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La gestion des espaces vacants : territoire des communs ?

Victor Brevière, architecte et artiste plasticien, co-fondateur du projet d’occupation de La Maison à Bruxelles (LaMAB)

31-07-2023

En 2023 et 2024 Culture & Démocratie fête ses 30 ans. Cet anniversaire est pour nous l’occasion de regarder le passé pour mieux pouvoir nous projeter dans le futur. C’est pourquoi nous avons entrepris de nous replonger dans nos anciennes publications. Et si beaucoup de choses ont changé depuis la fondation de l’association, certaines analyses n’ont rien perdu de leur actualité. L’idée de cette rubrique « Archive » est de rééditer quelques-uns de ces textes afin de mesurer le chemin parcouru – ou non – sur certaines thématiques. Vous retrouverez cette rubrique dans les quatre journaux de ces deux années anniversaires.

Le premier texte que nous vous proposons est paru en 2018 dans l’ouvrage Penser la culture en commun(s) ?, édité en marge de la journée d’études homonyme organisée en partenariat avec PointCulture et La Maison à Bruxelles (LaMAB). Victor Brevière, alors habitant et co-fondateur du projet d’occupation La Maison à Bruxelles, nous proposait cette analyse sur la gestion des espaces vacants à Bruxelles et l’enjeu politique et marchand que ceux-ci représentent. Cinq ans après, la loi anti-squat est toujours d’actualité et trop peu de ces espaces sont devenus les lieux d’expérimentation de commun qu’il appelait de ses voeux. Pourtant les enjeux liés au partage du territoire et aux espaces à défendre apparaissent aujourd’hui plus qu’hier encore, indispensables à une réelle réflexion sur notre coexistence.

« Coexister n’est pas partager un « territoire » mais un espace dont les propriétés dépendent des usages, des conduites, des comportements. Les espaces continuellement requalifiés par les êtres qui y situent leur existence ne sont pas entre eux mais les relient. Au lieu d’avoir cette fixité que requiert tout autant le régime propriétaire, que la communauté organique égale à elle-même, ils sont plastiques et en continuelle transformation. »

Joëlle Zaskn

Cet article est paru dans Penser la culture en commun(s) ?, Cahier de Culture & Démocratie n°8, 2018

Je vais tenter ici d’aborder la question de l’évolution du cadre concernant l’accès à la gestion d’espaces vacants, traditionnellement identifiés comme territoires d’expérimentation des communs. Le secteur de la gestion des espaces vacants est devenu un enjeu politique et n’échappe pas à la marchandisation, à une logique de massification des acteurs et de standardisation des projets menés. Après avoir donné quelques éléments de contexte, j’expliquerai comment s’est construite notre association, comment elle s’organise et les activités et services qu’elle propose.

Du squat à la gestion marchandes des espaces vacants
Aujourd’hui le secteur marchand prend largement le dessus en matière de gestion des espaces vacants et récupère des pratiques qui trouvent pourtant leur origine dans le mouvement du squat. À Bruxelles, la pratique du squat est désormais fortement criminaliséen. Pourtant, la crise humanitaire, sociale, économique, environnementale et culturelle est flagrante.
Les espaces vacants de la ville sont abyssaux : entre 15 000 et 20 000 logements et 1 000 000 de mètres carrés de bureaux videsn. Comment ne pas être scandalisé·e par une situation où l’accès à l’espace est de plus en plus cher, où la pauvreté est flagrante et où de gigantesques bâtiments inoccupés sont partout autour de nous ? Cette situation reflète la prévalence du droit de propriété dans une société où le capitalisme financier préside aux interactions humaines, que ce soit en matière d’aménagement territorial ou de politiques culturelles.
Les origines de la vacance immobilière sont multiples. On trouve des bâtiments :
· publics ou privés en attente de rénovation ;
· en cours de location, faisant l’objet de spéculation par le vide ;
· dont les propriétaires n’ont pas les moyens de rénover ;
· dont les étages situés au-dessus des commerces ne sont accessibles que par l’intérieur des boutiques ;
· appartenant à des assurances qui sont dans l’obligation de détenir un capital foncier mais ne souhaitent pas les mettre en service…
Et il existe encore d’autres cas de figures.

Comment peut-on parler de participation citoyenne quand les habitant·es d’une ville n’ont pas les capacités décisionnelles d’intervenir dans l’évolution de leur environnement et de l’accès aux services ? Cette situation révèle la faiblesse des politiques et les réticences des décideur·ses à démocratiser l’exercice politique. Dans ce contexte économique, les pratiques de participation semblent être un agrément au marketing urbain. Rien n’est fait pour repenser la place du citoyen et de la citoyenne et ses capacités de contrôle sur la politique, et nous nous sentons de ce fait de moins en moins concerné·es par ces enjeux.

Utopie libertarienne
Ce phénomène reflète une tendance générale à la marchandisation de nos sociétés. C’est l’utopie libertarienne qui semble se concrétiser, avec un environnement où toute forme d’organisation sociale serait régie par une logique de marché, dont les acteurs seraient de grandes entreprises. En matière de développement territorial, l’utopie libertarienne correspond à un phénomène que l’on nomme « bruxellisation », c’est-à-dire la mainmise des pouvoirs financiers sur l’aménagement du territoiren. Celle-ci génère une fabrique de la ville brutale, faite d’expropriations, de grands projets portés par des intérêts privés.

Cette utopie est notamment représentée dans la collection de bande dessinées « Les Cité Obscures » et plus particulièrement dans l’album Brüseln de François Schuiten et Benoît Peeters. Dans cet ouvrage, Brüsel serait une réalité parallèle où une société oligarchique organiserait l’ordre de la cité. Brüsel a également donné lieu à une fiction radiophonique, un guide de voyage fictif et un documentaire fictionn. Mais c’est la même idée de société duale que l’on retrouve aussi dans le film Metropolis de Fritz Lang. Ces formes artistiques nous offrent de très belles grilles de lecture pour analyser le fonctionnement de nos démocraties et du développement de l’organisation de nos sociétés mondialisées. Mais pourquoi évoquer ce contexte ?

Aménagement urbain : quelle place pour les citoyen·nes ?
La pratique et le développement des communs ne peuvent se développer que si on leur en donne les moyens. La volonté acharnée d’acteurs portant ces pratiques ne suffit pas. Sans une réévaluation du pouvoir et une réorganisation du mode de fonctionnement des grandes entreprises, les communs n’auront pas la place et la liberté de création nécessaire à leur développement. Aujourd’hui des entreprises privées comme Ceetrus du groupe Auchan (gare du Nord à Paris, Europacityn), Extensa (Tour et Taxis à Bruxelles) ou encore Nexity ont une influence considérable sur la programmation et la construction.
Ces entreprises exercent un lobbying intense auprès des décisionnaires et concrétisent l’utopie libertarienne. Dans le domaine de la gestion des espaces vacants, des entreprises comme Camelot, Lancelot, Entrakt (gestionnaire du « Studio Citygate » à Bruxelles) tentent de constituer des monopoles du secteur et se rendent incontournables pour accéder aux espaces vacants en attente de projets.

L’influence des grandes entreprises sur notre cadre de vie et sur l’aménagement du territoire se trouve également renforcée par l’attribution de la gestion de services publics comme les prisons, les hôpitaux, les gares… Cette privatisation des services publics se fait dans le cadre de PPP (partenariats public-privé). Des concessions sont octroyées à des détenteur·ices de grands capitaux qui s’enrichissent en tirant les bénéfices d’activités incontournables pour les citoyen·nes.
Bouygues construit et gère plusieurs prisons en France – celle de Nantes par exemple. Ce contexte est structurel et il faut nécessairement repenser les rapports de forces pour que puissent se mener les expérimentations nécessaires à la construction d’une société démocratique, en symbiose avec son environnement. Les acteurs du développement territorial devenant plus massifs, la distance entre les habitant·es et les décisions s’accentue.

Dans le processus politique, les acteurs de l’aménagement distillent l’idée d’une situation d’urgence, liée à un contexte environnemental, économique et social nécessitant des politiques rigoureuses et standardisées. Le marketing urbain tente de légitimer ces grands acteurs ,de l’aménagement du territoire comme seules entités capables de relever les défis politiques à venir. Il célèbre la consommation mondialisée et l’accès à celle-ci reste la référence pour constater l’évolution de notre qualité de vie.

Dans cette vision politique, les citoyen·nes ne sont pas un maillon fondamental pour atteindre les objectifs de nos villes « en transition ».
Pourtant il semble impossible de réaliser l’objectif d’une ville durable et démocratique sans la contribution active d’un maximum d’habitant·es.
La marchandisation de l’ensemble des secteurs nous interroge quant à la souveraineté des États, l’autodétermination des individus et des groupes.

Le business des espaces vacants
L’occupation d’espaces vacants est devenue un enjeu politique et, en s’institutionnalisant, a tendance à devenir un secteur marchand. Les entreprises spécialisées dans la gestion d’espaces vacants se servent de la convention d’occupation comme d’un instrument pour précariser les conditions d’accès à l’espace, et non comme d’un levier contre la précarité.

La gestion des espaces vacants remplit de moins en moins les objectifs initiaux portés par le mouvement du squat, à savoir la solidarité et la création d’espaces citoyens ouverts et indépendants. Le développement de ce domaine tend plutôt à inscrire celle-ci dans une économie capitaliste et à s’en servir comme outil de déréglementation du secteur immobilier.

La création d’entreprises capitalistes autour de la gestion de ces espaces est rendue possible par le cadre politique, qui reste déterminant dans l’orientation et la régulation de ce domaine. L’occupation précaire gérée par ces entreprises permet à des individus, à des collectifs d’accéder à des espaces au-dessous du prix du marché.
Par exemple entre deux et trois cents euros pour 80 m2. Les options de confort font varier la facture. De grands sites comme le Studio Citygate géré par Entrakt permettent de créer un regroupement d’activités potentiellement en interaction (une « ruche »). D’un point de vue urbain, des territoires retrouvent un usage et une économie se développe : cela peut sembler positif. Dans ces projets, l’organisation collective est sous le contrôle de l’entreprise gestionnaire des sites, alors que ce sont les porteur·ses de projets qui sont les véritables acteurs de la redynamisation de ceux-ci. Par ailleurs, ces entreprises gestionnaires n’ont pas pour objectif la mise en place d’un véritable projet d’habitat, ni de répondre à l’urgence humanitaire. Lorsqu’elles organisent des projets de logement ou d’activités, elles proposent des conditions très précairesn.

Les gros gestionnaires de bâtiments vacants mènent une opération de spéculation sur le vide dont la plus-value est extraordinaire en faisant payer des frais de gestion au propriétaire, mais aussi des sous-conventions d’occupation aux acteurs de projets. Dans ce cadre marchand, si la convention d’occupation se développe, elle institutionnalise la précarité de l’accès à l’espace et devient un instrument de domination supplémentaire. En regroupant des porteur·ses de projet, les gestionnaires tirent parti des activités menées. On y retrouve des artistes, des start-ups dans le domaine de l’écologie urbaine, de l’agriculture urbaine, du recyclage, de l’auto-construction, etc. Nous sommes en plein dans le green-washing, le social-washing : ce type de gestion participe d’un marketing urbain qui instrumentalise la recherche et le développement et considère l’innovation sociale et technologique comme un bien marchand et non comme un bien commun. De telles entreprises de gestion d’espaces vacants décrédibilisent le squat vis à vis des pouvoirs publics.

Face à la difficulté des plus précaires à accéder à la création d’un projet de vie souhaitée, face au manque d’information facilement disponible concernant les territoires et à la situation aberrante en matière de vacance immobilière, nous soutenons que le squat reste légitime et pas seulement les projets en convention d’occupation autogérés comme le nôtre.

Plusieurs asbl, dont LaMAB, défendent l’idée que le cadre politique doit permettre l’émergence d’une multiplicité d’acteurs compétents, non professionnels, indépendants, et favoriser la possibilité qu’ils se fédèrent afin de pouvoir gérer de grands projets et transmettre les savoir-faire en matière de gestion des espace vacants.

Si le développement du domaine de la gestion d’espaces vacants s’orientait vers une augmentation des collectifs responsables de lieux autogérés, ce serait un levier pour réimpliquer les habitant·es dans la vie collective. Les projets en convention d’occupation autogérés restent des territoires accessibles dans des conditions un minimum stables pour expérimenter les communs. Pour être réellement communs, ces projets doivent se faire sans exigence de ressources excessives.

La Maison à Bruxelles
Notre projet tente d’expérimenter collectivement la gestion d’un projet non marchand en matière d’habitat et d’accès à la culture. Notre collectif est constitué de jeunes adultes issu·es de différents horizons. Nous sommes travailleur·ses de l’horeca, danseur·ses, ouvrier·es, architecte, sérigraphe. À travers notre projet nous sommes en quête d’indépendance dans nos pratiques personnelles. Par exemple en tant qu’architecte, compte tenu du cadre d’exercice de ce métier, il est difficile d’expérimenter une pratique professionnelle en adéquation avec une pensée des communs. Ce projet associatif nous permet de conserver une action qui corresponde à nos valeurs. Nous avons tous des sensibilités, des pratiques artistiques et culturelles singulières, et nous souhaitons les exercer au quotidien. Nous avons grandi dans une culture marquée par les sports de glisse, le hip-hop, les free-party, les arts de rue, mais aussi par des références plus classiques. Nous souhaitons continuer à vivre cette culture au quotidien et à la voir évoluer autour de nous de la manière la plus indépendante possible.

La ville est un bien commun et non une marchandise. L’accès à l’espace est un droit fondamental et sa gestion doit être confiée le plus possible à des collectifs citoyens qui n’ont pas pour objectif la maximisation des profits mais l’optimisation de la qualité de vie des habitant·es.

Notre association est née d’un précédent projet d’occupation situé dans un bâtiment plus petit, majoritairement organisé autour du logement. Nous avons bénéficié de la transmission d’une convention d’occupation par l’asbl Communa, associée à la Fédération bruxelloise de l’Union pour le Logement (FéBUL). Nous avons créé notre projet sur cette base.

Après avoir fondé La Maison à Bruxelles, nous avons entamé une phase de recherche afin de bien cerner la situation bruxelloise en matière d’espaces vacants et de trouver un bâtiment adéquat où s’installer. La prospection remet le·a citoyen·ne au cœur d’une démarche active face à son territoire. Pour trouver un bâtiment, différentes techniques nous ont permis de regrouper des informations. La principale consiste à parcourir le territoire et à inventorier un maximum de bâtiments vides. On obtient ainsi une cartographie des bâtiments supposés non occupés, dont il faut ensuite retrouver les propriétaires par différents biais : le cadastre, internet, les archives de la commune…

Après ces recherches et l’établissement de listes de bâtiments et de contacts, il s’agit ensuite de présenter un projet au propriétaire et de négocier. Il est difficile d’obtenir des retours positifs de la part de propriétaires quand on est un collectif qui démarre. Le soutien à la création de nouveaux collectifs est donc essentiel à la pérennité de l’autogestion en convention d’occupation. Le début des négociations est la phase la plus délicate, car il faut savoir « vendre » son projet. Cela ne met pas tout le monde sur un pied d’égalité : il est évident qu’il est plus facile pour une personne qui sait bien s’exprimer, qui a fait des études, qui est en situation régulière et non précaire, d’accéder à ce type de négociations.

Notre bâtiment du 14 rue de l’Association à Bruxelles appartient à la Régie foncière. Les sociétés publiques sont de grandes machines administratives. Lorsqu’on envoie un message sur l’adresse générale, il y a peu de chances qu’une personne en mesure de prendre une décision accède à cette requête. La FéBUL joue un rôle crucial dans le développement d’occupations temporaires autogérées. Dans notre cas, elle a assuré une assistance administrative : elle nous a permis de prendre contact avec les personnes en mesure de soutenir notre projet au sein de la Régie foncière et de co-signer notre convention d’occupation. Ce rôle de médiateur est une ressource très intéressante pour concevoir un projet et le communiquer.

Dans notre association quatre pôles de décision peuvent être identifiés : l’organisation de l’habitat collectif, l’attribution des espaces d’habitation, l’organisation des activités et l’administration de l’association. Chacun·e est en mesure de solliciter un droit de vote pour chacun de ces secteurs auprès du conseil d’administration. À partir du moment où l’on habite la maison, on a forcément un droit de décision pour tout ce qui concerne l’habitat collectif. Décisionnaire ou pas, chacun·e a le droit de proposer des projets et des réformes pour l’association.

Ceci résume sommairement notre système d’organisation des décisions. Celui-ci a fait récemment l’objet de débats très longs suite à une période floue concernant les prérogatives de chacun·e. Ces longues discussions peuvent par- fois sembler vaines mais elles nous permettent en réalité d’expérimenter notre relation au projet commun. Comment faut-il établir un règlement ? Faut-il le faire ? Quelles sont nos valeurs ?

Notre association est financée par la participation aux frais des habitant·es et d’un collectif d’artistes en résidence permanente. Les activités et les résidences temporaires sont à prix libre et nous essayons de faire en sorte que projets ponctuels et permanents contribuent de manière équivalente. Nous bénéficions d’une convention d’occupation à titre quasiment gratuit mais assumons les charges du bâtiment ainsi que l’assurance. Et à la différence des entreprises comme Entrakt, nous ne demandons pas au propriétaire de payer pour notre gestion du bâtiment.

En contrepartie du faible coût que représentent notre logement et les espaces dont nous pouvons bénéficier, nous faisons en sorte de nous investir un maximum dans le projet. Cette situation invite à s’interroger sur le temps que l’on consacre à travailler dans notre société : ne serait-il pas judicieux de permettre aux citoyen·nes d’accorder plus de temps à des activités non marchandes et, à travers ce type de lieux, d’entretenir des échanges et des pratiques culturelles ?

Cependant, la quête d’indépendance dans l’ensemble du projet n’est pas sans difficultés – tous ne sont pas égaux dans un projet collectif. Nous ne sommes pas à l’abri d’attitudes mettant en péril celui-ci, mais cela fait aussi partie de la réalité de la gestion d’un projet collectif.

Mis à part l’habitat collectif, nous disposons d’un atelier pour un collectif en résidence permanente, d’un espace de travail et de repos pour l’ensemble des résident·es, d’un laboratoire de photographie, d’un studio de sérigraphie, d’un petit atelier de construction, d’une salle dédiée à la danse et au théâtre, d’un espace d’exposition et d’une salle de spectacle avec un bar.

Nous organisons des activités ouvertes comme : la projection de films, des concerts, des expositions, du spectacle vivant, des ateliers d’initiation de technique photographique, de sérigraphie, de gravure mais aussi des conférences, débats et formations. Notre projet est un projet d’éducation populaire qui permet de créer un lien entre différentes pratiques, leur expérimentation et leur transmission. C’est pour cela que nous nous sentons proches du mouvement du squat, des maisons du peuple, mais aussi de projets d’éducation populaire. En apparence nous pouvons aussi sembler très proches de projets tels que les « ruches créatives » mais ces dernières, qui tirent profit d’initiatives citoyennes en tablant sur leur précarité, construisent pourtant un rapport au monde bien différent.

De la politique globale au micro projet, les actions révèlent une vision de l’organisation collective. Être libre dans la création d’un projet permet d’expérimenter un rapport à l’utopie. Notre projet associatif, par la manière dont nous nous organisons collectivement pour le mener, par les activités proposées et par la vision que nous avons du secteur de la gestion des espaces vacants, entretient un certain rapport au monde. Nous sommes attaché·es à des valeurs de gestion collective et d’indépendance.

Utopie libertarienne contre utopie des communs
Concernant les secteurs de la gestion des espaces vacants nous souhaitons voir se développer un maximum d’acteurs en mesure de mener des projets. La transmission de nos expériences et le soutien au développement de nouvelles initiatives indépendantes est donc un enjeu pour nous. Nous défendons une vision responsabilisante, citoyenne et non professionnalisante pour ce secteur. La réhabilitation d’espaces en transition n’est pas pour nous une profession, mais simplement un moyen d’accéder à l’espace. Ce sont les projets que l’on y mène qui donnent son caractère à l’usage.

La ville est un bien commun et non une marchandise. L’accès à l’espace est un droit fondamental et sa gestion doit être confiée le plus possible à des collectifs citoyens qui n’ont pas pour objectif la maximisation des profits mais l’optimisation de la qualité de vie des habitant·es. Dans cette quête de construction d’une ville en commun, la politique joue un rôle crucial. Utopie libertarienne contre utopie des communs, culture contre culture, nous souhaitons vivre dans une société plus libre, responsabilisante et égalitaire. Nous voyons dans ces espaces vides une opportunité incomparable pour le développement des communs. Sans l’obtention de contrats plus stables, sans l’augmentation des moyens matériels, de temps et d’espace nécessaires à la construction des communs, on aura des difficultés à faire face au développement continu de la marchandisation de notre cadre de vie.

1

« Niches et passages : de nouveaux territoires plus qu’humains », Joëlle Zask, philosophe, Journal de Culture & Démocratie n°53 — Territoires, 2021.

2

Voir « Trente associations attaquent la loi anti-squat devant la Cour constitutionnelle », in Le Vif, 03/05/2018.

3

Voir Inter-environnement Bruxelles (IEB), « Combien de logements vides, finalement? »

4

Voir la page « Bruxellisation» de Wikipedia à ce sujet.

5

François Schuiten et Benoît Peeters, Brüsel, Casterman, 2008.

6

François Schuiten et Benoît Peeters, Le guide des Cités Obscures, Casterman, 2011 ; François Schuiten, Benoît Peeters, Wilbur Leguebe, Le dossier B, Les Impressions Nouvelles, 2008.

7

Voir « Découvrez la gare du Nord en… 2024 », Le Parisien TV, 09/07/2018.

8

Voir Juliette Montilly, « Uberisation du squat: “Ils rentrent chez nous n’importe quand”», L’Obs/Rue 89, 31/05/2017.

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Journal 56
Rituels #1
Édito

La rédaction

Imaginer nos rituels à venir

Maririta Guerbo, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Le défi de la sobriété idéologique par le rituel

Yves Hélias, co-fondateur du Congrès ordinaire de banalyse

L’Infusante ou l’école idéale

Entretien avec Bernard Delvaux, Chercheur en sociologie de l’éducation, associé au Girsef (UCLouvain)

Le PECA, de nouveaux rituels pour l’école

Sabine de Ville, membre de Culture & Démocratie

Rituels et musées

Anne Françoise Rasseaux du Musée royal de Mariemont, Virginie Mamet des Musées Royaux des Beaux-Arts, Patricia Balletti et Laura Pleuger de La CENTRALE et Stéphanie Masuy du Musée d’Ixelles

Rituels et droits culturels

Thibault Galland, chargé de recherche à Culture & Démocratie

Faire vivre les rituels, l’espace public et la démocratie

Entretien avec Jan Vromman, réalisateur

Ma grand-mère disait

IIse Wijnen, membre de KNEPHn

Rituels de la carte

Corinne Luxembourg, professeuse des universités en géographie et aménagement, Université Sorbonne Paris Nord (Paris 13)

Justice restauratrice : dialoguer aujourd’hui pour demain

Entretien avec Salomé Van Billoen, médiatrice en justice restauratrice

Les expériences artistiques en prison : des rituels pour (re)créer du commun ?

Alexia Stathopoulos, chercheuse en sociologie des prisonsn

Futurologie de la coopération : des rituels de bifurcation

Entretien avec Anna Czapski, artiste performeuse

L’objet à l’œuvre

Marcelline Chauveau, chargée de projets et de communication|diffusion à Culture & Démocratie

La gestion des espaces vacants : territoire des communs ?

Victor Brevière, architecte et artiste plasticien, co-fondateur du projet d’occupation de La Maison à Bruxelles (LaMAB)

Olivia Sautreuil

Marcelline Chauveau, chargée de projets et de communication|diffusion à Culture & Démocratie