Michel Clerbois
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Dossier

La Maison à Bruxelles, futur incubateur de coopératives autonomes désireuses d’entretenir les territoires communs

Nimetulla Parlaku
Cinéaste, administrateur de Culture & Démocratie

13-06-2017

La Maison à Bruxelles (la MàB), voilà un joli nom d’association, simple et explicite. J’ai rendez-vous avec eux pour un entretien. Issu de l’asbl Communa, la MàB s’est installée rue de l’Association – un nom de rue prometteur – dans le quartier bruxellois où fleurissent les noms de rues et de places évocateurs de la révolution : place des Barricades, rue de la Révolution, place de la Liberté…Toute une part de la mémoire du pays. Mais ici, dans ce quartier coincé entre le boulevard et la rue Royale, la spéculation va bon train, une à une, les belles bâtisses disparaissent emportées par un triste rêve en béton; les grues discrètes se nichent au creux d’un bloc de maison, cachées par d’élégantes affiches et des façades étançonnées. Le Waldorf Astoria en attente d’une restauration programmée, trône du haut de sa majesté dans un quartier dont on ne sait trop ce qu’il va devenir.

J’arrive donc au numéro 14. La porte est ouverte. Sur le mur de béton, une plaque de bronze d’une bonne centaine d’années, peut-être à peine plus jeune que la maison. Je suis devant une ancienne crèche. C’est de bon augure. De l’autre côté de la rue, l’arrière du bâtiment qui abrite le 123n. Voilà un voisinage exigeant pour une jeune structure associative qui s’établit dans une maison à haut potentiel résidentiel. Qu’en dit la MàB? Je m’avance vers l’entrée du bâtiment où j’aperçois un jeune homme qui m’accueille. C’est Victor. C’est avec lui que j’ai rendez-vous, et Marie que nous retrouvons à l’étage de la maison, dans une pièce commune.

Bruxellois d’adoption où il s’est formé en architecture, Victor cultive le nomadisme autour des friches (Paris, Bruxelles, Marseille…). Marie, elle, est danseuse et a quitté Paris où elle s’est formée, pour s’installer à Bruxelles. Très vite, nous entamons une conversation détendue et qui va bon train. Et très vite nous parlons du 123 et de l’autogestion. Épineux sujet. Nous évoquons la combinaison délicate de l’autogestion et de la solidarité. J’écoute ensuite Victor m’expliquer en détails la raison d’être de la MàB et ses ambitions : préconiser l’atomisation des baux d’occupation précaires – un collectif domicilié par lieu, pas de centralisation et de sous-traitance – ; réfléchir à l’importance de marier le lieu de résidence et le lieu d’activité sur la friche (un temps, un espace) ; développer le lien à la Fébuln et dynamiser la plateforme initiée par celle-ci : mise à disposition d’infos et aide à la création d’associations, sur rendez-vous (pas de mise en ligne mais un parcours personnalisé pour éviter le télescopage des démarches), création d’un historique d’occupation…Tout cela est réfléchi et bien affirmé. Une phrase de Victor résume bien la dynamique de leur approche : « Il faut être acteur de son territoire, offrir des espaces qui permettent de mettre en capacité les gens à travers des projets communautaires. »
Je relance la conversation sur l’usage de la friche. Marie souligne que les politiques de mise à disposition de ces espaces répondent à une demande des pouvoirs locaux (mairie, communes…) de plus en plus dépourvus de moyens financiers. Nous nous retrouvons ensuite à parler des voisins du 123. Ceux-ci et la MàB ont un point de vue différent sur le sujet. Le 123 préconise et travaille sur l’hébergement d’urgence. La MàB désire proposer un outil pluridisciplinaire dans la gestion de l’espace (conférence, cours, représentation, exposition, local de répétition…). Pourtant, les deux associations partagent un point de vue identique quand il s’agit de défendre l’usage à résidence principale de la friche pour le noyau dur du collectif (administrateurs, coopérateurs…). De plus, ce que proposent les deux associations est tout à fait complémentaire et s’inscrit dans la vision d’une ville à taille humaine dont les édifices sociaux sont consolidés par une gestion dynamique de la diversité. Au 123, l’hébergement d’urgence, à la MàB, l’expertise administrative et les espaces de création et de rassemblement communs. Le projet est clair, l’équipe est soudée. L’investissement a catalysé les énergies. La personnalité du lieu insuffle un autre esprit ainsi que la longueur du bail qui réduit la précarité de l’occupation.

Après le bâtiment de Saint-Josse, lieu de naissance de la MàB d’où le départ fut houleux voire difficile, c’est un nouveau départ. Victor précise son parcours d’architecte et le lien conflictuel qu’il entretient avec la profession telle qu’elle se pratique aujourd’hui. Les friches attirent les dissidences de fait et sont le refuge de ceux qui veulent entretenir un accès abordable à la ville. Cela permet à Victor d’enrichir ses connaissances théoriques par de la pratique : son regard taillé à l’université se confronte à la réalité de terrain. Dans ce genre d’expérience, il y a toujours une maîtrise d’usage à acquérir avec le temps. Surtout lorsqu’il s’agit d’envisager une réaffectation complète et subventionnée d’une friche déjà occupée. Le lien créé avec celle-ci au fil du temps permet d’en saisir la personnalité et d’en connaître l’état structurel général. Voilà une belle perspective d’acquisition de savoir couplée à un indispensable parcours du combattant dans la jungle administrative. Et la volonté affichée de préserver ces connaissances et de les transmettre. C’est une gageure dans ces territoires où la mémoire se dissout dans l’éphémère de l’expérience. Mais qui sait?

 

Image: © Michel Clerbois. Site Hirson-Buire, Florentine, 1994-1995

1

Squat bruxellois vieux de 10 ans : http://www.123rueroyale.be/

2

Fédération bruxelloise des locataires.

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