Édito

La rédaction

31-07-2023

En 2023-2024 Culture & Démocratie fête ses 30 ans ! Un anniversaire – d’autant plus le passage d’une décennie – qui est l’occasion de regarder en arrière et de se projeter dans l’avenir, d’autant que les enjeux culturels et démocratiques sont plus pressants que jamais. L’anniversaire donne lieu à différents rituels qui relient passé, présent et futur, expériences et projections, acquis et inconnu. En écho à cela et à nos travaux précédents sur le besoin de nouveaux récits, les journaux de cette année 2023 s’intéresseront à la large question des rituels.

Mais que sont les rituels ? Quel rapport entretenons-nous avec eux et que produisent-ils ? Pour la philosophe Maririta Guerbo, qui introduit ce dossier, « les conditions du rituel sont la croyance en un récit et la prise du collectif sur l’individu ». Questionner nos rituels revient donc à s’interroger sur les croyances qui structurent notre société et la façon dont nous choisissons, individuellement et collectivement, de nous y inscrire, d’y contribuer. Le récit néolibéral dominant, en glorifiant la croissance, la valeur marchande et l’individualisme, a colonisé l’imaginaire avec de nouveaux rituels consuméristes tels que le Black Friday ou l’organisation de méga-évènements sportifs et culturels aux empreintes carbone monstrueuses, tout en multipliant et en banalisant les rites de célébration de soi, comme en témoigne l’immense succès des ouvrages de développement personnel.

Dans le précédent numéro du Journal de Culture & Démocratie, nous avons présenté divers éléments qui font apparaitre la dimension intenable de ce récit. Face aux crises – sociales, climatique, économique – en cours et à la violence qu’elles génèrent, il devient urgent de raconter d’autres futurs, d’autres projets de vie pour qu’émergent des changements d’itinéraire. Il devient incontournable de réinterroger nos croyances, de redéfinir les besoins structurants de notre espèce et notre rapport au vivant, et de traduire cela en nouvelles pratiques, qui devront être soutenues par de nouveaux rituels émancipateurs. Il s’agit ni plus ni moins de (sur)vivre ensemble demain. Ce nouveau dossier du Journal de Culture & Démocratie poursuit la réflexion, en présentant idées et pensées plurielles, récits d’expérimentations, autant d’éléments qui facilitent le déplacement, au niveau individuel et collectif.

Pour Maririta Guerbo, « imaginer des rituels à venir demande de dresser un tableau minimal des moments critiques de notre existence où le besoin de rituel se fait mordant ». Ces moments – de transmission, de célébration, de justice, de réparation, de partage, de création – émaillent les contributions de ce dossier, dont voici un bref aperçu :

Critique originale des dérives consuméristes de la modernité, nous exhumons l’expérience du Congrès ordinaire de banalyse, organisée dans les années 1980 par Yves Hélias et Pierre Bazantay. Ce congrès effectuait une observation du banal dans un endroit où il ne se passait rien et, de la sorte, introduisait un autre rapport au temps et une prise de distance propice à la réflexivité.

A contrario, l’école est par définition le lieu d’apprentissage de multiples savoirs et de la vie en communauté. Mais, l’institution scolaire actuelle inculque largement les schémas de la société libérale dans laquelle elle s’inscrit. Bernard Delvaux invite à repenser profondément ce modèle et propose de nouveaux rituels pour une école qui permette l’expression d’une pensée la plus autonome possible dans un rapport d’égalité de pouvoir entre les individus. En complément, Sabine de Ville voit dans le récent Parcours d’Éducation Culturel et Artistique (PECA) une nouvelle forme de rituel d’initiation culturelle à valoriser.

Autre lieu d’apprentissage et de mise en tension entre temps passés et horizons communs : le musée. Un article choral montre comment la notion de rituel traverse les pratiques et dispositifs de médiation culturelle dans le quotidien de quatre musées, et s’interroge sur les formes et les effets des rituels qui accompagnent la monstration des œuvres : les publics s’en emparent-ils ?

Hors les murs, les manifestations folkloriques font la richesse du patrimoine culturel immatériel de notre pays. Ces célébrations extrêmement ritualisées et parfois très anciennes ne sont pas immuables, elles peuvent évoluer, conserver l’héritage du passé tout en se renouvelant pour répondre aux enjeux sociétaux actuels. Thibault Galland met en lumière la façon dont la médiation culturelle peut s’inspirer des droits culturels pour imaginer ces évolutions.

Le documentaire Als reuzen sterven de Jan Vromman interroge également ces manifestations populaires, leur ancrage dans l’espace public et leur rôle dans la vitalité de nos espaces démocratiques pour faire émerger une société en phase avec un nouveau modèle culturel.

Également imaginé dans l’espace public, le dispositif Arbre Poetik fut un long processus entamé par le collectif KNEPH et l’asbl Park Poetik pour dire adieu à un vieux marronnier situé dans le haut du parc de Forest à Bruxelles. Un exemple de création de rituel suite aux échanges entre plusieurs cultures, favorisant la résurgence d’animisme au sein de notre culture naturaliste.

Corinne Luxembourg milite elle aussi pour un rapprochement du sol et une prise de conscience de la finitude de la planète, notamment dans l’exercice de la cartographie, résultat d’une série de pratiques ritualisées qui organisent les connaissances pour établir, par la représentation, une mainmise sur le territoire, une représentation finie du monde.

Autre territoire de recherche historique de Culture & Démocratie, la prison est un espace particulièrement quadrillé de rites aliénants dont les effets s’avèrent majoritairement contre-productifs en termes de réparation et de réinsertion.

Pour Alexia Stathopoulos, si les interventions artistiques en prison, qui y amènent d’autres rituels de création, n’échappent jamais complètement à l’ordre établi, elles parviennent à l’ébranler et ouvrent des brèches.

Salomé Van Billoen questionne plus largement nos rituels de justice. Comment penser la restauration et l’apaisement des un·es en même temps que la responsabilisation des autres, au-delà de la peine ? Elle nous parle de son expérience de justice restauratrice, riche d’enseignements.

Enfin, cette exploration se termine avec le projet de Grimoire du groupe Futurologie de la coopération qui propose une panoplie d’outils et de modes d’emploi pour ritualiser des pratiques, les transmettre et en imaginer d’autres afin d’amplifier une culture tournée vers de nouvelles voies de bifurcation.

Des dessins originaux d’Olivia Sautreuil accompagnent les pages de ce Journal. Pour réaliser cette série, l’illustratrice s’est notamment intéressée aux rituels enfantins de détournement d’objets. En ligne, l’article de Marcelline Chauveau prolonge cette réflexion et interroge plus largement nos rapports ritualisés à nos objets quotidiens.

La rédaction

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Journal 56
Rituels #1
Édito

La rédaction

Imaginer nos rituels à venir

Maririta Guerbo, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Le défi de la sobriété idéologique par le rituel

Yves Hélias, co-fondateur du Congrès ordinaire de banalyse

L’Infusante ou l’école idéale

Entretien avec Bernard Delvaux, Chercheur en sociologie de l’éducation, associé au Girsef (UCLouvain)

Le PECA, de nouveaux rituels pour l’école

Sabine de Ville, membre de Culture & Démocratie

Rituels et musées

Anne Françoise Rasseaux du Musée royal de Mariemont, Virginie Mamet des Musées Royaux des Beaux-Arts, Patricia Balletti et Laura Pleuger de La CENTRALE et Stéphanie Masuy du Musée d’Ixelles

Rituels et droits culturels

Thibault Galland, chargé de recherche à Culture & Démocratie

Faire vivre les rituels, l’espace public et la démocratie

Entretien avec Jan Vromman, réalisateur

Ma grand-mère disait

IIse Wijnen, membre de KNEPHn

Rituels de la carte

Corinne Luxembourg, professeuse des universités en géographie et aménagement, Université Sorbonne Paris Nord (Paris 13)

Justice restauratrice : dialoguer aujourd’hui pour demain

Entretien avec Salomé Van Billoen, médiatrice en justice restauratrice

Les expériences artistiques en prison : des rituels pour (re)créer du commun ?

Alexia Stathopoulos, chercheuse en sociologie des prisonsn

Futurologie de la coopération : des rituels de bifurcation

Entretien avec Anna Czapski, artiste performeuse

L’objet à l’œuvre

Marcelline Chauveau, chargée de projets et de communication|diffusion à Culture & Démocratie

La gestion des espaces vacants : territoire des communs ?

Victor Brevière, architecte et artiste plasticien, co-fondateur du projet d’occupation de La Maison à Bruxelles (LaMAB)

Olivia Sautreuil

Marcelline Chauveau, chargée de projets et de communication|diffusion à Culture & Démocratie