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Dette et logement

07-03-2023

Se loger à Bruxelles coute de plus en plus cher. Pour certains foyers, on estime que le cout du loyer peut représenter jusqu’à 70% de leurs dépenses mensuelles. Dans ces conditions d’existence, l’endettement n’est pas difficile à imaginer. Dettes de loyer mais aussi dettes pour tout le reste, puisque de toute façon, il n’y a pas assez pour vivre. Alors quoi ? Comment ça se fait ? Quelles sont les lignes générales qui conduisent à un tel état de fait ?

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Lors d’un atelier que nous avons organisé le premier jour, nous avons mobilisé nos vécus et expériences autour du logement pour approfondir ces questions et tenter d’imaginer ensemble à quoi ressemblerait une politique du logement plus égalitaire.

Pour manger, combien je dépense ? Par jour ? Par semaine ? Par mois ? Par an ?
Et pour me déplacer, combien je dépense ? Par jour ? Par semaine ? Par an ?
Et pour m’habiller, combien ? Par mois ? Par an ?
Et pour me soigner, combien ? Combien pour fumer ?
Pour m’amuser, pour me distraire, pour m’éduquer, combien ?
Par jour ? Par semaine ? Par mois ? Par an ?
Et pour me coiffer, me faire beau ?
Combien pour me loger ?
Combien pour me laver, pour boire, pour faire mes lessives ?
Combien pour me chauffer ?
Par été, par hiver, par mois, par an, par heure ?
Combien pour téléphoner, combien ?
Et pour parler, combien ?
Combien pour marcher ?
Combien pour dormir ?
Combien pour être là ?
Combien pour digérer une dispute ?
Combien pour aimer ?
Combien pour vivre ?
Et combien pour mourir ?
Hein, combien ?

Apnée

 

ATELIER DETTE ET LOGEMENT

Animé par Sarah De Laet (Action Logement Bruxelles) et Martin Lamand (Union des Locataires Marollienne)

♦ Dispositif prévu ♦

Partie 1 : dresser le portrait de l’organisation du « logement » à Bruxelles

⚟ C’est pas ta faute si tu galères.
⚟ On est face à un système agressif, il y a une lutte en cours, et elle se fait contre toi.

▸ Distribution de copions proposant 5-6 thématiques. Par exemple : « Mon patron est un sale type, mais avec 1300 euros de crédit je vais rester docile. » L’idée c’est que par groupes de quatre, les personnes discutent de ces affirmations. On peut suggérer des questions : « Est-ce que ça fait écho à quelque chose que vous avez vécu ou que vous avez entendu ? Comment ça se fait que ça se passe comme ça selon vous ? »

▸ Retour en collectif : on forme un grand cercle, chaque groupe lit son copion et résume les échanges. L’idée ici c’est de partir des situations individuelles pour aller vers du systémique et du collectif. Dans le partage, chacun·e parle, on ajoute des éléments, on fait tourner la parole.

▸ On clôture la discussion avec un petit topo de Sarah pour récapituler cette idée que la lutte contre les non-possédant·es est en cours.

Partie 2 : Les luttes

⚟ Réussir à développer ses arguments et sa pensée critique.

▸ On n’est pas n’importe où, on est dans les Marolles, c’est un lieu qui a une histoire. Martin parle des luttes dans les Marolles, de l’Union des Locataires Marollienne.

▸ Débat mouvant, option « Match de Foot ». On propose une affirmation et les gens vont se répartir dans l’espace selon qu’ils sont « pour ou contre » cette affirmation.

On peut insister pour dire que le positionnement peut-être stratégique (se faire l’avocat du diable). Ensuite chaque groupe prend cinq minutes pour travailler un argumentaire, s’ensuit un échange. Si une personne se sent super convaincue par les arguments, elle peut changer de groupe. Quand on a épuisé le débat, on change d’affirmation.

Affirmations proposées (par ordre chronologique)

▸ Ce qu’il faut c’est construire du logement social.
▸ Ce qu’il faut c’est exproprier les marchand·es de sommeil.
▸ Ce qu’il faut c’est donner une allocation loyer à tout le monde.
▸ Ce qu’il faut c’est aller vivre à la campagne.
▸ Ce qu’il faut c’est abolir la propriété privée.

Débriefing en collectif : comment on se sent, ce qu’on retiendra

Ce qui s’est réellement passé

Il y avait 25 personnes prévues pour cet atelier. Au final, il n’y aura que 7 participant·es.
On va improviser…
On se présente.

Partie 1

« Vous me direz ce que vous voudrez, mais il vivent à 10 dans deux pièces : pas étonnant que les gosses ne s’en sortent pas à l’école. »
On parle du Covid.
Comment les logements sont-ils alloués ? Comment la sur-occupation a lieu ? Refus des propriétaires. « L’objectif, ce n’est jamais de loger les
plus pauvres. »
« La seule politique du logement en Belgique, c’est l’accès à la propriété privée. »
Explosion des loyers à partir de 2009.
Le problème, c’est que la demande ne vient pas que des vrais gens :
« Je vais acheter une maison pour la louer. »
« Une partie du capital se fixe sur le sol des villes. »
L’argent doit trouver des débouchés : il y a trop d’argent/stratégies.
Si on veut faire baisser les prix des loyers, il faut baisser les prix des
loyers.
Aujourd’hui, les loyers appauvrissent les classes populaires : la moitié des logements.
37 % des enfants à Bruxelles vivent dans un logement insalubre.
Les rénovations sans gel des loyers, ce sont des expulsions.

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Partie 2 : Martin/les Marolles

Des dates et des repères pour commencer :
▸ 994 : Bruxelles devient un bourg fortifié. Tout autour, les faubourgs.
1134 : une léproserie est construite sur l’emplacement de l’actuel hôpital Saint-Pierre. La rue Haute est alors une voie romaine qui va de l’enceinte fortifiée de Bruxelles centre à la léproserie (et même plus loin à Saint-Gilles) en passant par le quartier des tisserands, près de l’actuelle église Notre-Dame de la Chapelle. À noter : déjà à l’époque, les bourgeois·es de la ville de Bruxelles craignent les tisserands : les portes de la ville étaient fermées la nuit.
▸ 1360, les tisserands fomentent une émeute : ils sont massacrés.
▸ 1383 : la deuxième enceinte est construite. Le quartier prend forme autour de la rue Haute.
▸ 1405 : un incendie ravage la quartier de la Chapelle.
▸ Au XVIIe siècle, des congrégations religieuses s’installent dans le quartier.
▸ Au XIXe siècle, avec la construction du palais de justice et la mise en place d’une politique haussmannienne, la rue Blaes est percée et les premières expropriations ont lieu. En 1883, pour protester contre la cherté de la vie, les habitant·es saccagent le palais de justice. Les premières associations se forment, notamment pour lutter pour le suffrage universel.
▸ Après 1945 : les logements sont insalubres/pas de sanitaire/ énormément d’habitant·es.
▸ Après 1959 : construction de logements sociaux.
1969 : projet d’extension du palais de justice/bataille collective de la rue de la Samaritaine. L’identité de quartier est une forme de résistance : tu galères, je galère… c’est une opportunité à saisir. Si tu prives les pauvres de collectif, c’est la misère.
Aujourd’hui, avec les injonctions liées à l’organisation du travail social : passage du travail social militant au travail social individualisé.
Nous, on n’est pas face à des gens trop pauvres, mais face à des gens qui ne peuvent pas payer des loyers trop chers.

« Le marché, ça ne marche pas. Magiquement, le marché ne loge pas tout le monde.
Il faut qu’on chope des terres.
Le principe du logement social, c’est incroyable. »

LE LOGEMENT C’EST LA BASE

Lire l’article de Sarah De Laet (Action Logement Bruxelles) par ici !

 

SURVIVA FOR LIFE OU « LA MAISON DETTES »

Une performance clownesque de Sébastien Gratoir

Cette petite performance clownesque/burlesque est née de plusieurs mois, réunions de discussion et d’écoute des « expert·es du vécu » autour du surendettement et de professionnel·les les accompagnant. Bien sûr l’image de l’asphyxie de la pièce Apnée a inspiré l’enfermement dans une boite, le manque d’air. Mais au-delà de cette forme, les témoignages traduisaient beaucoup de solitude, d’enfermement chez soi mais aussi dans les préjugés des autres. La honte amène à se cacher, à avoir peur de l’autre, des voisin·es, de la factrice, du facteur, d’un éventuel huissier et finalement de n’importe quel courrier. Les partages de trucs et astuces ainsi que d’« anecdotes » qui font au départ rire (jaune) montrent la violence de l’enfermement. Ne plus sortir, ne plus répondre à la sonnette, faire semblant d’avoir un chien méchant pour faire peur à l’huissier, rendre immobilier le mobilier en fixant des objets aux murs ou au sol pour ne pas se les faire saisir, en cacher d’autres dans les jouets d’enfants qui ne peuvent pas être saisis, lancer par la fenêtre ce qu’on ne veut pas perdre…
Le public est témoin de cela et voit le comédien derrière une vitre, un des quatre murs de ce petit espace de jeu comme dans le cube de l’émission RTBF « Viva for life », mais le personnage joué ne les voit pas. Il cherche juste à comprendre qui est derrière la porte à travers ses entonnoirs (le facteur ? Une dette de plus ?). Ces manipulations du comédien évoluent sur le rythme d’une bande sonore très répétitive mêlant notes de basse faisant penser à une musique d’attente plutôt… stressante, des bruitages de caisse enregistreuse, de sonnette de porte, de courriels, de toc-toc sur la porte, d’aboiements et finalement de bruit de foule médisant sur cet endetté.
Tout cela en crescendo. L’angoisse monte avec la densification des sons, des courriers, des nouvelles. Les solutions sont de plus en plus farfelues (où cacher son poisson, son œuf ?) voire délirantes tant tout cela rend fou. En plus des nombreuses enveloppes, vrais courriers de rappels, de lettres de juges à terre, des dettes pouvaient être « postées » par le public. Celui-ci pouvait y retranscrire une vraie dette vécue ou en inventer une avec un objet, un montant et le tarif du rappel. Une façon d’extérioriser le « trop chère la vie » et/ou une manière de voir comment le comédien allait réagir ? Le public pouvait également sonner à sa porte pour « l’activer ». Alors que le personnage essaie de gérer au départ, il ne tiendra plus sur la fin et montrera quelques indices de violence à venir sur la personne derrière la vitre, foreuse et marteau à la main… Les dettes à la place des dons, survivre plutôt que vivre… Un tout petit bout partagé de cette expérience avec ces personnes qui ont créé la semaine « Trop chère la vie ».

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1

Ce paragraphe est largement inspiré du livre de Peter Marcuse et David Madden, In defense of housing.The Politics of Crisis (Verso, 2016), dans lequel ils expliquent la notion de sécurité ontologique.

2

Ici je ne raconterai que celles qui concernent des endettements, mais un nombre important d’expulsions a lieu sans que les locataires aient fait défaut de quoi que ce soit.

3

Toutes ces informations sont issues d’un travail réalisé par l’Observatoire de la santé et du social en 2019. Voir aussi la récente étude « Les expulsions de logement à Bruxelles : combien, qui et où ? », Godart et al., BrusselsStudies, 2023.

4

Marion Englert, « La problématique du surendettement en Région bruxelloise, conséquence et facteuraggravant de situations de pauvreté », Observatoire de la santé et du social, 2020.

5

Voir à ce sujet l’étude réalisée par le RBDH, « Justice de paix : bailleur welcome ! Locataire welcome ? », 2021.