Hommage à Luc Carton

09-07-2024

Le décès de Luc Carton nous laisse très ému·es.
Au-delà de son travail déterminant pour le secteur de l’éducation permanente en particulier, dont il a été un ardent défenseur, soucieux de justesse et de justice dans la mise en œuvre de la démocratie culturelle, il a été un véritable soutien et ami pour Culture & Démocratie.
Retraité du ministère de la Culture, il avait rejoint notre association qu’il accompagnait comme inspecteur depuis plusieurs années déjà. Si, au cours de l’année écoulée, son état de santé l’a éloigné physiquement de nos discussions et de nos travaux, ses propositions et sa pensée continuent aujourd’hui − et continueront − de les nourrir.

✦ « Cultiver et démultiplier la démocratie », par exemple, texte en forme de programme qui répond au naufrage annoncé des États de droit en Europe. Luc nous y invite à « entreprendre une autre manière de faire démocratie, plus continue, plus profonde, plus intense, plus délibérative, plus contributive : chacune et chacun doit pouvoir y contribuer, en mobilisant son expérience, son savoir, sa raison, son intelligence du monde à faire ».

✦ Sa très belle prise de parole en 2021, lors d’une tribune de Bezet La Monnaie Occupée, nous rappelle que « nous sommes des êtres de fiction, des êtres qui inventent des mondes dans le monde, des êtres qui accouchent des mondes invisibles, des êtres qui explorent les mondes intérieurs, des êtres qui déplacent des montagnes dans leur tête et créent des océans dans leur cœur, des êtres de rêves idiots et de désirs fous, des êtres incertains, des êtres en recherche, tous divisés et différents, tous égaux, tous politiques ». Il y redit l’importance de prendre soin « des fictions de l’autre, de tous les autres », car « elles nous sont toutes indispensables pour vivre, aimer et continuer à commencer de changer de “Régime” ».

Ses paroles et ses écrits résonnent pour nous aujourd’hui, individuellement et collectivement. Ils nous accompagneront durablement. Nous remercions Luc pour son soutien et son amitié et rassemblons ici, en patchwork, quelques pensées de nos membres.

✦ « Cher Luc, cher co-(président),

Nous quitter entre les deux tours des élections en France… tu as fait fort ! Quel est donc le message ? Trop écœuré par les résultats du premier tour ? Pas le courage de voir ce qui ressort du deuxième ? Nous rappeler que, quoi qu’il arrive ce dimanche, nous ne partons pas de zéro ? Que nous avons une histoire, nous avons des outils et ce pouvoir d’analyse, d’imagination et d’action que le “législateur” − toi-même, en fait – nous reconnait dans les décrets (ton décret ?). Édit du lundi matin : qu’aurais-tu pensé en ouvrant aujourd’hui ta version papier du journal Le Monde ?

Merci Luc de nous avoir accompagné·es dans cette réflexion sur les droits culturels, leur incarnation dans les pratiques et ce qu’ils représentent pour les professionnel·les : une opportunité de travail sur nos visions du monde, et du monde à venir, dans chaque instance de notre « être ensemble ». Au travail, à l’école, dans les territoires, dans la « culture », à l’hôpital, dans le soin, dans la fin de vie. Ta vision du monde à toi a toujours été ressourçante : pleine de curiosité, d’amour et d’espoir, jamais neutre ni cynique, tout le contraire. Le cynisme, l’ennemi suprême !

Beaucoup sera écrit dans les jours, semaines, mois qui viennent sur ta contribution à cette réflexion sur les droits culturels et au-delà. Nous avons entamé ensemble dans Culture & Démocratie la réflexion sur la dimension culturelle des (autres) droits humains lors de notre co-présidence. C’est ce chemin que Culture & Démocratie continue à suivre, avec les ami·es de Fribourg, en concevant une mise au travail des droits culturels dans la pratique et au-delà des silos des politiques publiques.

J’ai envie de rappeler ici surtout l’enseignement (jamais présenté comme tel) qui restera le plus : ton gout pour la vie, “croquante et ardente”, comme tu le dis. Cette chose qu’on prend parfois trop au sérieux là où il n’y a pas de raison, oubliant les endroits où elle l’est vraiment. Tu étais souvent là pour nous rappeler à ces endroits. Je repense à ces mots que j’associe à ta personne, à ton français, à ton accent belge, à ta voix : “C’est gai !” C’est sans doute dans l’absolu l’expression que je t’ai entendu dire le plus. Quand je voudrai me rappeler ta voix, je penserai à ça : “C’est gai !”, ou “Chouette !”, puis oui, évidemment “travail d’expression, d’analyse et de délibération”, ton mantra, “démocratie a-p-p-r-o-f-o-n-d-i-e” … avec tes adjectifs souvent prononcés plus lentement à en souligner le poids conceptuel. “Communiste é-v-o-l-u-é”.

Lors de notre co-présidence, nous nous amusions à nous appeler “les co-co”, ça nous faisait bien rigoler. Que devient-on quand on perd son co- ?

Merci Luc, tu restes avec nous. »
— Irene

✦ « Intelligence vive.
Analyste fin, aigu, pertinent.
Observateur exigeant et engagé.
Pourfendeur inlassable de l’injustice et des inégalités et des inconsequences du Politique.
Humour aussi.
Il fut très nourricier et stimulant pour Culture & Démocratie. »
— Sabine

✦ « Je ne l’ai pas côtoyé de près, je n’ai pas été un proche, ni même un familier, mais travailleur du secteur culturel durant quelques décennies, il me semble avoir toujours entendu parlé de Luc Carton. Beaucoup l’évoquaient comme leur ayant fait l’effet d’une boussole ; de quelqu’un enfin qui, alors qu’ils·elles avaient le nez dans le guidon de l’action culturelle, se dégageait de la grisaille du ministère pour apporter du sens, du contenu. Je me souviens de certaines de ses interventions dans des débats ou des colloques, de ces colloques parfois interminables, plein d’égarements. Il se trouvait toujours quelques grincheux·euses pour marmonner contre l’intello élitiste de service. Je garde plutôt le souvenir de propos exigeants et clairs, théoriques et utiles pour le faire, qui prenaient soudain de la hauteur par rapport à ce qu’on entendait depuis des heures. Pas de la hauteur pour son ego. Non, quelque chose qui dispensait à chacun·e d’attentif·ve cette capacité d’élévation indispensable pour avancer, analyser, partager, se projeter dans l’agir avec des idées claires, réconfortantes, propices à croire en ce que l’on fait. Il avait une exigence et une rigueur “affables”, bienveillantes, soucieuses de placer, dans tous les rouages du quotidien, l’esprit de la culture de la démocratie…

Retraité du Ministère de la culture, quand il décida de rejoindre Culture & Démocratie, je me réjouis de pouvoir échanger plus directement avec lui, de travailler avec lui à donner de nouvelles impulsions à l’association. Malheureusement, la maladie l’empêcha de concrétiser, dans les missions de Culture & Démocratie, l’héritage d’une longue expérience sur les droits culturels, d’une longue réflexion prospective sur la stratégie culturelle à déployer dans une société comme la nôtre, toujours menacées par les forces anti-démocratiques, qu’elles soient capitalistes, patriarcales, ou directement d’extrême droite… Néanmoins, il n’est pas sans avoir laissé des apports qui restent importants dans la dynamique réflexive de l’association, dans ce travail continu pour penser et repenser l’évolution d’une action associative… »
— Pierre

✦ « Luc a toujours donné une analyse éclairante et profondément ancrée dans la dimension philosophique la plus humaine possible, comme sa référence à la définition de la culture de la Déclaration de Fribourg, et plus récemment son texte percutant et superbe sur les activités essentielles pendant le Covid, “écrit d’un jet”, avait-t-il précisé. »
— Vincent

✦ « Je garde le souvenir d’un homme généreux, visionnaire, profondément démocrate, et surtout très attaché à la démocratie culturelle et aux droits culturels qu’il a promus sans relâche. »
— Bernard

✦ « Cela faisait un bon moment qu’il avait dû prendre du recul en nous laissant avec ce vide ; nous savons ce que nous perdons, mais aussi ce qui va rester.
Cela fait plaisir de lire qu’il est parti libre et déterminé. Il aimait beaucoup vivre.
On se souviendra de son esprit vif, brillant, de son éloquence impressionnant.
Il n’avait pas peur de la complexité et nous poussait à l’embrasser à notre tour, avec bienveillance et exigence.
Il était un grand défenseur des droits culturels et des dimensions culturelles des droits humains, de l’égalité de tout·es dans nos différences multiples.
Il nous laisse avec beaucoup de questions sur le travail de la démocratie culturelle, sur la culture de la démocratie, à un moment où nous nous devons de garder ce rêve vivant.
Continuons à alimenter le feu de son engagement 🙂 »
— Liesbeth

✦ « Envie de rendre hommage à Luc que je connais depuis longtemps et qui m’a toujours ébloui par la pertinence de ses analyses, par une parole libre et forte, par un combat inlassable pour la culture et la démocratie. »
— Bernadette