Le dossier de ce Journal de Culture & Démocratie n°51 aborde la question du conte. Il est né d’une proposition de collaboration lancée par la Fédération de Conteurs Professionnels de Belgique qui fêtait ses 15 ans en 2019. Elle organisait pour l’occasion une série d’évènements, parmi lesquels un colloque, « Aux sources de l’oralité », qui a rassemblé chercheur·ses et praticien·nes à La Bellone le 11 septembre dernier. Plusieurs d’entre eux et elles ont contribué à ce dossier.
Cet éditorial est rédigé alors que la crise du Covid-19 s’amplifie, obligeant chacun et chacune à modifier profondément ses habitudes et à réfréner tout geste proche d’affection ou de sympathie. Alors que le conte suscite presque naturellement des images de communautés rassemblées, unies par le désir commun d’entendre, le plus souvent de tout près, celui ou celle qui raconte. La crise est encore aiguë à l’heure de la diffusion de ce Journal. Belle occasion d’explorer avec les contributeur·rices de cette édition les sources très anciennes du conte, les conditions de sa transmission aux temps lointains de la seule oralité, ses formes, ses déploiements infiniment variés, sa présence attestée par le nombre de conteurs et conteuses qui œuvrent aujourd’hui et par la multiplication des festivals qui lui sont dédiés. Occasion aussi, et au contraire, de mesurer son absence dans le quotidien d’une société contemporaine qui prend bien peu le temps de la parole dite.
Comme tradition populaire, que nous apprend le conte des mœurs et des figures peu présentes dans les grands récits officiels ? Dans un monde où l’écrit et l’image sont omniprésents, quelle place pour le conte aujourd’hui ? Quelles pratiques du conte et de la transmission orale ? Du collectage ? Le conte reflète-t-il les enjeux sociétaux de notre temps ? À l’ère du « village planétaire », quelles porosités entre les pratiques de conteur·ses, entre ses formes ? Y a-t-il une créolisation du conte ? Autant de questions pour un dossier très riche, dont le prolongement en ligne désormais familier, est à explorer sur le site de l’association.
Ce dossier s’est voulu ouvert à la diversité des lectures, des analyses, des pratiques et des formes du conte. Il ne craint pas – c’est au contraire, une volonté – de faire se côtoyer des approches différentes, contrastées voire contradictoires. Il met en regard les expériences d’ici et celles qui se déploient dans d’autres territoires, notamment ceux de l’Afrique où l’art du conte est ancré et vivace. Il questionne la dimension politique de celui-ci, réelle ou supposée telle, hier et aujourd’hui.
Le sujet peut être jugé « léger » au regard des questions qui nous traversent aujourd’hui. Il révèle pourtant, avec acuité, où nous en sommes en matière de liens, de temps, de forme des échanges, de rapport aux mots et à la langue. Et l’on se prend à souhaiter que les médias ouvrent, dans nos jours aujourd’hui confinés, un espace pour la parole contée et, soyons gourmands, pour la poésie, ces arts venus de si loin – temps et espace – et qui épousent à la fois l’écrit et le verbe…
Bonne lecture.