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Introductions

La médiation au cœur de BXL UNIVERSEL II : multipli.city

Sabine de Ville, administratrice de Culture & Démocratie

12-12-2022

 


« Nous avons ainsi envisagé le projet comme un forum, un espace d’échange, une agora dans la Cité. Toute personne qui le souhaite est invitée à s’y exprimer – autour du vivre-ensemble, de la création et la co-création, du rôle de l’art dans la ville, et d’autres questions amenées par les artistes et les partenaires du projet. »
Tania Nasielski, directrice artistique adjointe de La CENTRALE, co-curatrice de multipli.city

« Dans ce projet, le travail de médiation est essentiel, car il implique les publics à divers titres. Déjà en amont par la participation d’étudiant·es lors de rencontres avec Pélagie Gbaguidi, les crochetages réalisés suite à l’appel de Stephan Goldrajch, les récoltes de blagues de Younes Baba-Ali et de témoignages d’Anna Raimondo.
Pendant toute la durée du projet, ce lien intrinsèque avec les publics, les artistes et autres participant·es activera l’espace d’exposition tout en créant le lien avec la ville, sa population et les lieux partenaires. »
Carine Fol, directrice artistique de La CENTRALE, co-curatrice de multipli.city

 « La multiplicité d’une ville ou d’un monde n’est pas seulement un constat heureux, elle est aussi imprégnée de souffrance, d’injustices historiques et contemporaines, trop souvent reportées vers le futur. Comment imaginer la trame des liens et leur contenu s’il n’y a pas de reconnaissance préalable ? »
Nedjma Hadj Benchelabi, curatrice en Arts de la scène, cinéma et littérature et dramaturge

 

Le projet BXL UNIVERSEL II : multipli.city s’est d’emblée pensé dans un rapport étroit et renouvelé à la médiation. Mot-valise, la médiation est née du souci, au début du XXe siècle, d’instruire et d’élever les esprits en même temps que de « révéler » le substrat culturel d’une nation. Elle n’a cessé depuis, de se réinventer dans ses intentions et ses formes. Les musées ont été les précurseurs en la matière, les autres formes d’art – théâtre, musique, photographie, cinéma, danse, etc. – leur ont peu à peu emboité le pas en concevant dans leurs territoires spécifiques des manières de faire diverses et de plus en plus interactives.
Nous pouvons repérer les principaux épisodes de cette histoire qui épouse, en Fédération Wallonie-Bruxelles, les développements de la démocratisation de la culture et de la démocratie culturelle. Deux repères pour situer deux préoccupations politiques complémentaires : donner un accès matériel et cognitif le plus large à l’expérience culturelle et artistique, et faire des citoyen·nes, par cette expérience, des acteurs et actrices de la société, autonomes et critiques.

Des années 1970 au début des années 2000, le travail d’élucidation est principalement adressé aux publics déjà conquis ou aux publics scolaires. Il est le plus souvent conçu sous le format de la visite guidée. D’abord pensé comme un discours, ce type de médiation intègre rapidement une forme plus dialoguée qui se complète bientôt d’ateliers de pratiques artistiques dédiés dans un premier temps aux enfants et aux jeunes.
Ces modalités de médiation ne cesseront d’évoluer vers des formats très variés dont la philosophie, quelle que soit la forme artistique convoquée, est assez commune : susciter la participation de plus en plus active des publics. De tous les publics. Car à ces formes de plus en plus diverses, s’ajoute la volonté de s’adresser à toutes les générations et à toutes les personnes quels que soient leur âge, leur origine, leur proximité ou, au contraire, leur éloignement des formes de création proposées.
Il est alors peu à peu question, dans les années 1980-1990, d’expériences de participation culturelle ou artistique puis un peu plus tard, au seuil du XXIe siècle, de création partagée dont l’aboutissement s’inscrit même, peu à peu, dans la programmation des lieux culturels, brassant ainsi largement les publics.
Ce mouvement est largement européen. Les opérateurs culturels anglo-saxons et scandinaves donnent le ton, suivis par de nombreux opérateurs continentaux. À Culture & Démocratie, nous avons régulièrement documenté ces expériences passionnantes qui s’inscrivent, et ce n’est pas un détail, dans le souci voire la consigne adressée par leurs pouvoirs subsidiants aux lieux culturels. Recommandations voire obligations leur sont faites de tisser un lien fort avec les habitant·es du territoire dans lequel ils s’inscrivent.

La notion de droits culturels recouvre bien davantage que la seule question de l’accès matériel et cognitif et dépasse ou complète, sans les effacer, les concepts de démocratisation de la culture et de démocratie culturelle.

Le décret de 2013 de la Fédération Wallonie-Bruxelles relatif aux centres culturels leur fait un devoir en cette matière en convoquant précisément les droits culturelsn pour asseoir cette obligation nouvelle. La notion de droits culturels recouvre bien davantage que la seule question de l’accès matériel et cognitif et dépasse ou complète, sans les effacer, les concepts de démocratisation de la culture et de démocratie culturelle. Elle vise précisément l’effectivité du droit à une participation culturelle éclairée et critique pour tout·es et sa mise en œuvre par tous les opérateurs culturels. Le droit pour tout citoyen et toute citoyenne de participer à la vie culturelle – droit par ailleurs inscrit dans la Constitution belge – se traduit en six droits concrets : la liberté artistique ou le droit de créer et de diffuser sans entraves, le droit au maintien, au développement et à la promotion des cultures et des patrimoines, le droit d’accéder à la culture, de recevoir les moyens de dépasser les obstacles financiers, géographiques et temporels mais aussi d’accéder aux clés et aux références culturelles permettant de dépasser les obstacles psychologiques, symboliques, éducatifs, le droit de participer à la diversité des vies culturelles, de recevoir les moyens concrets de s’exprimer sous une forme artistique et créative, le droit au libre choix dans la participation à la vie culturelle, le droit de participer à la mise en œuvre des politiques culturelles et des décisions concrètes concernant ce droitn.

Le projet BXL UNIVERSEL II : multipli.city s’inscrit pleinement dans cette logique en proposant une modalité novatrice de la médiation, intégrée dès la conception du projet.

Le projet BXL UNIVERSEL II : multipli.city s’inscrit pleinement dans cette logique en proposant une modalité novatrice de la médiation, intégrée dès la conception du projet. Si comme l’énonçait Marie-Christine Bordeaux, maitresse de conférence en Sciences de l’information et de la communication à l’Université de Grenoble, lors d’une table ronde organisée par nos soins en 2011, la médiation « se situe dans un construit qui unit des êtres humains, des objets et des discoursn », la forme que donne le projet BXL UNIVERSEL II : multipli.city à ce construit est multiple, conjuguant de toutes les manières co-création et co-construction du projet d’exposition.
Avant, pendant et après la réalisation de celui-ci, un processus continu d’exploration, de dialogue, de recherche, de réflexion s’est déployé avec des acteurs et actrices multiples, inscrit·es à plusieurs titres dans le territoire matériel ou symbolique de La CENTRALE. Les associations actives dans le centre de Bruxelles et aux prises avec les questions qu’embrasse le projet ont été mobilisées. Parmi elles, BNA-BBOT, Globe Aroma, Kunstenpunt, Moussem, Zinneke et Culture & Démocratie. Intellectuel·les et artistes furent sollicité·es pour concevoir ensemble et réaliser une exposition/festival qui ouvre la possibilité d’un « nouveau récit » sur la ville avec l’art et par l’art.

Subversion assumée dans un monde artistique marqué par une extrême marchandisation et affirmation de ce que la création peut dire du monde par le biais de cette modalité singulière et collective.

Du côté des artistes, des œuvres conçues et présentées par ceux et celles qui, venu·es d’ailleurs et vivant et travaillant à Bruxelles, font état de leur création. Parmi les propositions artistiques, des œuvres réalisées en collaboration étroite avec le monde associatif ou étudiant côtoient à titre égal les œuvres personnelles. Subversion assumée dans un monde artistique marqué par une extrême marchandisation et affirmation de ce que la création peut dire du monde par le biais de cette modalité singulière et collective. L’Arbre à palabres de Stephan Goldrajch est une grande broderie participative, réalisée par des jeunes et des ancien·nes dans des institutions proches. Pélagie Gbaguidi restitue dans une installation les débats qu’elle a suscités dans des classes sur la question identitaire et les discriminations sous la forme d’une classe dont les bureaux sont couverts d’écrits d’élèves. Le projet participatif L’hypothèse d’une porte, développé avec lenteur, respect et finesse par Effi & Amir avec des immigré·es, est présenté dans l’espace de La CENTRALE lab. Statut d’œuvre à part entière là aussi, pour cette installation conçue et proposée par les participant·es au projet. D’autres œuvres – dont celle d’Anna Raimondo – débordent l’espace de La CENTRALE et emmènent le public dans une déambulation urbaine.

L’exposition se voulait forum, elle le fut. Lors des deux week-ends, les interventions des acteurs et actrices du projet BXL UNIVERSEL II : multipli.city et les échanges ont rendu compte sans concession – comme on pourra le lire plus loin – de la réalité complexe de cette ville multiple et de la difficulté d’y faire lien.

Du côté du public, une proposition originale d’échanges est née pour partie des contraintes liées à la pandémie. Le cours habituel de la médiation est inversé : l’écoute et la « conversation » s’invitent au sein du kleine salon sis au cœur de l’exposition.
Il s’agit, dans ce dispositif singulier, d’entendre les réactions des visiteurs et visiteuses, leurs commentaires, leurs questions et de s’engager avec tous et toutes dans un dialogue qui ne cherche à établir aucune vérité, mais au contraire à multiplier les points de vue sur la proposition faite par La CENTRALE. Les « écoutant·es » et les « parlant·es » ont tissé des liens éphémères au sein de ce salon, certes, mais de l’avis de beaucoup de ceux et celles qui y ont participé, l’expérience fut riche et le plus souvent passionnante. La trace de ces rencontres permet de cerner la représentation que se font ces visiteurs et visiteuses de La CENTRALE comme lieu culturel, de l’exposition en cours – nombre de réactions de surprise et d’intérêt –, du quartier et de la ville de Bruxelles restituée par ces dernier·es dans sa diversité, ses fractures et sa richesse culturelle. Réciprocité : ces échanges nourrissent autant l’institution culturelle que ses interlocuteur·ices. La manne est à double courant.
Manne aussi lors des deux moments de rencontre et de débat, ponctués d’inserts musicaux et de performances en juin et en septembre. L’exposition se voulait forum, elle le fut. Lors des deux week-ends, les interventions des acteurs et actrices du projet BXL UNIVERSEL II : multipli.city et les échanges ont rendu compte sans concession – comme on pourra le lire plus loin – de la réalité complexe de cette ville multiple et de la difficulté d’y faire lien.

Comment le multiple et l’hybride peuvent-ils produire un sens commun?

Trois sessions de débats et d’échanges étaient organisées par La CENTRALE pour le finissage en septembre. Mêlant ateliers, concerts et performances, ces deux journées ont interrogé le projet et les pistes de travail et de transformations qu’il a pu susciter. Comment le multiple et l’hybride peuvent-ils produire un sens commun? La langue comme obstacle ? Le multilinguisme comme solution ? Identité, hybridité, créolisation : comment rendre visibles et audibles ceux et celles, artistes dans la ville, qui ne sont ni vu·es, ni entendu·es ? Quelles blessures et comment les réparer ?
L’espace public comme scène artistique ? L’art pour questionner, faire sens, lier ? Comment habiter cette ville-monde ? Quel imaginaire commun pour Bruxelles, aujourd’hui ? L’art peut-il construire le nouveau récit urbain ? Comment penser le dernier volet du triptyque : de BXL UNIVERSEL II : multipli.city à BXL UNIVERSEL III : utopia city 2026 et au-delà Bruxelles 2030 ?

Ces débats ont réuni ceux et celles qui questionnent Bruxelles et ont participé au projet : architecte, historien·nes de l’art, philosophes, artistes impliqué·es dans l’exposition, curatrices. Ils ont été partagés avec un public peu diversifié et contenu en raison de la pandémie, il faut en convenir. Mais les échanges ont confirmé avec force l’intérêt et la pertinence d’un projet pensé en amont et en aval dans une volonté de participation et d’échanges. Le laboratoire BXL UNIVERSEL II : multipli.city a porté ses fruits en inventant de nouvelles formes d’expérience et de partages culturels et artistiques. Une urgence dans cette ville fracturée socialement et culturellement, dite « démantibulée » par l’une des visiteuses du kleine salon.

La CENTRALE montre, avec beaucoup d’actrices et acteurs culturels, artistiques et sociaux, la voie à suivre. Elle est passionnante, elle construit du lien et du plaisir, elle questionne, elle propose… dans la ville d’aujourd’hui et dans la possible capitale culturelle de 2030, elle s’impose.

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Céline Romainville, Neuf essentiels pour comprendre les « droits culturels » ou le droit de participer à la vie culturelle, Culture & Démocratie, 2013. Pour aller plus loin sur cette thématique, consulter le blogde la Plateforme d’observation des droits culturels de Culture & Démocratie : https://plateformedroit-sculturels.home.blog/

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Céline Romainville, op. cit., p. 50-51.

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Cahiers 11
Bruxelles multiple : les artistes et la ville
Avant-propos

Hélène Hiessler, coordinatrice à Culture & Démocratie

Passez le micro

 


La médiation au cœur de BXL UNIVERSEL II : multipli.city

 


Questionner l’autorité : regards d’artistes

Younes Baba-Ali, artiste multidisciplinaire,
Jean-Marie Vanoirbeek, policier de la brigade canine de Laeken,
Aleksandra Chaushova, artiste plasticienne,
Eric Corijn, philosophe de la culture et sociologue,
Anna Raimondo, artiste radio,
et Aïda Yancy, activiste queer, antiraciste et féministe au sein notamment de la RainbowHouse,
Modération : Fabrice Kada, producteur radio

Brusselsspeaks : la diversité linguistique à Bruxelles

Dirk Jacobs, professeur de sociologie à l’ULB, affilié au Groupe de recherche sur les Relations Ethniques, les Migrations et l’Égalité,
Ophélie Bouffil, co-fondatrice du collectif Les Microsondes,
Taha Adnan, auteur de textes pour le théâtre, de romans et poèmes,
Julie Bertone, professeure de langues au Centre académique d’enseignement des langues (VUB)
et Brudi der Lux, rappeur
Modération : Séverine Janssen (BNA-BBOT) et Tania Nasielski (La CENTRALE)

Bruxelles : identité, hybridité, créolisation

Nedjma Hadj Benchelabi, curatrice en arts de la scène, cinéma et littérature et dramaturge,
Hadassah Emmerich, artiste et enseignante à l’Académie royale des Beaux-Arts de Gand,
Lisa Ahenkona, assistante chercheuse à la VUB pour le projet visuel participatif Shifting the Gaze,
Modération : Rachida Lamrabet, écrivaine, avocate, dramaturge et cinéaste

Brève et partiale histoire d’un territoire fracturé

Vincent Cartuyvels, historien d’art, administrateur de Culture & Démocratie

Imaginaires de la ville

Baobab van de Teranga, artiste polyforme, polyphonique et animatrice pour Toestand/Allee du Kaai,
Effi & Amir, artistes visuel·les et réalisateur·ices documentaires,
An Vandermeulen, directrice artististique à Globe Aroma,
et Allan Wei, libraire et chercheur en géographie au laboratoire interdisciplinaire d’études urbaines
Modération : Vincent Cartuyvels et Sébastien Marandon (Culture & Démocratie)

Clôture et perspectives : de multipli.city à utopia city

 


Parole et Dominique Mangeot

Sébastien Marandon, enseignant, administrateur de Culture & Démocratie

Bruxelles : imaginaires écologiques de la ville

Allan Wei, libraire et chercheur en géographie au laboratoire interdisciplinaire d’études urbaines