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Dossier

Imaginaire collectif et réalité

Rosa Amelia Plumelle-Uribe, avocate et essayiste

17-10-2022

Qui produit les grands récits historiques nourrissant nos imaginaires sociétaux et nos représentations du monde ? L’anthropologue haïtien Michel-Rolph Trouillot parle de « silences » qui entrent dans la narration historique, induisant l’inscription dans les imaginaires de l’impossibilité de récits autres. On pense, évidemment, au discours de TINA, There is no alternative  et aux multiples oppressions et aliénation qu’il recouvre. Rosa Amelia Plumelle-Uribe s’intéresse particulièrement à l’histoire coloniale et à ses conséquences dans les imaginaires contemporains. À travers des exemples précis, elle entend mettre au jour des contre-récits afin de libérer l’imaginaire social et changer les mentalités.

Voici cinquante ans environ j’ai lu quelque part que, dans une société, rien n’est plus difficile à faire changer que les mentalités. Même l’homme ou la femme de science, le ou la scientifique impartial·e qui veut démontrer que tel ou tel préjugé ne repose sur aucun fondement, aura du mal à s’en débarrasser. Les peuples autrefois colonisés ont subi, fatalement, une dévaluation de leur culture ancestrale. Dévaluation dont le corollaire est la survalorisation de la culture du groupe colonisateur. Il en résulte un processus d’acculturation qui conduit les victimes de la colonisation à épouser et embrasser les préjugés, la perception, les théories, le mépris de celles et ceux mêmes qui les anéantissent. Cette adhésion des victimes à l’univers idéologique des victimaires est, probablement, la victoire la plus perdurable et pernicieuse de la domination coloniale.

En effet, l’acculturation des colonisé·es est née des besoins de la domination coloniale, laquelle, dans la longue durée ne pouvait pas reposer exclusivement sur la force des mitrailleuses, des fusils et des blindés. Dans un premier temps, la violence exercée dans sa plus brutale manifestation peut suffire pour frapper l’esprit et terroriser la population. Mais cela ne suffit pas pour assurer le contrôle sur l’imaginaire collectif et sur l’esprit de la population, condition sine qua non pour normaliser la domination dans le cerveau des victimes.

La fabrication de la docilité et le contrôle de l’esprit, qui étaient un effet ou une conséquence de la domination coloniale, sont devenues la cause de la reproduction et pérennisation de la domination occidentale sur une partie considérable de l’humanité.

À présent, la fabrication de la docilité et le contrôle de l’esprit, qui étaient un effet ou une conséquence de la domination coloniale, sont devenues la cause de la reproduction et pérennisation de la domination occidentale sur une partie considérable de l’humanité. La réalité de cette situation rend indispensable et, en même temps, très difficile la déconstruction efficace des narrations historiques qui ont capturé et emprisonné le cerveau des colonisé·es. Car la normalisation de l’asservissement mental et son intériorisation placent le groupe asservi dans l’incapacité de comprendre où se trouve son intérêt.

Nous ne pouvons pas (et personne ne pourrait) dresser une liste exhaustive avec tout le cumul de falsifications historiques qui, depuis de siècles, ont manipulé le cerveau et rempli l’imaginaire des colonisés. En revanche, on peut quitter les sentiers battus et réfléchir aux idées reçues à partir desquelles, nous réagissons et agissons quotidiennement. Cela veut dire réviser et remettre en cause ces narrations consensuelles devenues des vérités inamovibles, grâce à « l’exercice différentiel du pouvoir qui rend possible certaines narrations et d’autres nonn ». Ces narrations historiques consensuelles, dont le fondement n’est même pas l’objet d’une analyse, sont nombreuses ; en voici quelques-unes.

La chasse au scalp
Pour l’avoir regardé au cinéma ou l’avoir lu dans des magazines adressés aux jeunes, nous avons appris qu’aux États-Unis d’Amérique, à l’ouest, les Indiens avaient l’habitude de scalper les malheureux hommes, femmes ou enfants européen·nes qui tombaient entre leurs mains. C’est-à-dire, qu’ils arrachaient à leurs victimes la chevelure avec la peau qui recouvre la boite crânienne. Et lorsque j’ai consulté le dictionnaire Larousse de la Langue Française, sous l’entrée « scalp », j’ai trouvé ceci : « Chevelure détachée du crâne avec la peau, et que les Indiens d’Amérique conservaient comme trophée […] ; Danse du scalp, danse pratiquée par les Amérindiens en agitant des scalps ; manifestation de joie féroce après un succès remporté sur un adversaire. Scalper : Détacher la peau du crâne avec un instrument tranchant. »

Et de fait, quand nous entendons prononcer le mot « scalp », il nous vient à la mémoire l’image visuelle d’un Indien en train de scalper la tête d’un Européen. Pourtant, la réalité de la chasse au scalp est non seulement différente, mais elle est carrément opposée à cette narration mensongère construite par le pouvoir colonial, normalisée, enracinée dans l’imaginaire populaire et validée par l’académie elle-même. Ainsi, dès le XVIe siècle l’Angleterre entreprit, en Irlande, une colonisation de peuplement, c’est-à-dire l’expropriation massive de la terre et l’expulsion des indigènes irlandais·es remplacé·es par des colons originaires d’Angleterre, d’Écosse et du pays de Galles.

La résistance tenace opposée par les Irlandais·es fut noyée dans le sang avec une violence extrêmement meurtrière. Afin de stimuler la chasse aux indigènes, le gouvernement anglais introduisit le paiement des primes en échange de têtes irlandaises. Plus tard, devant ce succès, seuls les scalps ou les oreilles, plus faciles à transporter, furent requis. C’est ainsi que, dans la modernité, le gouvernement de sa gracieuse majesté britannique introduit la chasse au scalp en Irlande sous domination coloniale anglaisen.

L’Europe a la mainmise sur la construction de l’histoire mondiale.

Comme le temps passe et les mœurs restent, des années plus tard, en Amérique du Nord, les autorités de sa majesté coloniale britannique ont inauguré et institutionnalisé le paiement des primes en échange de têtes et scalps d’Indien·nes, adultes ou enfants. Car face à la résistance des nations indigènes, les colons menèrent une guerre totale contre les civils, sans tenir compte du genre ni de l’âge des victimes. Donc afin de stimuler l’engagement des chasseurs d’Indien·nes, les gentlemen du gouvernement de sa gracieuse majesté britannique introduisirent en Amérique la chasse au scalpn, comme ils l’avaient déjà introduite auparavant en Irlande.

La chasse au scalp devint un élément permanent et durable des guerres coloniales d’extermination contre les nations indigènes. Lors de la guerre contre les Pequots, les élites du Connecticut et du Massachussetts offraient et payaient des primes en échange des scalps des indigènes passés par le fer. La chasse au scalp fut bientôt une pratique commerciale lucrative, une entreprise profitable. Avec une singulière cruauté, les colons surnommèrent « Peaux-Rouges » les corps mutilés et sanglants des indigènes qu’ils abandonnaient après avoir récolté les scalpsn.

Cependant, à cause de la manipulation du cerveau et de la saturation de l’imaginaire, quand nous entendons prononcer le mot scalp, il nous vient à la mémoire l’image visuelle d’un Indien en train de scalper la tête d’un Européen. Mais, il ne nous vient jamais à la mémoire l’image visuelle d’un gentleman anglais en train de scalper la tête d’un Irlandais en Irlande ou la tête d’un indigène en Amérique du Nord. Ce mensonge est devenu une histoire consensuelle parce que, comme l’a démontré Jack Goody : « À partir d’évènements qui se sont produits à son échelle provinciale, l’Europe a conceptualisé et fabriqué une présentation du passé toute à sa gloire et l’a imposée à d’autres civilisations. […] Depuis le début du XIXe siècle, suite à la présence que lui ont assuré dans le reste du monde son expansion coloniale et sa Révolution industrielle, l’Europe a la mainmise sur la construction de l’histoire mondialen. »

Le pouvoir esclavagiste ne laissait aux victimes aucune possibilité d’interpréter leur passé à partir d’un autre point de vue, et encore moins de déterminer la production de leur propre histoire.

Supériorité morale vs infériorité morale
Outre l’infériorité raciale attribuée aux Africains et aux Africaines, il leur a été attribué aussi une infériorité morale qui serait à l’origine de la vente d’Africain·es par d’autres Africains. À partir de là, il a été dit et répété avec insistance que la traite négrière transatlantique eut lieu parce que les Africain·es, pratiquant l’esclavage de longue date, avaient la fâcheuse habitude de se vendre les un·es les autres. Alors qu’en Europe, l’esclavage aurait été banni dès la fin de l’Antiquité. Pour prouver la validité de ce postulat, on rappelait qu’à partir du VIIe siècle une certaine Afrique était devenue pourvoyeuse d’esclaves exporté·es vers les pays musulmans.

Le peu de place accordé à l’Afrique, aussi bien dans le discours destiné au plus grand nombre que dans les manuels scolaires, y compris des ouvrages spécialisés, était orienté vers le renforcement de la conviction que la traite des Noir·es avait été le fait des Africains eux-mêmes ; que les Européen·nes avaient été, juste, des intermédiaires entre les courtiers africains qui vendaient leurs frères et sœurs, leurs enfants, leurs parents en Afrique, et les planteurs qui en Amérique avaient besoin de main d’œuvre. La transmission de cette narration historique, des siècles durant, servit à enraciner et normaliser le sentiment d’une supériorité morale des Européen·nes dont le corollaire serait « l’infériorité morale des Africain·es ».

Il est évident que l’interprétation des complicités locales en Afrique a été produite par les mêmes qui contrôlaient le trafic négrier transatlantique. Et personne ne saurait contester que, dans le paradigme occidental, cette narration historique a été construite exclusivement du point de vue de ceux et celles qui détenaient le pouvoir esclavagiste. Cette histoire faisant de la vente de ses propres enfants une exclusivité de l’Afrique, reçue sans aucune réserve d’inventaire, est devenue plus ou moins consensuelle pour tou·tes, y compris parmi des descendant·es d’Africain·es déporté·es vers l’univers concentrationnaire d’Amérique. Car, le pouvoir esclavagiste ne laissait aux victimes aucune possibilité d’interpréter leur passé à partir d’un autre point de vue, et encore moins de déterminer la production de leur propre histoire.

Le sentiment de supériorité morale chez les Occidentaux et Occidentales par rapport aux Africain·es est perceptible encore aujourd’hui, y compris dans des travaux dont les auteur·ices, reconnu·es comme étant des chercheurs et chercheuses objectives, scientifiques, ne sont pas soupçonné·es de racisme. Dans les années 1980, une spécialiste de la traite des Noir·es assurait de façon catégorique : « Loin de nous l’intention de chercher des excuses aux Européens ; mais il faut reconnaitre que les Africains furent en partie responsables de leurs malheursn. » Ils ne furent peut-être pas complètement responsables mais leur responsabilité est posée d’emblée et cette narration n’a plus besoin d’une démonstration.

La prétendue « supériorité morale » des Européen·nes n’a jamais existé dans la réalité. Ce mensonge existe dans l’imaginaire collectif grâce et seulement grâce au rôle déterminant du pouvoir sur le processus de production de l’histoire.

Et encore au XXIe siècle, le mensuel français Le Monde Diplomatique, dont le côté progressiste ainsi que la rigueur des enquêtes n’est plus à démontrer, a consacré un dossier à l’histoire de l’esclavage et de la traite des Noir·es sous le titre « Approches américaines de l’histoire de l’esclavage ». L’auteur de ce dossier, un historien de l’université de Pennsylvanie, soutient : « La traite atlantique se développa dans le cadre de l’expansion des relations commerciales entre Européens et Africains de l’Ouest, et surtout à partir de systèmes d’esclavage et de trafic existant en Afrique depuis fort longtemps. […] Dès le IXe siècle, leur trafic, florissant, se développa entre l’ouest et le nord de l’Afrique, puisant dans les circuits dominés par les musulmans sur le pourtour méditerranéen et au Moyen-Orient. Autrement dit, le commerce atlantique des esclaves fut moins une réalité imposée par l’Europe à l’Afrique qu’une variante distincte d’un système déjà en placen. »

Lorsque nous avons signalé l’absence d’empathie et le mépris que ce discours traduit envers les Africain·es, il nous a été expliqué combien il est difficile de développer sympathie ou compassion à l’égard d’un continent où les gens se vendaient les uns les autres comme de la marchandise. Soit. Mais un éclairage sur le commerce d’êtres humains réduits en esclavage donne une vision moins étriquée à ce sujet. Dans l’Antiquité, quand l’Afrique n’avait pas encore perdu sa souveraineté, il n’est pas attesté l’existence d’un commerce d’êtres humains, dans un système esclavagiste juridiquement réglé, comme cela était le cas dans les systèmes esclavagistes romain et grec.

Les Européens, loin d’avoir mis fin au commerce d’esclaves après l’Antiquité, ont continué à se vendre les uns les autres. À partir du VIIIe siècle, et jusqu’à la fin du Moyen Âge, une certaine Europe était devenue pourvoyeuse d’esclaves exporté·es vers les pays musulmans. Des hommes, femmes et enfants européens étaient vendu·es par d’autres Européens aux marchands juifs qui les acheminaient vers les marchés musulmans. Si bien qu’à la fin du VIIIe siècle, rappelle Charles Verlinden « les esclaves étaient l’article d’exportation le plus important de l’Europe occidentale et centrale vers le monde islamiquen ».

On castrait des esclaves pour en faire des eunuques destinés à l’exportation vers l’Espagne musulmane et l’Orient musulman. Au Moyen Âge, à cause de la demande extérieure d’eunuques, leur fabrication fut certainement stimulée et quelques centres de castration hautement spécialisés, dont les manufactures d’eunuques installées à Verdun, ont fonctionné dans certains endroits de l’Europen. Dans son ouvrage consacré à l’économie de l’Espagne musulmane au Xe siècle, Lévi-Provençal rapporte que les Slaves « qui étaient destinés à la garde des harems, faisaient l’objet d’un commerce spécial de la part des marchands juifs qui avaient, surtout en France, en particulier à Verdun, d’importantes manufactures d’eunuquesn ». Dozy rapporte que « celle de Verdun était très renommée, et l’on trouvait d’autres dans le Midin ».

Autrement dit, la prétendue « supériorité morale » des Européen·nes n’a jamais existé dans la réalité. Ce mensonge existe dans l’imaginaire collectif grâce et seulement grâce au rôle déterminant du pouvoir sur le processus de production de l’histoire. Mais à présent, nous savons que tout au long du Moyen Âge, il arrivait que des chrétiens européens vendent d’autres Européen·nes, souvent chrétien·nes aussi, à des marchands juifs qui les acheminaient vers les marchés où ils les vendaient aux acheteurs musulmans.

Seule la vérité peut aider à libérer l’imaginaire social, l’esprit et les mentalités.

Vraiment alliés ?
Aux États-Unis d’Amérique, les Afro-descendant·es subissent encore la situation de subalternité coloniale interne, héritée du système esclavagiste qui a fonctionné dans l’univers concentrationnaire d’Amérique. À présent, des descendant·es de négriers et esclavagistes reconduisent et profitent les avantages du racisme normalisé dans la culture de la société blanche nord-américaine. Dans ce combat contre l’oppression raciale et économique, pour avoir dénoncé les profiteurs, des Afro-descendant·es ont été accusé·es d’ingratitude envers les Juif·ves, et une campagne médiatique a présenté les militant·es noir·es comme des antisémites primaires.

En réalité, cette campagne cherchait à criminaliser toute allusion au rôle des esclavagistes et négriers juifs qui, entre le milieu du XVe et le début du XVIIe siècle, ont contrôlé le monopole sur le commerce négrier transatlantiquen. Cependant, l’antisémitisme attribué au mouvement noir a été doublement condamné parce que, suivant une narration largement partagée, les Juif·ves ayant été eux·elles-mêmes victimes de discrimination et persécutions, auraient toujours été du côté des Noir·es contre l’esclavage et le racisme. Si bien que l’unanimité des condamnations envers les Noir·es accusé·es d’antisémitisme traversa la frontière des États-Unis et même l’Atlantique. En voici un exemple parmi tant d’autres.

Le 21 février 2008, l’émission « Grain à moudre », dirigée par Julie Clarini et Brice Couturier sur France Culture, fut consacrée à une critique de l’ouvrage « Le Lobby pro-israélienn », dont la version française venait de sortir. Le duo recevait Pauline Peretz, historienne, spécialiste des États-Unis, chercheuse associée au Centre d’Études Nord-Américaines de l’EHESS ; Jacques Tarnero essayiste, Philippe S. Golub, enseignant en relations internationales, Université de Paris 8, et American University of Paris et Conseiller de la rédaction Le Monde diplomatique ; et Pascal Boniface, directeur de l’IRIS. Des gens crédibles…

Au beau milieu de leur causerie concernant le lobby juif, un des intervenant·es s’est mis à dire : « Je voudrais rappeler quelques éléments d’histoire des Juifs américains. Les Juifs ont été très longtemps du côté des démocrates et ont milité massivement pour les droits civiques des Noirs. Cela a été quelque chose, une grande alliance perturbée par l’irruption au sein du mouvement noir d’un radicalisme du type Malcolm X et Louis Farrakhan qui a brisé cette relation. » Aucune voix dissonante n’est venue altérer cette belle unanimité.

Néanmoins, le professeur Novick, historien nord-américain, auteur d’un ouvrage de référence, a fait la précision suivante : « Nonobstant les mythes élaborés rétrospectivement, il n’y a jamais eu vraiment d’alliance entre Noirs et Juifs au niveau des communautés ou des organisations. Au fil des ans, il s’était trouvé beaucoup de Juifs pour défendre la cause des Noirs mais, à de rares exceptions près, il s’agissait de militants gauchistes et libéraux qui n’avaient guère de lien avec la communauté juive. Tel était assurément le cas des avocats et des étudiants juifs qui travaillèrent volontairement avec le mouvement noir dans le Sud au cours des années soixante. Ni Andrew Goodman ni Michael Schwerner, les militants des droits civils assassinés en Mississipi avec un collègue de travail noir, n’eurent droit à des obsèques juivesn. »

En réalité, le mouvement pour les droits civiques, présidé par le pasteur Martin Luther King, s’est heurté à l’hostilité des élites juives nord-américaines. Et cela était objectivement inévitable parce que « les Juifs occupaient une place de choix parmi les nantis de la société, et l’écart entre les Juifs et les non Juifs, en termes de revenus comme de représentation dans toutes les positions d’élite, se creusa au fil des décennies. Les Juifs avaient tout à perdre et rien à gagner d’une distribution plus égale des récompensesn […] ».

Pour conclure, rappelons que les antagonismes de classe existent partout où il y a des riches et des appauvri·es, des trop nanti·es et des dépossédé·es : « En 1966 les auteurs d’une enquête demandèrent aux Blancs new yorkais si le mouvement des droits civils allait trop vite ou trop lentement. Trois Juifs new-yorkais sur quatre répondirent “trop viten” ». L’efficacité des mensonges traduit l’utilité (pour le pouvoir) de garder la population dans l’ignorance ; condition essentielle pour garantir la manipulation massive sur laquelle repose, largement, la tranquillité des nanti·es.

En conséquence, concernant l’esclavage et le colonialisme il est nécessaire, voire indispensable, à partir du point de vue des victimes, de réviser l’histoire, les récits et les narrations produits dans le paradigme de la domination coloniale occidentale. Car, au fur et à mesure que l’ignorance recule parmi les ancien·nes colonisé·es et que la vérité se fraye un chemin, on découvre combien et comment ceux et celles qui détiennent le pouvoir ont toujours travesti la vérité, manipulé le cerveau et rempli l’imaginaire collectif des peuples avec leurs créations mensongères. Seule la vérité peut aider à libérer l’imaginaire social, l’esprit et les mentalités.

 

Image : Joanna Lorho

1

Michel-Rolph Trouillot, Silenciando el pasado. El poder y la producción de la Historia, trad. de l’anglais par Miguel Ángel del Arco Blanco, Comares, 2017, p. 21.

2

Roxanne Dunbar-Ortiz, Contre-histoire des États–Unis, trad. de l’anglais par Pascal Menoret, Wildproject, p. 75, 92.

3

Jack Goody, Le vol de l’histoire. Comment l’Europe a imposé le récit de son passé au reste du monde, trad. de l’anglais par Fabienne Durand-Bogaert, Gallimard, 2010 (2007) p. 151.

4

Roxanne Dunbar-Ortiz, Contre-histoire des États–Unis, trad. de l’anglais par Pascal Menoret, Wildproject, p. 92.

5

Roxanne Dunbar-Ortiz, Contre-histoire des États–Unis, trad. de l’anglais par Pascal Menoret, Wildproject, p. 109.

6

Liliane Crété, La traite des nègres sous l’Ancienne Régime, Perrin, 1989, p. 9.

7

Steven Hahn, « Approches américaines de l’histoire de l’esclavage », in Le Monde Diplomatique, mai 2006.

8

Charles Verlinden, L’esclavage dans l’Europe Médiévale, Tome ll, De Tempel, 1977, p. 128.

9

Rosa Amelia Plumelle-Uribe, Traite des Blancs, traites des Noirs. Aspects méconnus et conséquences actuelles, L’Harmattan, 2008, p. 23

10

Évariste Lévi-Provençal, L’Espagne musulmane au Xème siècle, Maisoneuve et Larose, 1996, p. 29.

11

Reinhardt Dozy, Histoire des Musulmans d’Espagne jusqu’à la conquête de l’Andalousie par les Almoravides (711-1110), Tome 1er, Université de Leyde, 1861, p. 60.

12

Pour une étude approfondie concernant le monopole des négriers juifs sur la traite des Noir·es, consulter les ouvrages du Professeur José Gonçalves Salvador, notamment le livre Os Magnatas do Tráfic Negreiro: : séculos XVI e XVII, Université de Säo Paulo, 1981. Il a mis en évidence la structure fonctionnelle du trafic négrier transatlantique dans sa globalité, pour une compréhension correcte de l’histoire de la traite des Noir·es et de leur mise en esclavage. Voir aussi Rosa Amelia Plumelle-Uribe, Victimes des esclavagistes musulmans, chrétiens et juifs, Anibwe éditions, 2012.

13

John J. Mearsheimer et Stephen M. Walt, Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine, La Découverte, 2009.

14

Peter Novick, L’Holocauste dans la vie américaine, trad. de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat, Gallimard, 2001, p. 243.

15

Peter Novick, L’Holocauste dans la vie américaine, trad. de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat, Gallimard, 2001, p. 258-9.

16

Peter Novick, L’Holocauste dans la vie américaine, trad. de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat, Gallimard, 2001, p. 245.

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