Michel Clerbois
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Dossier

Entre liberté et restrictions. Focus sur le Landbouwbelang à Maastricht

Marie des Neiges de Lantsheere
Stagiaire à Culture & Démocratie

13-06-2017

Le long de la Meuse, à quelques pas à peine du centre de Maastricht et de ses rues commerciales, se dresse un étrange et imposant bâtiment industriel devenu le Landbouwbelang (Lbb). Cette ancienne usine à céréales a depuis 2002 été reprise par des individus assoiffés d’alternatives. Aujourd’hui le bâtiment est couvert de multiples fresques colorées et de plantes grimpantes, donnant au tout une impression qui ne manque pas de le décaler de son environnement soigné et bourgeois. Que se passe-t-il derrière ces murs bigarrés ?

Maastricht est une ville très consciente de son image européenne et prospère, qu’elle soigne non seulement depuis le traité mais qui lui permet d’attirer des touristes aisés qui viennent autant d’Allemagne et de Belgique que des Pays-Bas. En plus des boutiques de luxe, la ville offre annuellement un programme culturel de haut standing avec par exemple, un tournoi de polo sur la grand-place ainsi que la très prestigieuse TEFAF, foire des plus belles antiquités au monde.

En ce jour de mai, ce n’est pas pour les poneys, ni pour les chandeliers, mais pour ce havre intriguant que je me rends à Maastricht. J’y retrouve Marit, une jeune Néerlandaise de 27 ans, habitant depuis deux ans du Lbb et qui a accepté de me présenter la vie de cette communauté étonnante.
La cour devant l’ancienne usine est baignée d’un délicieux soleil de printemps, deux hommes fument affalés dans de vieux canapés. Une lourde porte en fer s’ouvre derrière moi, Marit aux cheveux en rastas, look décontracté, apparaît. Elle m’invite à faire l’interview dans la cuisine commune, où elle était occupée à repiquer des petites pousses.
Vivant à Maastricht depuis dix ans, elle n’habite au Lbb que depuis deux ans. L’entretien original étant en anglais, il s’agit ici d’une traduction la plus proche possible de ses propos. Marit a également insisté sur le fait que ces derniers doivent être compris comme personnels et ne représentant nullement ceux du Lbb dans son entièreté.

Le Landbouwbelang – Un refuge pour tous
Ses premières rencontres avec la friche se sont faites par hasard, passant devant en bus tous les jours et étant intriguée par l’aspect enjoué des lieux. Originaire de la campagne néerlandaise, Marit a toujours ressenti le besoin de se différencier de la culture un peu conventionnelle de sa région. C’est dans le mouvement gothique qu’elle commence par se réfugier.
Encore mal dans sa peau en arrivant à Maastricht, elle découvre poussée par une amie le Lbb et est séduite par l’accueil. « Le Lbb a directement été un « havre de paix » pour moi. Il m’a donné l’impression si apaisante d’avoir enfin trouvé un foyer où j’étais acceptée pour qui je suis. » Elle s’implique alors progressivement dans les activités variées de la friche pour finir par décider de sauter le pas et s’y installer définitivement.

Mais quelle est cette friche exactement ? La question n’est pas simple. « Je pense que la meilleure manière de décrire le Lbb est la suivante : une plaine de jeux pour adultes. » De par son côté expérimental, créatif, et accessible, le Lbb est un espace ouvert à tous ceux qui cherchent à créer et à faire les choses différemment. « Dans un monde où le système économique nous met tous sous la pression de devoir être rentable, le Lbb tente d’apporter une échappatoire. » Résolue, Marit affirme ne pas tenter d’abattre ce système trop puissant, mais de seulement le contourner, y apporter un contrepoids qui permette plus de liberté. « À Maastricht nous ne voulons pas combattre l’offre culturelle qui existe, mais seulement lui apporter un extra de culture alternative ».
Concrètement cela se traduit par un nombre régulier d’activités organisées tout au long de l’année telles que des fêtes « goa » organisées au sous-sol « t’keldertje », des représentations de cirque, des pièces de théâtre montées par des étudiants. Le Lbb se dit ouvert à toutes les propositions tant que celles-ci s’inscrivent dans un esprit ouvert et non commercial. L’aspect durable est également recherché ; les repas servis sur place lors d’événements sont végétariens lorsqu’ils ne sont pas vegans, et sont produits le plus possible de manière biologique et locale. Aussi certains repas sont cuisinés à partir de légumes et fruits invendus du marché.

Composition de la Friche
Créé en 2002, le Lbb offre depuis une quinzaine d’années la possibilité à une scène alternative et gratuite d’exister dans le paysage culturel de Maastricht. Il n’est pas étonnant que cette scène ouverte ait été l’initiative de jeunes artistes ayant pour la plupart l’expérience de la vie en friche.
Le Lbb abrite entre 14 et 17 personnes, suivant que l’on considère comme habitant, sachant que certains s’absentent parfois pour plusieurs mois. Pour la plupart Néerlandais, l’âge des habitants varie de 23 à 84 ans.

Dans un monde où le système économique nous met tous sous la pression de devoir être rentable, le Lbb tente d’apporter une échappatoire.

En plus des habitants, le bâtiment abrite également une trentaine de personnes qui y ont installé leur atelier. Les décisions concernant les initiatives, les nouvelles résolutions, la communication et les rapports avec la commune se font entre toutes ces personnes ainsi qu’un certain nombre supplémentaire de volontaires actifs. Durant des débats ouverts, les décisions sont prises sur base de vote. Plus de deux tiers des participants doivent soutenir une décision pour qu’elle soit validée. Chacun ayant sa propre idée de la friche idéale, il est difficile de s’accorder sur un projet commun qui soit cohérent.

Des visions du Landbouwbelang
En abordant ce thème, Daniel Speek, un autre jeune habitant de la friche entre en cuisine et ne peut s’empêcher de nous donner son point de vue. Critique, il explique que ce refus de hiérarchie par principe, contribue au contraire à en instaurer une, invisible peut-être, mais tout aussi solide, qui impose une structure non-régulée. Il est inévitable, souligne Daniel, qu’entre toutes ces personnes se construise un passé lourd de nombreuses frictions. Moins qu’une communauté, explique Marit, il s’agit plus ici d’un groupe d’individus car il est difficile de reconnaître une vraie identité commune. Quand je demande ce qui rassemble le groupe d’individus, ils me répondent que c’est le bâtiment même. Ce serait le bâtiment de l’ancienne usine et l’idée que cet endroit inspire un possible différent, le cœur commun des habitants du Lbb.
Cette idée cependant, reste très personnelle et varie selon les nombreux habitants. Ces différences idéologiques, m’explique Daniel, ont des répercussions sur tous les aspects du quotidien. N’ayant pas de culture commune claire, aucune restriction ou responsabilité n’est requise. Par conséquent les charges, les projets dépendent de la volonté spontanée des habitants. Tous deux regrettent qu’ainsi la friche manque d’efficacité et ne puisse être à son optimum.

La Friche et la commune : une relation curieuse
Cependant, alors que l’ambiance interne est difficile, les relations entretenues avec la municipalité sont relativement bonnes. Marit souligne la position de coopération qu’entretient la friche vis-à-vis de la municipalité. « Nous offrons une alternative au paysage culturel de Maastricht, mais ne voulons en aucun cas travailler contre ce qui existe déjà. Nous sommes seulement un extra. » Pour cela, Marit affirme que le Lbb est relativement bien reconnu auprès de plus de la moitié des employés communaux. « Ils reconnaissent notre travail et soutiennent notre rôle unique au sein de la ville. » Des accords permettent à la commune de réglementer et encadrer les activités et le bâtiment. Des quotas de participants aux soirées ou encore des limites imposées aux nuisances sonores doivent être respectés. Les habitants ont aussi dû être relogés dans le hangar pour plusieurs mois après que la commune eut décrété certains endroits insalubres.
Marit explique cette entente quelque peu étonnante entre institutions et cultures alternatives par l’histoire politique des Pays-Bas. Malgré le fait que depuis 2010 l’occupation des friches ait été interdite, celles existantes depuis un certain nombre d’années ont pu poursuivre leurs activités. Le rôle irremplaçable de celles-ci a en effet été plusieurs fois reconnu comme préférable à l’abandon d’un bâtiment. Ne faisant que combler un vide, ces friches, rappelle Marit, ont un rôle tout à fait particulier et respectable.

Critique, il explique que ce refus de hiérarchie par principe, contribue au contraire à en instaurer une, invisible peut-être, mais tout aussi solide, qui impose une structure non-régulée.

Néanmoins la relation reste ambigüe et instable, car la commune reste propriétaire du bâtiment. La position exceptionnelle du bâtiment ne laisse pas la commune insensible, sachant qu’elle vient de rénover le quartier en face. Le rôle d’alternative culturelle est aussi moins important qu’à l’époque où a été fondée la friche. Depuis des années, différents lieux culturels ont vu le jour, telle que la salle événementielle Muziekgieterij, diversifiant l’offre culturelle. « Mais nous restons encore uniques en ce sens que nous préservons l’accès à tous en restant sans profit ».

 

Image: © Michel Clerbois. Rotonde Hirson-Buire, 1995

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