Juin 2023 - numérique

01-06-2023

Voici l’infolettre de juin 2023 sur le numérique

Édito

L’édito de ce mois de juin est consacré au numérique, comme pourraient l’être tous nos éditos vu « la manière dont le numérique colonise le mental via les pratiques culturelles, tant au niveau individuel que collectif ». Culture & Démocratie lui a consacré une bibliographie introduite et commentée en 2016 (Neuf essentiels pour un numérique humain et critique, Culture & Démocratie), en lien avec le Collectif PUNCH (Pour Un Numérique Critique et Humain). L’objectif de celle-ci était notamment de « replacer l’enjeu sur ce qui doit normalement percoler entre ces deux niveaux [individuel et collectif] pour que les singularités produisent du commun et non pas du néolibéralisme. »

2016 – 2023, 7 ans sont passés et du commun par le numérique, nous en sommes bien loin ! Il suffit de se pencher sur le projet actuel de l’ordonnance « Bruxelles numérique » qui vise à renforcer la mise en ligne des administrations. La carte blanche de l’asbl Lire & Écrire « Bruxelles numérique : une mesure discriminatoire » l’annonce, aujourd’hui, près d’un·e Belge sur deux et deux Bruxellois·es sur cinq sont en difficulté avec le numérique, et ce compris des jeunes (selon le Baromètre de l’inclusion numérique 2022). Ce chiffre augmente pour les personnes défavorisées sur le plan socio-économique (niveau de revenus) et culturel (niveau du diplôme), dont les personnes en difficulté avec la lecture et l’écriture, mais aussi les personnes âgées et certaines personnes en situation de handicap. Cela signifie donc que l’ordonnance « Bruxelles numérique » va imposer, pour des besoins essentiels, une voie d’accès qui met en difficulté une personne sur deux, et soulève, pour certaines, de réelles questions de survie (concernant notamment les droits sociaux). Cette carte blanche revendique des guichets accessibles à tou·tes, un large débat public sur la place du numérique dans la société et s’oppose à l’ordonnance « Bruxelles numérique », au digital par défaut et à la dématérialisation des services au public.

Imaginons en effet… « Au départ, il y a un drôle de bourgmestre et une drôle de machine. La machine, c’est “la QQR ID”. Et avec elle, la promesse de lendemains qui chantent. En ce jour d’inauguration, le bourgmestre se veut confiant. Grâce à ce nouveau guichet, tous les services de la ville seront désormais accessibles en un seul clic. Le discours est convaincant mais, quand le premier citoyen, pas trop lettré et un rien foutraque, se lance, la démonstration part vite en dérapage… non contrôlé. » Il s’agit du descriptif de la pièce de théâtre Numérique, mon amour… proposée par Lire & Écrire (dans plusieurs villes de Belgique du 14 au 23 juin). Toutes les dérives d’une société hyper numérisée seront jouées et racontées par des femmes et hommes qui ne savent ni lire ni écrire.

L’article de Salomé Frémineur, « La littératie à l’heure des machines d’écriture numériques : question de démocratie » (Journal de Culture & Démocratie n°46 — La langue : entre promesses, oublis et dominations, 2018) explicite justement la question de la littératie comme maitrise du langage et de ses médiations à travers le numérique. Pour l’autrice, « la toile ne serait pas le paradis de la libre-expression qu’on annonçait », mais justement une régulation de la parole « par un opérateur non pas étatique ou juridique mais par le code informatique. On retiendra ici le fait qu’avec la médiatisation de l’expression, l’espace public se trouve structuré de manière toujours plus pénétrante par des opérateurs privés. » Ainsi, « connaitre non seulement la programmation mais plus généralement le fonctionnement d’un ordinateur, d’un téléphone permettrait de s’affranchir de l’emprise des GAFA [Google, Apple, Facebook, Amazon, soit les quatre entreprises États-Uniennes les plus puissantes de l’économie numérique], en organisant des réseaux sociaux libres, en hébergeant ses propres données, en surveillant ses traces numériques, etc. »

Pourquoi ? Eh bien, « dans cette optique, notre aliénation par rapport aux opérateurs numériques parait pouvoir être dépassée par l’acquisition d’une connaissance technique qui nous permettrait de regagner le rapport au langage sur lequel repose la démocratie. » Et ça tombe bien, ce vendredi 2 juin a lieu le quatrième volet de la formation « Numérique de terrain : Reprendre la main face à la digitalisation du monde » proposée par le collectif PUNCH. Au programme, un travail d’enquête sur les effets sociaux de la numérisation à travers trois expérimentations en cours (les journées de travail social sur la place publique, organisées par la Coordination sociale de Laeken, l’écriture collective d’un Code du Numérique, organisée par les Habitant·es des images — Pour que le numérique s’adapte à l’humain et non l’inverse, et la contestation de la nouvelle ordonnance « Bruxelles numérique », mentionnée précédemment.) Mais aussi une série de questions pratiques autour de l’implémentation de dispositifs numériques face à la dévalorisation de tous les savoirs de terrain.

En vous rendant à cette formation, vous aurez peut-être été reconnu·es facialement dans l’espace public bruxellois ! Enfin, pas vraiment, car aujourd’hui, il n’existe aucun cadre légal permettant à la police de recourir aux technologies de reconnaissance faciale en Belgique mais des essais sont en cours. Une coalition d’associations rassemblée autour du slogan « Protect my face » diffuse actuellement une pétition qui sera adressée au Parlement bruxellois pour demander son interdiction. Les associations craignent que la légalisation et l’usage de cette technologie n’entravent les droits fondamentaux, particulièrement des minorités. Il était déjà question de surveillance numérisée dans l’article « Pistage dans le cyberespace » de Corentin (Journal de Culture & Démocratie n°53 — Territoires, 2021). La généralisation de l’usage de la téléphonie mobile, du bornage par les antennes wi-fi et de la pratique de stockage dit « cloud » a fait émerger de nouvelles manières d’appréhender les déplacements dans l’espace public. En collectant massivement nos données privées dans certains espaces publics, ces dispositifs de surveillance − cartographiés par le collectif Technopolice − mettent à mal la protection de celles-ci. En outre, ils surdéterminent nos comportements, car si le pistage numérique aide à prédire les déplacements des foules, il permet aussi de les diriger sans qu’elles en aient conscience. En modifiant ainsi nos manières d’appréhender et d’habiter collectivement l’espace public, ces dispositifs ne présentent-ils pas un risque pour une approche véritablement émancipatrice de celui-ci ? Et si oui, comment en sortir ?

Si vous souhaitez en apprendre plus sur l’espace public numérique, rendez-vous le jeudi 15 juin à la Maison du livre à Bruxelles où sera posée la question « Faut-il des villes intelligentes ? », par plusieurs membres des collectifs PUNCH et Technopolis, Tyler Reigeluth (philosophe, auteur du livre L’intelligence des villes – Critique d’une transparence sans fin) et Renaud-Selim Sanli (libraire et éditeur de l’ouvrage chez Météores).

Si c’est plutôt l’hypersurveillance en général qui vous intéresse, le journal Médor a aussi largement enquêté sur le sujet à travers le numérique dans les sphères policières, privées et sanitaires.

Enfin, si la lecture ou les rencontres ne sont pas votre passion, vous pouvez écouter le podcast de la soirée « Reconnaissance faciale : comment y échapper ? » avec Remy Farge (LDH – Ligue des droits humains), Peggy Pierrot (Tactic asbl), Chloe Berthelemy (EDRi – European Digital Rights) et Corentin (Technopolice) qui est disponible sur Radio Panik.

Numériquement votre,

Références :
Neuf essentiels pour un numérique humain et critique, Culture & Démocratie, 2016.
♦ « Bruxelles numérique : une mesure discriminatoire », asbl Lire & Écrire, 2022.
♦ « La littératie à l’heure des machines d’écriture numériques : question de démocratie » (Journal de Culture & Démocratie n°46 — La langue : entre promesses, oublis et dominations, 2018.
♦ « Pistage dans le cyberespace » de Corentin (Journal de Culture & Démocratie n°53 — Territoires, 2021.
L’intelligence des villes – Critique d’une transparence sans fin, Tyler Reigeluth, éditions Métérores, 2023.
Hypersurveillance, dossier journal Médor, 2021.
♦ « Reconnaissance faciale : comment y échapper ? », podcast, Radio Panik, 2023.

 

un CONCEPT pour juin

« Gouvernementalité algorithmique et perspectives d’émancipation le disparate comme condition d’individuation par la relation ? » Antoinette Rouvroy et Thomas Berns, Réseaux n° 177, La Découverte, Paris, 2013.

La « gouvernementalité algorithmique » est un mode de gouvernement nourri de données brutes, qui, en modifiant l’environnement physique et informationnel des individus, en vient à affecter leur comportement. Il opère en trois « temps », tous automatisés, qu’Antoinette Rouvroy et Thomas Berns décrivent dans une première partie : le temps de la récolte et le stockage des données, le temps du traitement de celles-ci (dataming) en vue de faire émerger du sens, et enfin le temps de l’usage des connaissances ainsi produites « à des fins d’anticipation des comportements individuels » (p. 171). Soulignant le paradoxe selon lequel «désormais, pour éradiquer ou minimiser l’incertitude, on s’en remet à des “appareils” non intentionnels, c’est-à-dire des machines a-signifiantes, en abandonnant de la sorte l’ambition de donner de la signification aux événements » (p. 174), les auteur·ices mettent en avant que la gouvernementalité algorithmique ne s’adresse plus au sujet en tant que corps physique ou pensant mais bien plutôt à travers les profils multiples qui lui sont automatiquement assignés sur base des traces numérisées de son existence.

Ce livre a été résumé et commenté dans le Neuf essentiels pour un numérique humain et critique, Culture & Démocratie, 2016.

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un LIVRE pour juin

Sébastien Broca est sociologue au Centre d’études des techniques, des connaissances et des pratiques de la Sorbonne. Dans Utopie du logiciel libre : du bricolage informatique à la réinvention sociale, il s’emploie à montrer comment le Libre « s’est progressivement étendu hors du domaine informatique et a ainsi acquis une vraie portée utopique ».

Ce livre a aussi été résumé et commenté dans le Neuf essentiels pour un numérique humain et critique, Culture & Démocratie, 2016.

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chez nos AMI·ES

L’asbl Tactic avec qui nous travaillons régulièrement et qui nous aide notamment pour notre transition vers du « tout libre » sort sa revue Curseurs, pour réfléchir la société numérique.

Curseurs est un nouveau journal gratuit distribué à 5000 exemplaires qui se veut un espace de sensibilisation, de débat, d’information et d’analyse des technologies numériques et de ses enjeux politiques et sociaux.

Le premier numéro qui vient de sortir est : « Smartphones ! Le coût du confort ».

Pour introduire une réflexion critique sur le numérique, quel meilleur sujet que ce petit ordinateur, qui tient dans notre poche, nous permet en tout lieu et à toute heure d’accéder à nos vies numériques, mais qui en concentre aussi quantité de problématiques ?

Curseurs est disponible dans plusieurs endroits à Bruxelles : lieux culturels ou d’éducation, librairies, bars… (si vous n’arrivez pas à mettre la main dessus, contactez info@curseurs.be), mais vous pouvez également la recevoir directement chez vous en vous abonnant.

Les articles seront en ligne sur le site de la revue, un ou deux mois après la sortie du journal papier !

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Plateforme d’observation des DROITS CULTURELS

Atelier artistique autour du tressage végétal, encadré par le Centre culturel d’Ourthe et Meuse

L’arrivée timide de l’été annonce petit à petit la clôture des suivis avec les centres culturels des actions observées cette année dans le cadre de la recherche participative menée par la plateforme.

Thibault Galland, chargé de recherche, a pu assister à la valorisation des œuvres réalisées par les participant·es d’un atelier artistique autour du tressage végétal, qui était encadré par le Centre culturel d’Ourthe et Meuse. L’enthousiasme était palpable et l’envie était sincère de contribuer à l’embellissement du quartier Kimkempois à Liège. Un atelier intergénérationnel qui a travaillé à partir de l’art les modalités de l’engagement citoyen au sein du quartier.

En savoir plus sur la plateforme

 

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L’infolettre de Culture & Démocratie est une sélection de plusieurs de nos contenus d’archives ou récents qui sont mis en lien avec des actualités. Les éditos présentent donc chaque fois une thématique différente à travers diverses réflexions et points de vue partagés dans nos productions.