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Introduction

Droits culturels et école

André Foulon
Directeur honoraire du Conservatoire royal de Mons (Arts2), administrateur délégué du Festival Musical du Hainaut

01-12-2020

Ce fut un réel plaisir, en ma qualité d’administrateur délégué du Festival Musical du Hainaut, d’organiser cette journée au Grand-Hornu, dans ce lieu chargé d’histoire qui m’est personnellement très cher. En tant qu’initiateur de cet évènement, au nom de mes collègues du Festival Musical du Hainaut et des Festivals de Wallonie, je remercie, très sincèrement toutes les personnes qui étaient présentes. Cette journée de rencontre fut consacrée à un sujet – les droits culturels – que Bernard Foccroulle, artiste associé des Festivals de Wallonie 2019, a lui-même proposé. Un sujet qui fait également écho aux préoccupations de notre partenaire co-organisateur de cet évènement Culture & Démocratie, dont Bernard Foccroulle est l’un des membres fondateurs.

Je connais Bernard Foccroulle depuis longtemps : nos routes se sont en effet croisées dans les années 1980 alors que nous étions tous deux fort impliqués au sein des Jeunesses Musicales de Belgique, lui à Liège, moi à Mons. Je me souviens qu’à l’époque, nous nous étions découvert un intérêt commun pour la présence de l’art à l’école… préoccupation devenue pour lui comme pour moi un leitmotiv dans nos réflexions sur la dimension artistique et culturelle de l’éducation et, plus singuliè- rement, celle des jeunes et des adolescent·es. À ce sujet, je me permets – en référence à la thématique 2019 des Festivals de Wallonie « Racines » – de lui emprunter cette formule imagée : « À l’échelle d’une institution ou d’une politique culturelle, il faut pouvoir semer les graines avant d’assister à un début de floraisonn. » Pourquoi n’en serait-il pas de même envers celles et ceux qui constitueront les futurs publics de nos musées, de nos salles de théâtre ou de concerts ?

L’article 6 de la Déclaration de Fribourg de 2007 portant sur les droits culturels dispose que : « Dans le cadre général du droit à l’éducation, toute personne, seule ou en commun, a droit, tout au long de son existence, à une éducation et à une formation, qui, en répondant à ses besoins éducatifs fondamentaux, contribuent au libre et plein développement de son identité culturelle dans le respect des droits d’autrui et de la diversité culturelle.»

L’École ne serait-elle donc pas un lieu (LE lieu) où cette notion de droits culturels doit naitre et vivre ? Sans doute aurions-nous dû lui consacrer – aussi – un atelier, au même titre qu’aux institutions de programmation et de diffusion de la musique, des arts plastiques et visuels et du théâtre. Vous m’autoriserez donc à plaider, dans ces quelques lignes, la cause de la présence de l’art à l’école et ce, dès le plus jeune âge, celui de l’éveil et de l’émerveillement !

S’il existe bel et bien des textes légaux et autres décrets préconisant l’organisation par l’école d’au moins une activité culturelle par année et ce, durant tout le par- cours scolaire, force est de constater, toutefois, que cette disposition – fort louable – est peu suivie d’effets « sur le terrain ».

Plusieurs raisons à cela : il peut s’agir, par exemple, de l’impossibilité pour les directions ou les familles de supporter la participation financière requise que ce soit pour l’activité elle-même, souvent, ou plus souvent encore, pour le déplacement vers le lieu où elle se déroule. Mais il peut aussi s’agir de la méconnaissance du projet visé ou celle de l’institution culturelle qui le propose ou encore l’inaptitude avouée des pédagogues en charge à conduire une activité culturelle, eu égard aux carences en la matière dans leur formation initiale. Le constat est cependant évident, je me répète, de l’absence des activités dites « de la sensibilité » dans la pratique.

En tant qu’artiste, je refuse de considérer l’accessibilité à l’art, à la culture, sous la forme d’activités ponctuelles « plaquées » sans initiation ou préparation en amont. Cette pratique donne sans doute bonne conscience – éphémère – à celle ou celui qui la préconise ou l’organise mais n’imprime aucune (ou très peu de) trace – durable – dans le vécu de celles et ceux qui la subissent plus qu’ils et elles ne la vivent.

Car, pour qu’elle soit véritablement porteuse d’acquis, la rencontre avec l’art et la culture, une véritable éducation artistique et culturelle – désormais inscrite par le Pacte d’Excellence dans l’enseignement obligatoire – doit s’ancrer dans un processus éducatif global, interdisciplinaire, favorisant la liaison entre le projet artistique développé et la connaissance de son contexte politique, artistique et historique, en synergie avec les autres enseignant·es. Elle doit impérativement s’inscrire dans la durée et être transversale, elle doit tenir compte d’une société multiculturelle et, enfin, inclure progressivement toutes les formes d’expression artistique (musique, arts plastiques et visuels, arts de la parole et langage du corps).

Ce projet doit être initié et porté par l’artiste lui·elle-même au sein de l’école même si cette rencontre peut parfois s’avérer conflictuelle. Il est bien question ici de rencontrer l’art par la création et les questionnements qu’elle implique. L’élève n’est plus spectateur·ice mais bien acteur·ice de sa formation : il ou elle est le cœur du projet, le moteur de son évolution et le vecteur de son épanouissement personnel au sein du groupe. Cette ambition est au cœur du Pacte d’Excellence et nous nous en réjouissons même si sa mise en œuvre ne sera ni simple, ni rapide.

Dans l’intervalle, il reste énormément à faire : mes collègues directrices et directeurs des Écoles Supérieures des Arts (ESA) et moi avions un temps imaginé la création de nouvelles formations à finalités diplômantes conduisant au titre de Master en médiation culturelle. Une telle formation vient d’être mise en place à l’Université Libre de Bruxelles (ULB). J’ose rêver qu’elle puisse se faire en collaboration avec les ESA.

J’emprunterai le mot de la fin à mon ex-collègue professeure de psychopédagogie au Conservatoire royal de Mons, Michèle Legrand qui, au terme de son intervention lors d’un atelier dédié à l’art et la pédagogie, souhaitait éveiller la conscience des parents et celle de nos propres élu·es à la réalité qu’une éducation par l’art peut devenir – je cite : « Un moyen d’exploration systématique dans tous les domaines, exploration de soi et des autres, des diverses cultures, des formes d’expression et de pensée ; mais aussi un moyen de rupture avec les conventions établies et le conformisme dans la manière de regarder le monde et de contester les normes qui le structurent par une remise en question permanente des “modèles et stéréotypes” imprimés au quotidien. Finalement, n’est-il pas légitime de penser que cette éducation-là, nécessaire de toute urgence, consiste à former “l’honnête homme” et à conduire le citoyen – actif et responsable – à l’expression de sa liberté de pensée et l’exercice de son pouvoir essentiel : le droit de choisir ? »

N’est-ce pas là la première et indispensable manière de faire vivre les droits culturels ?

Image : © Anne Leloup

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Bernard Foccroulle, Faire vivre l’opéra : un art qui donne sens au monde : entretiens, Actes Sud, 2018.

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