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Avant-propos

Avant-Propos

Baptiste De Reymaeker
Coordinateur à Culture & Démocratie

01-01-2019

« Quand on parle de création partagée, être dans l’arrière-pays ne consiste pas dans le simple moment d’une surface d’exposition où on donne à voir les choses une fois terminées. Cette notion nous invite à une confrontation exigeante: comment fait-on pour partager l’expérience intégrale de la création? […] Au fond ce qui est en jeu dans la pratique de l’art, ce n’est pas le temps simple du regard immédiat mais cette effraction qui advient quand tout à coup il donne plus à voir. Plus une œuvre est grande, plus l’arrière-pays est complexe, riche et dense, et lorsqu’on s’y enfonce, on va pouvoir faire surgir de l’épaisseur.»

Jean-Pierre Chrétien-Goni

Ce « Neuf essentiels», le huitième de la collection inaugurée en 2007 par Roland de Bodt, est particulier. Il concrétise deux ambitions nourries par Culture & Démocratie: la première, ancienne, était que chaque thématique travaillée par l’association depuis plus de 20 ans, fasse l’objet d’un « Neuf essentiels». Grâce à cette édition 2019, qui concerne le chantier « culture et travail social», nous y sommes parvenu·es. Les chantiers « culture et enseignement », « culture et prison », « art et santé », « droits culturels » et « interculturalité » ont désormais chacun leur « Neuf essentiels».

Depuis 2004 Culture & Démocratie travaille la question de la dimension culturelle du travail social. Elle a été chargée d’évaluer l’utilisation du subside pour l’épanouissement culturel et sportif des usagers des CPAS que ces institutions recevaient de l’état fédéral. Le constat d’une absence de sensibilisation à la « chose culturelle » dans la formation initiale des travailleur·ses sociaux·ales était l’un des éléments saillants de cette évaluation. Un groupe de travail s’est dès lors constitué au sein de l’association qui réunissait majoritairement des formateur·rices en école sociale pour pallier cette carence.
Ce groupe a travaillé à l’établissement d’un argumentaire qui défendait la présence, forte, dans les programmes de formation des travailleur·ses sociaux·ales, d’une sensibilisation et d’une pratique artistiques. Il a ensuite fait un travail de lobbying vers les responsables politiques (politiques culturelles, sociales et de l’enseignement supérieur) et les directions d’école. Il a participé à certains travaux du Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale ; il a documenté et prolongé une initiative du Forum – Bruxelles contre les inégalités ; il a introduit la question de l’effectivité des droits culturels dans les pratiques des travailleur·ses sociaux·ales et celle de la place de travailleur·ses sociaux·ales dans les centres culturels, etc. Considéré sous cet angle, ce « Neuf essentiels » est une étape supplémentaire dans le travail de recherche, d’analyse, d’étude mené par Culture & Démocratie sur ces matières.

L’autre ambition de l’association que cette publication réalise est celle, née d’une rencontre récente avec le Nimis Groupe, de concevoir ses publications (Journaux, revues, « Cahiers» et « Neuf essentiels») dans le cadre de collaborations avec des artistes qui inscrivent leur démarche de création dans une recherche documentaire, avec une forte dimension politique et sociale.
En faisant cela, il s’agit pour Culture & Démocratie d’œuvrer au décloisonnement du secteur culturel, et spécifiquement de casser cette défiance que le champ de la création entretient envers le secteur socioculturel, et vice versa.

Il y a une image proposée par Claude Fafchamps, directeur d’Arsenic2, qui explique bien l’intérêt d’un tel décloisonnement. Pour qu’une fabrique d’automobiles produise des voitures qui roulent, il faut que les différentes chaines de montage se coordonnent. Si le secteur culturel se concevait un peu comme une fabrique d’automobiles (à basse émission, évidemment!), cela pourrait rendre certains projets plus percutants.
Ce que propose Culture & Démocratie aux artistes et collectifs, c’est de participer à leurs recherches documentaires – se questionner avec elles.eux, lire avec elles.eux, interviewer avec elles.eux, etc. – et de documenter cette recherche, de mettre en quelque sorte à leur disposition son appareil éditorial, de leur donner la possibilité de mettre en forme et de rendre publiques des parties immergées de l’iceberg que représente un projet de création documentaire; de faire honneur à tout le travail de recherche occulté par le « spectacle » ; de rendre visible l’arrière-pays de la création dont parle si justement Jean-Pierre Chrétien-Goni.
C’est à cette proposition qu’ont répondu Rémi Pons et le collectif Esquifs. Et quelle belle collaboration cela donne ! Quel plaisir en effet de pouvoir mettre en avant leur travail, elles.eux qui disent inscrire leur démarche de création dans l’éducation populaire, elles.eux qui se documentent ensemble dans le cadre de séances « d’arpentage» – dispositif de lecture collective décrit plus loin. Et quel cadeau il·elles nous font, enfin, de partager l’intimité de leur recherche, cette manière dont ils ont exploré humblement, partant de leur position d’ignorant·es, la thématique de la dette, du surendettement, de la pauvreté. Quel cadeau nous fait aussi Rémi Pons de nous permettre de lire ses premières notes, base du spectacle qu’il a encore à créer.

Ce « Neuf essentiels» est un ouvrage collectif, qui réunit différentes plumes, différents points de vue, différentes sensibilités. Il fait écho au processus de création collective engagé par Esquifs. Pour asseoir encore cette dimension plurielle, collaborative, le CADTM (Comité pour l’abolition des dettes illégitimes), le CEPAG (Centre d’éducation populaire André Genot) et le Centre d’Appui aux Services de Médiation de Dettes de la Région de Bruxelles-Capitale ont pris part au projet. Leur présence connecte davantage cette publication au terrain qui l’intéresse. Qu’ils soient ici grandement remerciés.

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Neuf essentiels (études) 8
Neuf essentiels sur la dette, le surendettement et la pauvreté