- 
Dossier

La culture en chiffres... et les femmes ?

Alexandra Adriaenssens
Directrice de la Direction de l’Égalité des Chances du ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles

26-06-2019

Les données chiffrées pour mesurer d’éventuelles inégalités en matière de genre en Fédération Wallonie-Bruxelles sont très rares et quasiment inexistantes dans le domaine culturel. La direction de l’Égalité des Chances a mené un travail de fourmis pour récolter quelques données. Cet article nous en livre les résultats.

La Direction de l’Égalité des Chances du ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) est chargée de promouvoir l’égalité des femmes et des hommes dans l’ensemble des compétences de la FWB. Et comme tout le monde le sait, pour travailler les questions d’égalité, il faut un point de départ : la mesure des inégalités, par des données chiffrées et, si possible, des indicateurs. En septembre 2004, la FWB a réalisé un état des lieux des types de données statistiques disponiblesn. Les résultats ont montré que les indicateurs nécessaires pour mener une politique proactive en matière de genre sont transversaux par rapport à la plupart des compétences de la FWB mais que, concrètement, il n’existe pas de lieu qui, au sein de l’administration permettent d’avoir une vision globale des séries statistiques récoltées par les services fonctionnels et/ou par des producteurs de données de seconde ligne, tels les Observatoires, le Service de la Recherche, etc. En clair, cela signifie qu’il fallait littéralement aller fouiller dans les données de chaque service pour avoir accès aux informations, quand elles étaient récoltées…
Aujourd’hui, en 2019, la situation a bien évolué. Depuis plusieurs années, la FWB publie « La Fédération Wallonie-Bruxelles en chiffres ». Cette étude présente « l’étendue des actions de l’institution au peigne fin et la traduit sous forme de données chiffrées, de tableaux comparatifs et de graphiques. Le tout offre un point de vue statistique complet de ses activités, ses budgets, ses publics et partenaires. Du nombre de participants aux points verts, en passant par le taux de dépistage de la surdité chez les nouveau-nés ou encore le relevé des “indicateurs en matière de responsabilité sociétale” qui permettent de mesurer l’action de la FWB dans les différents domaines de vie, tout y passe… ».
Malheureusement, dans l’édition 2018, les données désagrégées par sexe restent rares. Dans le domaine culturel, elles sont inexistantes. Que cela soit en matière d’audience, de public, du nombre d’opérateurs soutenus par secteur par la FWB, nous ne saurons rien en matière d’(in)égalité des femmes et des hommes. Il en est de même pour les dépenses de consommations culturelles moyennes par an et par région qui, issues de « L’enquête sur le budget des ménages 2016 », sont présentées par ménage.

les données désagrégées par sexe restent rares. Dans le domaine culturel, elles sont inexistantes. Que cela soit en matière d’audience, de public, du nombre d’opérateurs soutenus par secteur par la FWB, nous ne saurons rien en matière d’(in)égalité des femmes et des hommes

Un travail de fourmis

En 2014, la Direction de l’Égalité des Chances a été sollicitée par l’association Vie Féminine qui souhaitait disposer de données pour son université d’été consacrée aux femmes dans le secteur culturel. La même année, a été publiée la quatrième édition de la publication Focus Culture. Une aubaine ! Las… Se voulant « informative et transparente pour donner les éléments clés à l’ensemble des acteurs et des usagers de la Culture en Fédération Wallonie-Bruxelles », cette quatrième édition ne contenait aucune donnée désagrégée par sexe, que cela soit au niveau du récapitulatif des dépenses réalisées en matière culturelle (participation culturelle, arts vivants, pluridisciplinaire, bibliothèques, patrimoine, arts visuels, livre, archives, langue, conservation, éducation) que du management et de la réglementation.

si le secteur culturel est fortement féminisé, les femmes ne représentent que 30% des acteurs de la prise de décision, en tant que membres des conseils d’administration. Sur 1246 postes à « responsabilités », seuls 444 sont occupés par des femmes (36%)

Dépitée, la Direction de l’Égalité des Chances a consulté l’administration générale de la Culture et ensemble, nous avons « fouillé » dans les données. Tout y est passé : le cadastre de l’emploi non-marchand (2012), « La FWB en chiffres » (édition 2013), la consultation des ressources disponibles au sein des services, une étude approfondie des pratiques et consommation culturelles de la population en FWB menée par l’Observatoire des politiques culturelles (2012), l’étude « Elles tournent en chiffres. Recherche exploratoire sur la place des réalisatrices dans le cinéma en Belgique », Elles tournent (2009) et, enfin, une étude exploratoire sur l’égalité homme/femme en termes d’accès à des postes de décision dans le secteur culturel, menée par la Fondation Marcel Hicter ASBL (2008). Et là, oui, au milieu de tout cela, nous avons trouvé… quelques chiffres.
Concrètement, 62% des personnes travaillant dans le secteur « Culture » de l’emploi non-marchand en FWB sont des femmes. Elles sont proportionnellement plus nombreuses à travailler à temps partiel, puisqu’elles ne représentent plus que 61% des équivalents temps plein. Elles sont deux fois plus nombreuses que les hommes en éducation permanente, et trois fois plus dans le domaine de la lecture publique. On retrouvera par contre plus d’hommes dans l’audiovisuel et les médias.
Mais si le secteur culturel est fortement féminisé, les femmes ne représentent que 30% des acteurs de la prise de décision, en tant que membres des conseils d’administration. Sur 1246 postes à « responsabilités », seuls 444 sont occupés par des femmes (36%).
Alors que le décret du 3 avril 2014 visant à promouvoir une représentation équilibrée des hommes et des femmes dans les organes consultatifs impose un minimum de 35% de personnes de même sexe, on constate qu’en moyenne, pour les 24 organes consultatifs relevant du secteur de la culture et ayant répondu à l’évaluation de 2012, ceux-ci ne sont composés que de 38,6% femmes. Elles ne représentent que 25% des personnes occupant un poste de présidence. Lors de l’évaluation réalisée en 2017, seuls 68% des 25 organes recensés en matière culturelle étaient conformes au décret de 2014.
En matière de salaire, les inégalités persistent également. Tous secteurs confondus, les femmes gagnent en moyenne 10% de moins par heure que les hommes. Cette différence s’élève à 23% lorsqu’elle est calculée sur une base annuelle. Dans le secteur socioculturel (CP 329), l’écart salarial est de 8,9% pour le salaire mensuel brut moyen des travailleur·euses à temps plein, et de 9,1% pour le salaire horaire brut moyen des travailleur·euses à temps plein et à temps partiel.
Au niveau du subventionnement, on a pu constater, après analyse de différents secteurs, un plus grand nombre de demandes de subventions provenant d’artistes hommes ou d’organismes gérés par des hommes, menant à plus de financements octroyés pour des projets culturels réalisés par des hommes.
Et au niveau des pratiques culturelles ? L’analyse sur base des données de 2012 montre que diverses activités culturelles demeurent genrées, telles la lecture et les nouvelles pratiques culturelles (culture d’écran). Les femmes participent moins à des sorties de type festif (cinéma, concerts, discothèques, bars) et plus à des sorties de type ordinaire (shopping, visiter sa famille, ses proches). Elles sont plus nombreuses à exercer des pratiques domestiques (tricoter, cuisiner, mots croisés) et sont peu présentes dans les nouvelles cultures de l’écran (Internet, jeux de console, pc).

Et depuis ?

La partie « Tendances » de l’édition 2017 du Focus Culture nous présente un dossier sur les bénéficiaires finaux de la culture. L’objet de cette analyse est de poursuivre l’inventaire, entrepris en 2017, des données dont dispose l’administration générale de la Culture (AGC), directement relatives, ou le plus directement possible, aux bénéficiaires finaux des politiques culturelles. Les données qui font l’objet de l’analyse sont celles permettant de caractériser les publics présents dans les institutions culturelles que l’AGC subventionne. Elles concernent, en fonction des données disponibles par secteur, principalement le nombre de visiteur·euses d’utilisateur·rices, de consommateur·rices, avec leurs principales caractéristiques : l’origine, le sexe, l’âge, le niveau d’études, etc.
Visiblement, il y a encore du boulot. Ainsi, par exemple, dans le secteur de la jeunesse, le dossier de demande ou de renouvellement d’agrément quadriennal des centres de jeunes demande de préciser le nombre de jeunes fréquentant l’association en fonction de leur âge et de leur sexe. Malheureusement, les données ne sont en général pas dépouillées. Les deux seules autres données disponibles sont, dans le domaine des bibliothèques publiques, le nombre d’abonné·es à « Escapage – twitter » et, dans la fonction publique, la pyramide des âges présentant la répartition du personnel par sexe (les femmes représentent 56%), par tranche d’âge et par statut. Nous y apprenons également que l’administration comporte huit mandataires (3 femmes et 5 hommes), dont un administrateur général et sept directeurs·rices généraux·ales adjoint·es.

Quelles perspectives ?

Le 7 janvier 2016, le gouvernement de la FWB a adopté un décret relatif à l’intégration de la dimension de genre dans l’ensemble des politiques de la Communauté française. Outre la mise en place d’un test genre pour chaque projet d’acte législatif et réglementaire et l’instauration d’un processus de gender budgeting, le décret prévoit également que chaque ministre intègre la dimension de genre dans toutes les politiques, mesures et actions relevant de ses compétences et établisse des indicateurs de genre pertinents permettant de mesurer le processus d’intégration de la dimension de genre dans la mise en œuvre de ses politiques. De même, chaque ministre veille, dans les domaines relevant de ses compétences, à ce que les statistiques que les services du gouvernement et les organismes d’intérêt public produisent, collectent et commandent dans leur domaine d’action soient ventilées par sexe et que des indicateurs de genre soient établis.
Dans ce cadre, la législature 2019-2024 verra, pour la première fois, l’adoption d’un plan quinquennal sur la base de la déclaration de politique communautaire. Celui-ci devra être arrêté au plus tard six mois après la constitution du gouvernement et présenter les objectifs stratégiques et mesures qu’il s’engage à adopter et mettre en œuvre dans le courant de la législature, visant la pleine égalité entre hommes et femmes dans l’ensemble des domaines de compétence de la FWB.
Les acteurs de terrain semblent avoir bien conscience de ces inégalités, puisque l’Association des centres culturels a publié, le 16 avril 2019, avec 16 autres fédérations et réseaux, un Mémorandum pour la parité des femmes et des hommes dans le secteur culturel, portant ses recommandations pour soutenir la parité dans le secteur culturel à l’attention des (futur·es) élu·esn. Les associations signataires fondent notamment leurs recommandations sur le constat du manque de données objectives quant à l’état du secteur culturel en matière d’égalité. Ces recommandations viennent rejoindre et compléter celles émises dans le cadre de l’Assemblée pour le droit des femmes, Alter Égales, par la sous-commission ayant travaillé sur la représentation des femmes dans la culture.
La suite, une fois le nouveau gouvernement formé ?

Image : ©Françoise Pétrovitch Rougir, 2005

1

Coordination pour l’Égalité des Chances, commune au ministère de la Communauté française et aux Organismes d’intérêt public, avis n°2. Mise en place d’un système interne et cohérent de statistiques désagrégées par sexe dans les domaines relevant des compétences de la Communauté française, 18 janvier 2007.

2

On notera cependant que ce Mémorandum ne fait pas référence au décret du 7 janvier 2016 relatif à l’intégration de la dimension de genre dans l’ensemble des politiques de la Communauté française. Sur ce mémorandum, voir article de Charlotte Laloire.

PDF
Journal 50
Culture : la part des femmes
Édito

Sabine de Ville

La culture à l’épreuve des féminismes

Nadine Plateau

La culture en chiffres... et les femmes ?

Alexandra Adriaenssens

Pour que les auteurs et les autrices soient belles !

Anne Vanweddingen

Des féministes à tous les étages !

Entretien avec Ariane Estenne

F.(s): Female Mechanic Now on Duty (sic)

Isabelle Bats

Féministe toi-même  !

Pierre Hemptinne

Où sont les réalisatrices ?

Elles font des films

Pour une reconnaissance des artistes femmes dans l’Histoire de l’art

Entretien avec Muriel Andrin et Véronique Danneels

Mesdames, nous vous attendons – Panorama parcellaire

Carmela Chergui

Faire entrer des contenus féministes dans l’espace public

Caroline Glorie

Pour un féminisme intersectionnel et décolonial

Entretien avec Bwanga Pilipili et Petra Van Brabandt

Solidarité féministe transnationale et érotisation de la résistance – Nikita Dhawan

Nikita Dhawan
Chercheuse en théorie politique et études de genre à l’Université d’Innsbruck

Mémorandum pour la parité femmes/hommes dans le secteur culturel

Charlotte Laloire

F.(s) : Un collectif pour faire place aux femmes dans la culture

Mathilde Alet

Manifeste

Isabelle Bats

Genres et éditions d’art·istes – Speaking Volumes, 1980

Loraine Furter

ELLES TOURNENT, une initiative indispensable

Collectif ELLES TOURNENT

La place des musiciennes en fédération Wallonie-Bruxelles

Élise Dutrieux

Une expérience de création culturelle dans une recherche-action : un pouvoir émancipateur multiple

Damien Labruyère et Corinne Luxembourg

Le dérangement du genre

Nimetulla Parlaku

Essai de réflexion au sujet de la violence faite aux femmes – tentative de nommer l’humanité conjuguée

Dominique Gratton

Côté cour, côté jardin

Valérie Asselberghs et Florence Hanoset

La conférence gesticulée : Une forme nouvelle de théâtre incarné

Entretien avec Franck Lepage

Françoise Pétrovitch

Sabine de Ville