgré la virtualité de la situation, chaque question renvoyant à une autre, à une piste de réponse, à un premier commentaire du formateur.

Les participant·es sont conscient·es que, dans une application fine des droits culturels à l’expérimentation de la formation, celle-ci sera co-construite au départ de leur parole. Complétée par une présentation des deux ateliers – animés respectivement par Mathias Mellaerts et de l’Association Marcel Hicter et Marie Camoin d’Article 27 – qui, également en « distanciel », accompagneront la formation théorique, la demi-journée devient de fait le nouveau point de départ de la formation.

La seconde étape va, au cours cette fois de toute une journée, associer la synthèse des premiers échanges à l’approche théorique et historique des droits culturels. Une synthèse qui structure et relie les questionnements, en regard des « clés d’identification » de ces droits étranges, qui forment la plus grande partie de cette Approche. Chaque fois que possible, pour préserver l’attention malgré la distance, la piste théorique identifie le paragraphe du Manuel qui concerne le point développé.

Les clés d’identification des droits culturels groupés en 4 ensembles forment la partie principale du Manuel : leur nature, enjeux, objectifs et contenus ; obligations engendrées, force contraignante et potentiel d’effectivité ; rapport aux autres droits humains et à des publics spécifiques ; contraintes réelles et virtuelles, capacité à s’inscrire dans les législations nationales (exemples belge et français). Cette forme de présentation par « clés »  sera utilisée par Jean-Michel Lucas dans son ouvrage Les droits culturels, enjeux débats et expérimentations, une intéressante exégèse de l’Observation Générale 21.

Voir ICI l’analyse de cet ouvrage.

Aucune synthèse ne sera semblable à une autre : un mois plus tard, la seconde expérience de cette nature sera nécessairement différente : c’est la conséquence évidente de la prise en compte prioritaire des participant·es, chaque fois différent·es. C’est cela aussi, les droits culturels appliqués !

La moisson de la première journée mise en gerbes

Lors de cette première expérimentation, la synthèse présente les réflexions de la première rencontre selon en schéma distinguant le « QUOI » et le « COMMENT ».

Le QUOI :
LES FOSSÉS : entre pratique et théorie (entre celles et ceux qui savent et celles et ceux qui agissent ?). Le fossé du langage exigeant des termes clairs et compréhensibles, des obligations simplifiées. Les fossés créés par le cloisonnement entre culture et social, entre culture et politique. Le fossé de la transversalité, de la diversité : chacun·e est porteur·se et moteur·ice de sa culture, de son histoire propre, mais dans les faits, une grande partie de la population est absente.

JUSQU’OÙ VA LA MISSION D’UN CENTRE CULTUREL (CC) ? La culture ce n’est pas de l’occupationnel ; les approches sont différentes selon les CC : problème ou richesse ? Certains actes et paroles n’ont pas leur place dans les évaluations ; les droits culturels appellent les CC à une grande ambition.

LA CULTURE OU LES CULTURES ? Qu’ont à faire passer les « passeur·ses de culture » ? Les cultures sont liées par le territoire : territoires géographiques, territoires symboliques, réseaux associatifs.

RECOURIR AU DROIT POUR PARLER DE LA CULTURE ? Quelle légitimité les droits culturels apportent-ils ? Les droits culturels sont un lien mais sont complexes : ils présentent des contradictions conceptuelles – Vienne versus Fribourg – égalité versus liberté – et des conflits entre droits.

Le COMMENT ?
METTRE LES PAROLES EN ACTE : comment les gens peuvent-ils exprimer ce dont il·elles sont porteur·ses ? Les pratiques collectives. La poésie de tou·tes comme mode de médiation. Trouver le juste prétexte, s’identifier aux autres, s’intéresser à leur culture : dans l’ombre des normes, une question d’intuition et de comportement personnel des animateur·ices.

L’AUTRE APPROCHE DES DROITS ET DES OBLIGATIONS : le décret CC (2013) ne suffit pas à faire bouger les lignes, il faut les bons outils ; impliquer tous les gens : chacun·e est amené·e à donner sa parole ; interroger le territoire ; comprendre la logique de chacun·e, ce qui part des gens, du public.

LES DROITS COMPLÉMENTAIRES : les droits civils et politiques ; les situations spécifiques : la culture ou la priorité des besoins primaires ? L’entrelacement des droits culturels aux autres droits humains demande une approche multisectorielle et transversale, donc décloisonner social et culture.

LES OBLIGATIONS (LES MISSIONS DU DÉCRET) : comment répondre aux évaluations avec les critères de décrets différents selon les domaines ? Appliquer les droits culturels en interne : en parler en équipe ou s’organiser ? Mettre des mots sur les actes, comprendre la logique de chacun·e, relier ce qui part de l’équipe, trouver un langage commun. Le « vertige des mots » : les mots doivent faire sens.

La théorie mise à l’épreuve des faits

La partie théorique et historique – notamment les combats contre les discriminations qui ont émaillé la période initiée par la DUDH de 1948 et à la lente progression des droits humains et au sein de ceux-ci les droits culturels –, s’appuie sur ces bouquets de questions et entrainent de nouveaux débats, de nouvelles questions, des propositions de pistes de solutions concrètes.

Les ateliers de l’après-midi vont donner l’occasion aux participants d’affiner les questions portant sur l’organisation interne des opérateurs culturels (atelier de Mathias Mellaerts) et de vérifier les « postures, outils, défis » de plusieurs actions en lien avec la population, choisies et exposées par les participants (atelier de Marie Camoin).

Une des conclusions évidentes qui, lors de la dernière demi-journée, ressort de la dernière étape du processus est que la mise en œuvre de l’effectivité des droits culturels au sein de la population implique nécessairement des formes de relations et d’organisation internes de l’institution qui respectent ces droits à tous les niveaux de son organisation. En ce domaine, la cohérence parait une condition sine qua non de la réussite.

Une contrainte qui conduit à un enrichissement de la méthode

Le défi semble donc relevé d’une expérimentation répondant, malgré la difficulté du « distanciel » – ou grâce à elle ? – à une formation aux droits culturels qui les mette en pratique dans son processus et sa forme mêmes.

Elle se confirmera une seconde fois un mois plus tard, en faisant éclore tout autrement des questions – cependant de même essentialité – que traduiront cette fois quatre grandes lignes « d’approche » des droits culturels : doivent-ils se concevoir différemment selon les publics auxquels ils s’adressent ? Comment « être juste » et comment utiliser avec justesse le « prisme des droits culturels » ? Comment trouver le chemin dans le « grand écart » entre politiques descendantes – issues des injonctions du décret (pour les CC) ou des conventions – et celles, ascendantes, liées à la nature des droits culturels qui fait de chacun le·a titulaire de droits (dépassant les limites de la citoyenneté) ? Comment prendre les justes décisions dans les tensions entre droits primaires et droits culturels, entre droits culturels et les arts, entre droits culturels et politique ?

Cette seconde expérience de formation par visio-conférence se prolongera par un travail de réflexion porté par le caractère profondément exigeant des débats. Pour le formateur en effet l’écoute prioritaire des participant·es – une exigence en matière de droits culturels appliqués à la formation même – implique une écoute continue entre les trois phases du processus. Cette fois la dernière étape développera des questions posées en rafales, et donc trop rapidement abordées en journée plénière.

Des questions qui traduisent des malaises : le droit de choisir sa religion est-il de nature politique ou culturelle ? En quoi le rôle des CC comprend-il une implication au plan sociétal ? Comment dépasser la catégorisation entre secteurs sociaux et culturels, alors que les échevinats sont différents ? Quelle est la légitimité d’un CC si « la culture est partout »? Que sont les référents culturels face à une culture de masse ? Quelle est la légitimation de nos choix en tant que travailleur socio-culturel ?

Des demandes de précision : quelle est la nature et le degré de contrainte effective de l’Observation Générale 21 ? Quelle a été la position de la Belgique à l’égard des traités – universel et européen – sur les minorités ? Sur quoi reposent les entraves aux droits ? Leur progressivité ?

Les questions peuvent être très concrètes : dans le cas des appels à subsides, comment prioriser les droits culturels tout en répondant aux objectifs cadenassés par le cahier des charges ? Comment être attentifs à réduire les inégalités tout en faisant participer les publics de capital culturel différent à la programmation? Comment faire savoir à chacun·e qu’il et elle a des droits culturels et comment les faire valoir ? Quel moyen légal ? Quelles démarches autres que la participation et la consultation en matière de programmation et les contacts entre les asbl et les habitant·es ? Comment « bien » informer ?

La situation née de la pandémie du COVID 19 et des contraintes du confinement n’est pas absente des débats : quelle est la responsabilité sociétale d’un·e opérateur·ice culturel·le en tant que chargé·e par délégation, d’une mission publique ? En tant qu’entité indépendante, à partir de quand peut-on décider de s’opposer (voir à ce sujet le texte sur les actions de la Vénerie) ? Spécialement dans la situation actuelle et les appels à l’ordre public, une notion floue juridiquement, donnée pour réponse à tout en ce moment ? Quels leviers d’action ? Quel est le degré de préoccupation du monde enseignant à propos des droits culturels ? Quelle place occupe-t-elle dans leur cursus ? Quelles sont les obligations de l’État ? Comment se fait-il que les moyens manquent pour remplir les missions assignées et que la culture soit déclarée « non essentielle » ? Quels sont les cadenas qui nous empêchent d’agir ?

En matière de conclusion (provisoire)

Dans la mise en place de toute Journée de formation à l’Approche des droits culturels, les entretiens préalables sont impératifs : travailler en partenariat conceptuel avec chaque organisateur·ice, sonder ses enjeux et questionnements traversés par la question des droits culturels, et par cette rencontre d’enjeux, connaitre ceux des participant·es potentiel·les afin d’ouvrir « les clés d’identification » qui leur ouvrent leurs portes.

Tous les échanges font l’objet d’écrits systématiquement transmis de Journées en Journées. Le travail d’accompagnement est intense, continu, jamais répétitif, et donne naissance à une relation qui se perpétue au-delà des jours de formation proprement dits.

Aujourd’hui les deux expériences se poursuivent dans le cadre d’approfondissements monitorés par Mathias Mellaerts, l’animateur de l’atelier qui interrogeait les structures et relations internes aux opérateur·ices.

C’est une forme de formation qui forme assurément autant les formateur·ices que les participant·es !