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Édito

Édito

Sabine de Ville
présidente du CA de Culture & Démocratie

01-01-2018

Lors du colloque organisé en juin dernier à Lyon par la Société francophone de Philosophie de l’Éducation et intitulé Frontières de l’école et frontières dans l’école : enjeux et perspectives, Alain Kerlan, philosophe, professeur émérite (Université Lyon 2), ouvrait son intervention en citant Annie Ernaux, romancière française. Elle évoque, dans l’un de ses premiers ouvrages, la fracture langagière qui la frappe tandis qu’elle aborde, petite fille issue d’un milieu populaire, le monde de l’école. Deux mondes étrangers l’un à l’autre et d’autres mots pour dire tout, la réalité, les usages du quotidien et les savoirs.

« Même pas la même langue. La maîtresse parle lentement, en mots très longs, elle ne cherche jamais à se presser, elle aime causer, et pas comme ma mère. “Suspendez votre vêtement à la patère !” Ma mère, elle, elle hurle quand je reviens de jouer “fous pas ton paletot en boulichon, qui c’est que le rangera ? Tes chaussettes en carcaillot !” Il y a un monde entre les deux… Ce malaise, ce choc, tout ce qu’elles sortaient, les maîtresses, à propos de n’importe quoi, j’entendais, je regardais, c’était léger, sans forme, sans chaleur, toujours coupantn. »

Le dossier de ce journal explore la question de la langue. Espace de construction de soi dans la faculté peu à peu déployée de dire le monde et soi-même, de se relier, de partager, de raconter, espace de libertés infinies et souvent insoupçonnées. La langue est aussi, à contrario, le lieu de l’imposture et de la domination, explicites ou implicites. C’est peu de dire, notamment, que la globalisation et la toute-puissance de la sphère économique et managériale transforment nos langues, nos manières de dire et partant, nos manières de faire.

Nous abordons les registres de la langue par des entrées multiples, du numérique aux ateliers d’écriture, de la poésie à la langue des lieux – école, prison, entreprise ou hôpital –, de la langue policière à celle, imposée depuis peu, des travailleurs sociaux, de l’explicite à l’implicite, des métissages aux ségrégations langagières de tous types. Pierre Hemptinne évoque les vertus du « désapprendre » dans un éloge de la perméabilité et de l’accueil de toutes les formes du « dire », rappelant l’hétérogénéité fondamentale et initiale du langage.

Nadine Plateau évoque l’écriture inclusive ou comment imprimer à la langue les mutations de la société. José Morais et Salomé Frémineur abordent les rapports entre littératie et démocratie – question brûlante. Dans ce dossier on parlera aussi des ateliers d’écriture et de l’aventure qu’ils représentent pour leurs « participants » et leurs « animateurs » ; de la langue des poètes dont Laurence Vielle rappelle qu’elle est la langue de l’insurrection ; de la langue des chanteurs dont Laurent Bouchain nous dit la puissance. Cette liste n’est pas exhaustive, le lecteur s’emparera de toutes ces contributions qui dressent ensemble, un état contemporain et critique de la langue.

Il reste à œuvrer pour que ce soit bien la dimension vivante, meuble et changeante de la langue qui s’impose aux dépens de la novlangue sèche et uniforme qui se répand aujourd’hui. La langue est puissante, elle oscille entre conservation et invention, entre clôture et libertés. Équilibre délicat. On ne saurait être trop vigilant.

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Annie Ernaux, Les Armoires vides, Gallimard, Paris, 1974, p. 49-50.

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Journal 46
La langue : entre promesses, oublis et dominations
Édito

Sabine de Ville
présidente du CA de Culture & Démocratie

Quelle langue, quelle vie ? Domination, émancipation ; apprendre, désapprendre

Pierre Hemptinne,
Directeur de la médiation culturelle à PointCulture
Administrateur de Culture & Démocratie

Qu’est-ce que la glottophobie ?

Philippe Blanchetn
Professeur de sociolinguistique à l’université Rennes 2

S’émanciper des dominations par le langage

Entretien avec Jessy Cormont, sociologue à P.H.A.R.E. pour l’Égalité, et membre du Collectif Manouchian

 

Propos recueillis par Morgane Degrijse, stagiaire
et Hélène Hiessler, chargée de projet à Culture & Démocratie

Atelier d’écriture – Pont vers la langue, l’écrit, soi et le monde ?

Témoignages de Massimo Bortolini, Christelle Brüll, Amélie Charcosset, Laurence Kahn,
Mohamed Moussaoui, Laurence Vielle et Vincent Tholomé

recueillis par Valérie Vanhoutvinck, artiste, cinéaste, enseignante et membre de l’AG
de Culture & Démocratie.

Démocratie et littératie : ce qu’elles sont, et ce qui les lie

José Morais
Professeur émérite de l’Université Libre de Bruxelles (ULB), professeur invité du Centre de recherches en Cognition et Neurosciences (CRCN, ULB)

Polyglo(u)ssons

Nadine Plateau
Administratrice de SOPHIA, réseau bicommunautaire des études de genre
Membre de l’AG de Culture & Démocratie

Parlez-vous policier ? Les langages de la police : entre novlangue managériale, outrage et familiarité

Mathieu Beysn
Juriste licencié en Histoire

On appelle cela la prison

Baptiste De Reymaeker
Coordinateur de Culture & Démocratie

Des paroles secrètes à l’expression collective

Marc Chambeau
Institut Cardijn, membre du bureau du Comité de Vigilance en Travail Social

La poésie, un espace de liberté langagière

Mélanie Godin
Directrice des Midis de la poésien

Un poète ça sent des pieds*, n’est-ce pas Léo ?

Laurent Bouchain
Metteur en scène et dramaturge
Administrateur de Culture & Démocratie

La littératie à l’heure des machines d’écriture numériques : question de démocratie

Salomé Frémineur
Doctorante en philosophie à l’Université Libre de Bruxelles

Huis clos : de quoi l’hôpital est-il le cadre ?

Michel Kesteman
Président FDSS (Fédération des services sociaux)

Une langue sans mots ou le geste de la voix

Bernard Massuirn
Comédien, chanteur, metteur en scène, auteur, compositeur et professeur de voix

Juste un mot

Nicolas Roméas
Directeur de l’Insatiable (héritier de Cassandre/Horschamp)

Nuisances sonores. Une place sur les ondes pour les musiques qui dérangent

Caroline Angelou
Étudiante à l’Institut des Hautes Études des Communications Sociales

Guéronde. À la recherche d’un hameau perdu Récit d’un travail collectif de mémoire

Damien Vanneste
Sociologue, enseignant-chercheur à l’Université catholique de Lille

Olivier Sonck

Maryline le Corre
Chargée de projets de Culture & Démocratie