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Dossier

Dieu est mort, son médecin aussi

Nicolas Sterckx
Infirmier en santé mentale et psychiatrie

12-05-2018

À mes pairs

La confusion est grande. Les infirmiers, peuple difforme usé par des décennies de roulis quotidien dans les cales du navire hôpital se refusent à exercer leur pouvoir politique. Pourtant au cœur du système et en nombre, cette indispensable force de travail reste aveugle de sa puissance. Mystifiées dès leur formation dans des écoles adossées aux hôpitaux, les jeunes et courtes blouses se tachent rapidement de problématiques insolubles inhérentes à un stérile environnement hospitalier dominé par des conseils d’administration qui les prédestinent à l’exécution d’un cahier des charges sans autre contrepartie qu’un avenir salarial barémique grevé de quotas ministériels faméliques. Cette grande rigueur cache mal l’enrichissement sans limites des franges les plus conservatrices de l’édifice, des fils d’Hippocrate pour la plupart.
L’émergence de soins de qualité dans un environnement aussi inégalitaire est impossible.
Cette faillite systémique sans cesse répétée, c’est une révolution morbide dont on sous-estime le nombre de morts et de blessés. Maintenu en place par un régime médical autoritaire sans aucune velléité de santé démocratique, le capitaine du blanc paquebot n’est en rien inquiété dans sa posture caricaturale par le politique et le financier, comparses cousins indispensables à une navigation imaginée rectiligne et assurée. Appuyée par des cadres modélisés et un service de communication qui rappelle à chacun que l’hôpital est un lieu bien sous tous rapports, le chaland malade est embarqué. Il n’est pas rare que dès les premiers instants, l’individu plus ou moins amoindri par sa pathologie mesure mieux l’âpre réalité du voyage qu’il vient d’entamer.
Dans les locaux techniques du vaisseau amiral, il reste quelques aventuriers marins, il y a des moussaillons prometteurs, on croise des gradés talentueux mais ces âmes critiques sont peu nombreuses et sont visées par une normalisation délirante orchestrée par des cadres bornés soutenus par une direction absente des linoléums qui tapissent les poumons économiques de leur fortune bien mal acquise.
On ne recherche pas et on ne soutient pas le talent des travailleurs de première ligne du champ médico-social. Il y a une injonction paradoxale qui demande aux travailleurs d’être plus rentables à l’endroit même de la crise de la rentabilité, de rencontrer les plus démunis, violents et violentés, d’être au cœur de la misère sans pouvoir infléchir la trajectoire du système qu’ils servent. On étouffe la justice sociale. On mine le navire avant qu’il ne prenne la mer. Les travailleurs et les bénéficiaires se noient dans les mêmes eaux.
Citer quelques noms, finalement peu nombreux, de ses responsables contemporains de la faillite sociale que l’on peut rencontrer ces dernières années dans les couloirs des institutions semble être répréhensible par la loi. Il est cependant fondamentalement nécessaire de mener un combat précis et vif afin de déloger les amorphes carriéristes souffrant d’ordinaires psychoses depuis leurs sièges de direction. Sans cette opération, point de désirs insufflés dans les cœurs et les esprits des subalternes employés qui parfois, il est vrai, en manquent aussi.

Où sont les intellectuels engagés, les chercheurs incisifs de la santé publique capables de soutenir la voix des têtus exclus, des malades sympathiques et des travailleurs épuisés ?
L’avenir, si l’on fait abstraction du marasme actuel, pourrait être d’une toute autre nature.
J’ai souvent rêvé d’un hôpital où l’on se rendrait même sain de corps et d’esprit afin d’y donner un coup de main, d’y emprunter un livre, d’y débattre de politique. L’hôpital pourrait être un lieu inspirant, transdisciplinaire, un refuge au cœur des montagnes de l’existence.

 

Lire « À notre santé ! », résumé du texte de la Plate-forme d’action santé et solidarité sous la coordination de Michel Roland et Georges Bauherz pour le thème santé de la campagne TAMTAM, rédigé par Marie-Agnès Gilot (CNE).

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Journal 47
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