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Annexes

Art & Santé : Audition au Sénat du 15/01/2024

Catherine Vanandruel, coordinatrice du projet Clown à l’hôpital, pour le groupe Art et santé

16-05-2024

En janvier, la Commission des Matières transversales du Sénat de Belgique a entamé l’examen d’une proposition de résolution (n° 7-482/1) relative à « une approche complémentaire culturelle et non médicamenteuse dans le cadre de l’offre de soins dans le domaine de la santé mentale et plus particulièrement le “caring-museum” ». À cette occasion les sénateur·ices ont émis le souhait d’entendre le groupe de travail Art et santé de Culture & Démocratie lors d’une audition qui a eu lieu le 15 janvier 2024 au Sénat. Cette page reproduit le texte de l’intervention de Catherine Vanandruel, coordinatrice du projet Clown à l’hôpital, pour le groupe Art et santé.

👁 Archive vidéo de l’audition 👈👇 Intervention à [01 : 33 : 09]

Qui nous sommes

Depuis 2005, le groupe de travail Art et Santé, coordonné par l’asbl Culture & Démocratie à Bruxelles, rassemble des artistes, des institutions médicales et des soignants afin de soutenir le développement durable et professionnel des liens entre l’art et les milieux de soins et parallèlement ; la reconnaissance de la singularité de ces artistes.
Précisons ici que les acteurs et actrices qui composent le groupe depuis une vingtaine d’années, bien qu’animés par un esprit commun, sont très variés : deux hôpitaux psychiatriques, des associations de clown·es et d’artistes puridisiplinaires intervenant en milieu hospitalier, des infirmières, une néonatalogiste, une initiative en santé mentale, un centre d’expression et de créativité.
Les travaux du groupe ont donné lieu à des rencontres, des campagnes, des publications, mais aussi à une formation et à deux outils importants, à savoir : le code de déontologie de l’artiste intervenant en milieux de soins et le Thesaurus − Pour une approche terminologique des champs médicaux, culturels et sociaux.
Et c’est bien à travers le code de déontologie, qui en est déjà à sa 3ème édition, que le groupe Art et Santé affirme son éloignement des réalités et théories proposées par les écoles d’art thérapie francophones et anglo-saxonnes.

Le rapport de l’OMS cité dans la proposition de résolution

Ce rapport, publié en 2019, apporte certes des éléments probants en ce qui concerne le rôle des activités artistiques et culturelles afin de favoriser la santé et le bien-être. Mais, même s’il vient créditer nos démarches, il convoque un regard critique quant aux moyens mis en œuvre pour y parvenir.
Pour commencer, nous doutons que l’engagement culturel seul puisse être l’unique cause de l’amélioration des indicateurs de santé observés dans ces travaux. Notre expérience nous amène à souligner que la médiation culturelle, emboitée dans d’autres sphères soutenantes (sociales et médicales) est essentielle pour maintenir un réel lien de confiance, sur le long-terme, entre le ou la bénéficiaire et l’artiste-médiateur·ice.

Les prescriptions muséales

L’association des Médecins francophones du Canada, a lancé le programme de prescriptions muséales en partenariat avec le Musée des Beaux-arts de Montréal en 2018. Aujourd’hui terminé, ce projet a permis à des milliers de patient·es de recevoir une ordonnance de leur médecin, pour une visite au musée, en solo ou accompagné·e. Cette initiative pionnière a fait grandir la conviction, de par le monde, que « l’art peut nous faire du bien ».
Mais, cinq ans après, dans un article qui date d’octobre 2023, Emma Dupuy, neuroscientifique postdoctorante à l’Université de Montréal, en écho à ce projet de prescriptions muséales, livre une évaluation plus nuancée :
« Certaines des études répertoriées dans ce travail montrent que le contact avec une œuvre est à même de diminuer la pression artérielle, la fréquence cardiaque et le cortisol sécrété dans la salive. D’autres études, à l’inverse, n’observent rien. La question est alors de savoir s’il suffit d’être exposé à de l’art pour bénéficier de ses bienfaits ? Autrement dit, est-ce que le simple fait d’être en contact avec de l’art a des effets spécifiques ?
Cette conclusion nous invite donc à nuancer le discours et à approfondir la réflexion sur ce qui se passe au moment de la rencontre avec l’œuvre qui conditionne ses effets sur le psychisme de l’individu. »

Concernant l’état des lieux qui introduit la proposition de résolution

► Qui prescrit quoi ?

Qui garantit que le médecin prescripteur a pu visiter l’exposition et qui sait si elle sera une réponse cohérente à un·e patient·e qui présente un trouble en particulier ? Patient·e qui sera ensuite sous la responsabilité des médiateur·ices intra-musée ou intra-hospitalier. Cela demande du temps de coordination et des compétences en art ET en santé – dont aucune des parties ne disposent.
Prescrire une visite de musée sans dispositif de médiation a par conséquent peu de sens en soi. Il faudrait que celle-ci intègre l’expérimentation, c’est-à-dire le « faire » en lieu et place du « voir ».
Et le danger n’est pas loin. L’artiste expose une vision, sa propre traduction du monde qui est tout sauf un monde en joie. Que se passe-t-il si on envoie une personne en phase dépressive voir ces œuvres ? Jean Florence, dans son ouvrage Art-thérapie, liaisons dangereuses, nous indique clairement que des effets indésirables sont observés au contact de certaines œuvres d’art.

► La question du focus sur les sites muséaux

Nous posons également et légitimement la question des territoires. Bon nombre de grands musées sont installés en ville. Les personnes avec des besoins spécifiques dans les milieux ruraux n’ont pas la possibilité de dégager du temps ni de consacrer de l’énergie pour rejoindre le musée partenaire avec les transports en commun qui se raréfient. L’avis du médecin prescripteur, coupé de cette réalité, produirait même un effet de culpabilité et de rupture de soins, si la personne ne s’est pas rendue − comme elle le devait − au lieu culturel.
Ensuite, ne perdons pas de vue qu’un niveau économique et social faible va de pair avec des personnes en précarité mentale. Elles sont nombreuses qui considèrent que les lieux de culture sont des espaces publics qui ne leur appartiennent pas.
En 2016, Baptiste De Reymaeker, alors coordinateur de Culture & Démocratie, a signé un article qui rappelle le rôle essentiel qui peut être joué par les acteurs culturels dans la lutte contre la pauvreté.
Pour compléter, il nous semble important de différencier les musées et leurs collections. Un musée d’art contemporain, un musée historique ou encore un musée patrimonial n’ont ni la même fréquentation, ni les mêmes objectifs et encore moins les finances pour gérer la médiation sociale. Si on pousse l’absurde, on ne guérit pas de la même façon si on regarde une assiette de porcelaine de Limoges ou l’exposition de Bill Viola à Liège.

► Nos suggestions

La Belgique dispose d’un éventail important d’opérateurs culturels. Qu’ils soient reconnus ou non, qu’ils soient publics ou associatifs, la question des personnes en situation de fragilité les préoccupe depuis plus de 20 ans.
Nous proposons d’élargir l’approche proposée à l’offre globale culturelle en Belgique, avec les bibliothèques et les centres culturels, qui sont bien implantés partout et aussi surtout en milieu rural. Renforcer les expertises de leurs territoires sur les questions en santé mentale nous semblerait être un véritable levier dans la prévention et l’accompagnement.
Il est donc fondamental que ces passerelles mises en place entre santé mentale et « approches non-médicamenteuses » de la santé, visent la vie culturelle (et la création en général) dans un sens qui ne se limite pas aux seuls musées des grands centres-villes.
Dans l’état des lieux qui introduit le texte de la résolution, il est mentionné que pour l’OMS, l’important c’est la transversalité. Malheureusement, le texte nous donne l’impression d’une certaine méconnaissance des réalités en matières culturelles ainsi que des initiatives en santé mentale, comme celle par exemple du Projet 107 et plus particulièrement dans la région du Hainaut occidental.
Pour finir, les nouveaux décrets des centres culturels et des CEC, dans la considération des publics et des droits culturels, ne posent-ils pas déjà ce genre de ponts

Concernant la proposition de résolution

Nous insistons sur le fait que les travailleurs et travailleuses culturelles intervenant dans le champ de la santé mentale se sentent éloigné·es de la terminologie de cette proposition de résolution. Pour l’exemple, dans leurs pratiques, il n’y a pas l’utilisation des mots « patient·e », « malade » ou « pathologie ». Mais bien des « participant·es en atelier », des « spectateur·ices » ou des « créateur·ices ». Et, si les artistes participent à un mieux vivre, à un mieux-être, ils et elles ne sont pas pour autant responsables des « guérisons » attendues.
S’appuyer sur l’existant, c’est aussi découvrir la richesse de certains opérateurs comme l’asbl Article 27, dont le but était de garantir un accès à l’offre culturelle pour toutes et tous au moyen d’un ticket permettant d’aller aux spectacles pour 50 FB. Cette somme, devenue 1 euro 25, correspondait au prix du pain et permettait d’affirmer l’équivalence entre nourriture physiologique et spirituelle.
Le décret cadrant l’action des centres culturels de la Fédération Wallonie Bruxelles date de 2013 et introduit déjà la notion des droits culturels. Les travaux de la Plateforme d’observation des droits culturels, coordonnée par Culture & Démocratie, suivent déjà cette voie.
Si la présente résolution devait passer en l’état, nous continuerions à être inquiet·es pour les politiques culturelles qui pourraient demander, à terme, pour les opérateurs muséaux, de fournir des « preuves qu’ils ont bien fait du soin ».
Pour finir sur une note humoristique : une visite au musée serait-elle devenue la nouvelle pilule du bien-être ?

Notes

Proposition de résolution, p. 21 :
En Belgique, la Commission communautaire française (COCOF) finance actuellement des projets de « oins culturels» qui suivent deux approches (106).
La première, « l’art et la culture à l’hôpital », vise principalement les enfants et les adolescents hospitalisés, souvent pour des pathologies nécessitant des traitements longs et lourds, tant physiquement que psychologique-ment. Ces initiatives visent à améliorer leur bien être et à diminuer leur souffrance psychique.
La seconde, « l’art et la culture », se positionne comme une alternative thérapeutique face aux troubles et à la souffrance psychiques et s’adresse à des personnes en prise avec des troubles psychiques afin de leur permettre une revalidation culturelle et sociale.

Proposition de résolution, p. 46 :
Considérant le financement actuel en Belgique des projets de « oins culturels» par la Commission commu- nautaire française (COCOF); De 15 associations utilisant l’art et la culture comme outils thérapeutiques.

Proposition de résolution, p. 42 :
En Belgique, en 2021, la Ville de Bruxelles et le service de psychiatrie du Centre hospitalier universitaire (CHU) Brugmann lancent ensemble un projet pilote de «prescriptions muséales» qui prévoit également une étude scientifique (195).

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Art en milieux de soins : pour qui, pourquoi, comment ?