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Dossier

Essai de réflexion au sujet de la violence faite aux femmes – tentative de nommer l’humanité conjuguée

Dominique Gratton
Membre de Culture & Démocratie, formatrice à la connaissance de soi, comédienne

24-06-2019

C’est au cours de milliard d’années que s’est développée l’humanité. Être en humanité, toute une histoire relationnelle de femmes et d’hommes, d’hommes et de femmes, dans le vivant de la planète Terre.

L’actualité de ce début de XXIème siècle nous indique avec force et fracas un besoin impératif de changer de cap, de se pencher d’une autre manière sur le principe du vivant. Les êtres qui peuplent la terre sont en effet devenus très malades, très souffrants, certains en voie d’extinction ou disparus. La relation du masculin/féminin va mal. En quête de retrouver un chemin commun d’épanouissement et de bien-être réciproque.

Je partage l’idée de reconnaitre trois grandes périodes de l’évolution des humains : l’époque du sentir, celle du faire et celle du vouloir.

  1. La prédominance du sentir implique d’être en relation avec son environnement relationnel compris surtout par les sens, l’instinctif, l’intuition. C’est principalement les sensations qui déterminent le corps et son rapport au monde.
  2. Afin de parer à notre grande fragilité corporelle, dans l’obligation de se protéger, la capacité de penser et de se projeter s’est alors amplifiée et nous avons appris à faire, à fabriquer ce dont nous avions besoin pour cela. C’est la prédominance du faire et aussi du fer. L’époque des conflits résolus en « croisant le fer ».
  3. Avoir beaucoup fait afin de trouver plus de confort nous a éloignés du sentir et a permis aux fonctions cérébrales de d’avantage s’épanouir. Nous sommes entrés dans la prédominance du vouloir. Période dans laquelle nous sommes toujours.

Passer par la considération de ces trois dimensions d’être vivant m’apparait une manière intéressante et complète d’envisager les grandes lignes de l’histoire de l’humanité et la question du genre. Actuellement, notre cerveau (dans la prédominance du vouloir) a pris le pouvoir. La volonté dénuée voire déconnectée de la capacité à sentir et diminuée dans son savoir-faire, saturée de fabrication diverses, est à son paroxysme. Le déséquilibre entre ces trois dimensions est d’une intensité telle qu’il génère des dysfonctionnements majeurs à tous les niveaux et tant dans le domaine de la santé, du travail que du relationnel. Le monde s’est construit dans un rapport dominant-dominé, en termes de volonté de pouvoir, de force destructrice et de dérives manipulatrices. Le no-limit à tout crin pour satisfaire nos cerveaux devenus fous. Un humain amputé de sa capacité à respecter son ressenti, privé de sa connaissance à faire et qui s’est orienté vers le pouvoir par le biais du profit, de la compétitivité, de l’individualisme tyrannique encensé.

Au cours de chacune de ces trois grandes périodes, la relation femme/homme, masculin/féminin s’est transformée et continue à se transformer. Quel est et quel a été leur rapport à l’homme, dans l’histoire des femmes ? La société patriarcale dans laquelle nous évoluons depuis longtemps déjà, aux valeurs guerrières et conflictuelles s’avère devenir un danger pour la survie de l’humanité. Les multiples créations actuelles qui ont pignon sur rue continuent de nourrir la démesure et renforce les rapports de pouvoirs dominateurs inconscients dans les relations humaines. La capacité de nous détruire, de détruire notre environnement est avérée. La maltraitance des corps est une pratique officialisée au service du tout à l’économique, tout ceci sous couvert de bien-être et de « développement » mais en réalité afin de satisfaire la volonté de dominer la nature humaine de dominer toute chose. La domination d’un individu sur l’autre et, au plus près de l’intime la domination de l’homme sur la femme. Les femmes existent sous le joug patriarcal depuis si longtemps que bon nombre d’entre elles se sont assimilées à son fonctionnement. Cette conscience de la perte de soi tend à se développer partout, sur une planète réduite à l’état d’urgence. La question de la sauvegarde de l’espèce se révèle grandissante et les femmes porteuses du principe même de vie se lèvent aux quatre coins du monde pour tenter de sauver l’humanité.

Au cours de l’histoire de ce féminin dominée, les hommes ont largement enfoui, détourné, reformulé voire effacé toutes les tentatives des femmes à prendre leur place et toutes les femmes qui ont eu une grande importance. Au regard de ce constat, replaçons-nous dans les trois grandes périodes de l’humanité que je nommais en amont. Par quoi a pu passer la conscience de soi et de son environnement ? Le temps du senti et de la perception de soi et du monde par les sens révèle le féminin porteur de vie, la déesse créatrice, celle qui protège la vie, la femme forte et courageuse, la femme de sagesse et de justice. On parle de la déesse des origines ; on nomme Ishtar guide du peuple et prophétesse, Isis en Égypte, Gaïa en Grèce, Gériatrie, la Celte en Irlande qui régnait sur toutes les activités humaines, animales et végétales et encore bien d’autres. Le temps pour les hommes de la fascination envers la femme avant que soit connu le rôle de l’homme dans sa paternité, le mystère de la naissance. On ne sait si nous pouvons parler d’un matriarcat mais il est là nécessaire de ne plus penser en termes de domination et de hiérarchie mais plutôt en termes de symétrie. Les fouilles archéologiques ont largement confirmé cette hypothèse de l’un vaut l’autre et de chacun sa puissance spécifique dans la complémentarité.

Lorsque l’homme prend la mesure de son rôle dans le mystère de la naissance, les femmes ne sont plus alors dans le groupe humain séparée des hommes. Peu à peu c’est alors développé la prise de pouvoir du masculin sur le féminin. La déesse est détrônée. La force animale combative, guerrière, fait des femmes, petit à petit des servantes, des sous-hommes, elles sont chosifiées, utilisées, manipulées, tuées. C’est l’époque du faire, du fer : les femmes sont poussées par le « laisse-moi faire » masculin. Aujourd’hui, elles sont mère et père à la fois et ce n’est même pas suffisant. Un sentiment de honte et d’infériorité face au monde reste profondément imprégné en elles. Cependant dans le contexte actuel d’état d’urgence, face à une violence planétaire qui va s’exacerbant, face à une possible extinction du genre humain, se produit un nouveau saut de conscience. Le féminin veut se retrouver et reprendre ses droits. Pour les femmes tant mises à mal, il a toujours été impératif de sans cesse grandir, de reconnaitre en elles la puissance de la vie complète et entière.

Après la domination absolue qu’elles ont dû subir, après s’être rebellées, elles se sont connectées à leur animus, au masculin en elles. Malheureusement, à l’image du masculin qu’elles connaissent, qu’elles ont intériorisées, elles se font trop souvent homme, toujours au service d’un monde fait et voulu par les hommes. Les hommes, petit à petit se connectent eux aussi à leur anima, à la part de féminin en eux, malheureusement à l’image d’un féminin soumis, faible, souffrant. Et cependant ces nouvelles femmes qui savent tout faire (les enfants, la maison et le travail), ces femmes les effraient. Nous en sommes au « chacun pour soi ». Le couple reste l’endroit privilégié où se révèle cette difficulté à vivre en paix les uns avec les autres. On peut espérer que la conscience des femmes et des hommes, la conscience qu’ils ont d’eux-mêmes va aller grandissant, que la connaissance des capacités qu’ils ont en propre va cesser de s’opposer pour se conjuguer. Plus de notion de sacrifice mais au contraire une quête de l’autonomie intérieure, la réciprocité du donner et du recevoir. Trouver un art de vivre à deux dans l’intimité et la complicité, dans l’authenticité, dans une fraternité n’excluant pas le désir. Je pense que ce couple nouveau est le pilier fondateur de la possibilité de quitter ce monde guerrier, cette civilisation du conflit, de la peur et du sang versé, la fin de la guerre des sexes, la fin de la période du vouloir. Un équilibre entre ces trois fondements de l’être : le sentir, le faire et le vouloir. Trouver hommes et femmes réunis, la voie du cœur, de la sagesse, de l’équilibre et de la paix sur cette planète.

Image : © Françoise Pétrovich, Rougir, 2005

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