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Atelier 3 - Arts de la scène et droits culturels

La position d’un créateur de projets

Lorent Wanson
Comédien et metteur en scène

01-12-2020

Pour préparer cette intervention, je me suis un peu replongé dans ce que j’écrivais aux moments charnières de mon parcours et dans les expériences singulières qui justifient – je crois – ma présence ici. Je ne me considère pas comme un spécialiste ou un théoricien de la question du droit culturel. Il m’est arrivé d’en être un acteur en tant que porteur de projet qui interrogeait cette question, ou la prenait de front, ou s’y confrontait, du moins. Je fais néanmoins partie d’une histoire qui a toujours mis au centre la question de la démocratisation culturelle et de l’accès à la culture pour tou·tes. Je tiens avant tout à signaler que je ne peux rendre compte que de projets ponctuels qui ne peuvent révéler une vision d’ensemble des différents paramètres qui imposent ou s’imposent dans la réalité quotidienne et les programmations d’ensemble de directeur ou directrices d’institution.

DÉMOCRATISATION CULTURELLE ET SUBVENTIONNEMENT DU THÉÂTRE EN FÉDÉRATION WALLONIE-BRUXELLES

Le concept même de subventionnent est lié avant tout à l’idée du droit culturel en « démocratisant la culture » par un accès moins onéreux aux productions culturelles. Le théâtre populaire était, dès la base, au centre des préoccupations. La création d’un théâtre-action très vif en Wallonie, dès les balbutiements, en est la preuve flagrante. Aujourd’hui, la démocratisation culturelle est inscrite dans chaque énoncé de contrat-programme, dans la politique de rationalisation, de rentabilisation, ou d’objectivation auxquelles est soumise toute structure, de la compagnie indépendante aux centres dramatiques et aux institutions « en dur ». Que sous-tend cette expression de « droit culturel », est-ce un droit à l’accès ou un droit de présence et donc de parole ?

J’ai une certaine pratique du travail participatif, que ce soit avec les familles en situation de pauvreté à Bruxelles pour Les ambassadeurs de l’ombre ; en Serbie avec Rupe, avec de multiples acteur·ices des guerres ex-yougoslaves, réfugié·es intérieur·es, gitan·es, des soldats ; au Congo avec Africare, où des chœurs tant d’enfants des rues, que de prostitué·es, des villageois·es soumis·es aux pillages d’ex-soldats, de femmes violées quotidiennement dans des camps ; au Chili avec Historia Abierta, avec une multitude d’histoires réelles tricotées ; et bien entendu ici-même, dans le Borinage, dans le cadre de Mons 2015, avec Une aube boraine où plus de 200 personnes ont participé.

Cela fait des milliers de voix auxquelles j’ai toujours tenu à associer, à confronter des artistes. Non dans l’esprit de pallier la parole non-professionnelle, ni même de la sublimer, mais de réellement créer un mouvement de partage des expériences, du discours artistique et du parcours du réel. Le dialogue se voulait horizontal et le concept même de culture était dès lors rebattu, car nous sommes tou·tes la culture. C’est à cet émerveillement que je dois la manière dont j’ai articulé ma pratique, simplement car ces cultures et ces expériences, je ne pouvais décemment pas les précéder d’un savoir, mais juste mettre en corrélation, en dialogue, parfois en rupture nos différents savoir-faire.

L’EXPÉRIENCE DE LA DIVERSITÉ DES PUBLICS AVEC SAINTE JEANNE

Dès 1998, avec Sainte Jeanne des Abattoirs, répétée ici dans le Borinage, à Colfontaine, j’avais ouvert grand les portes des répétitions car me revenait l’expérience d’audiences uniformes dans les théâtres. Il me semblait que j’avais le devoir de diversifier les publics pour des raisons que j’ai souvent qualifiées de scénographiques, pour aller au bout de mon travail d’acteur public. C’était une forme d’intuition, je l’avoue aujourd’hui, quelque peu missionnaire. Répéter devant des gamin·es, des élèves d’écoles techniques, des syndicalistes, des membres d’un cours de tricot, etc., remettait au centre la question du dialogue qui nous imposait une écoute au plus proche des réalités et non une vision fantasmée de l’autre. Les spectateur·ices devenaient par moments acteur·ices des processus, en devenant dans ce cadre
« enseignant·e d’expérience » des acteur·ices.

Quand Bruxelles 2000 m’a proposé de faire un projet de partenariat avec des familles en situation de pauvreté, je me suis rendu compte que mes « préjugés » ne tenaient plus la barre, et qu’il y avait chez les gens que je rencontrais des richesses que je ne possédais pas, des connaissances, des expériences et des cultures qui m’étaient complètement inconnues et donc qu’il ne servait à rien de vouloir enseigner ou éduquer ou convaincre qui que ce soit. Les digues idéologiques, la mission devenaient ringardes au regard de ce que je rencontrais. Et j’ai pensé nécessaire d’associer des acteur·ices professionnel·les et des artistes de toutes les pratiques afin de mettre sur la scène elle-même ces formes d’incompréhension et de chemin à faire. Il ne fallait pas aller vers, mais faire avec. C’est dire aussi et c’est essentiel, ne jamais s’oublier dans ces rencontres. Le chemin vers le droit culturel n’était plus selon moi une mission, mais une manière de faire. Qui s’est par ailleurs reflétée, je crois, dans tous mes autres projets, qu’il s’agisse de pédagogie ou de créations.

Car il est fondamental de rappeler que le réel n’est pas l’apanage de celles et ceux dont on veut faire valoir les droits culturels, mais que nous sommes une part de ce réel, tout aussi légitime. Les nécessités de rencontre naissent des réalités rencontrées et des cadres mis en place pour que ces rencontres soient inattendues. Au Congo, il me fallut batailler pour sortir des cadres tous faits qui voulaient me mener aux « bonnes victimes », via les bonnes ONG, etc. C’est au détour, en m’égarant, en désobéissant que j’ai composé les équipes, il en fut de même en Serbie ou au Chili. Mais il fallait avant toute chose que le cadre de production soit à la fois assez souple et assez rigoureux pour ne pas s’y perdre. Merci à Daniel Cordova, à Roland Mahauden, à Bérengère Deroux et à tou·tes les acteurs et actrices institutionnel·les au Wallonie-Bruxelles International (WBI) de m’avoir épaulé dans cette tâche.

Bien entendu, je reviens au théâtre-action, je n’inventais rien. Je crois que des spectacles comme Les ambassadeurs de l’ombre ou Africare qui eurent une belle réception étaient simplement des spectacles qui touchaient par eux-mêmes, comme des créations peuvent toucher car elles évoquent à la fois leur temps et une part d’universel. Je ne prétendrai jamais que c’est le processus moral qui fait la beauté d’un projet, mais plutôt son adéquation avec l’ici et maintenant. Finalement, au bout de chaque création, qu’elle soit participative ou non, il y a un processus qui s’inscrit. Un temps de découverte ou d’impulsion – l’idée –, puis de recherche et de rencontre, de choix d’équipes. Un temps d’égarement, un temps de mise en place, puis l’instant magique de la présentation. J’ai toujours vu la production, peut-être à tort, comme le moyen d’équilibrer ces étapes, de les structurer, de leur donner le juste temps, le juste rythme, évidement profondément différent d’un projet à l’autre, d’autant plus dans les projets participatifs.

Mais je voudrais revenir à des souvenirs particuliers révélateurs des richesses et écueils de ces aventures. Lors de la création de Rupe à Belgrade, je recevais des cercueils dans ma boite pour avoir « sali » la grande scène du Théâtre National de Belgrade par la présence de familles gitanes sur le plateau. La première réception de Historia Abierta au Chili fut très compliquée car le public chilien supportait mal de voir un artiste belge leur raconter leur histoire, quand bien même elle n’était que la transmission d’expérience réellement vécues par les familles. L’acte de la rencontre du réel, de sa mise en jeu, de son témoignage brut rentrait parfois en conflit direct soit avec les publics, soit avec l’acceptation par le milieu de ce partage d’un bien commun, le plateau, du moins de l’espace que j’imagine être la chambre d’écho que la société se renvoie à elle-même. Y a-t-il une part d’exotisme quand des projets comme ceux-là rencontrent des succès ici ? N’y a-t-il pas aussi un fantasme des droits culturels, une mode de la différence ?

J’ai reçu nombre de critiques qui disaient que ce que je faisais n’était pas de l’art. « Il manque d’écriture, en quoi ce témoignage est-il vrai, n’est-ce pas des fake news ? » D’autres à l’inverse s’extasiaient de ces processus souvent qualifiés de « catharsis », comme à Belgrade ou à Kinshasa. Je ne sais pas répondre à cette question qui est pourtant au centre de la réflexion de cet après-midi. Que met-on en jeu en mettant en place de tels processus et projets ? Faisons-nous acte de devoir ? Justifions-nous de ne pas assumer ce que nous sommes ? La remise en question de nos savoirs peut-elle être mise en jeu ? La main qui donne étant toujours au-dessus de celle qui reçoit comme le disait le créateur d’ATD Quart Monde ? Faut-il faire venir voir les gens pour qu’ils retrouvent ce qu’ils sont ? Est-ce valorisant d’être des personnages interprétés par d’autres ? Qu’attendons-nous de ces rencontres ?

PENSER AVEC LES MAINS : QUELQUES MOTS SUR UNE AUBE BORAINE

J’ai toujours pensé, peut-être à tort, qu’il n’y avait pas de hiérarchie dans l’expérience. Un traumatisme est un traumatisme, quel que soit son contexte, la vitalité et la résilience sont pour tou·tes les humain·es. Ce rapport entre celui ou celle qui regarde et celui ou celle qui fait est arrivé au centre de mes préoccupations en lançant le projet d’Une aube boraine. Il me fallait trouver une manière de percuter ce rapport afin de libérer des paroles dans les instants, d’intégrer la parole des spectateur·ices à l’acte des acteur·ices, comme dans les veillées de jadis où les paroles rebondissaient. J’ai donc envoyé une quinzaine d’acteur·ices se perdre quelques jours dans le Bori- nage, marcher, sans leur demander de résultat, juste marcher et inviter ceux et celles qu’il·elles croisaient à des apéritifs et rencontres où, de façon festive, la parole s’est mise à circuler. Il y eut des moments magiques, comme convoqués par une nécessité de parole énorme.

Un projet comme Une aube boraine se clôture-t-il ? Ce n’est pas sa vocation. Il restera de ces deux années complètement folles du visible et puis beaucoup d’invi- sible. Il y aura eu des tonnes d’éphémère et des essais de pérennité, des graines semées au vent dont nous ne pouvons savoir si elles porteront leurs fruits, et d’ailleurs ces fruits que nous espérons, ce ne seront déjà plus les nôtres mais ceux de celui ou celle qui les entretiendra. Ce furent deux années magnifiques, dangereuses, humbles mais d’une ambition démesurée, deux années où nous avons tenté d’arracher de la lumière là où stagnait l’ombre, ou plutôt de tenter d’éclairer ce qui n’a jamais cessé d’être là, et cette région, bien souvent, pas toujours, nous l’a rendu.

Nous ne pouvions savoir, deux ans auparavant quand nous avons déposé ce projet, que son titre serait si révélateur, car l’aube est un moment qui ne choisit pas. Elle est le témoignage d’une vibration, d’une incertitude, un moment que nous avons voulu étendre, avec des moments d’éclats, de retrouvailles, des petites veillées où des badauds, des artistes venu·es de partout, des piliers de comptoir, des musicien·nes du dimanche, se retrouvaient, pas pour faire spectacle, mais pour partager des espaces de parole, de fête, de tendresse. Car Une aube boraine n’a jamais voulu être un spectacle et n’en est jamais devenu un, elle est la mise en scène de l’instant. Nous avons tenté que la vie s’invite partout dans nos pratiques artistiques et qu’inversement l’art s’invite au zinc, se faufile dans le folklore, réinvente avec ses moyens démunis du sacré, dans le sens le plus noble ou rudimentaire du terme. Le sacré, tel que l’esquisse Pasolini, mais tel aussi qu’il perdure comme une résistance dans cette région frontalement bousculée par l’histoire économique et sociale du siècle, cette région qui ne se cache pas (même si on la regarde peu), qui crie à la fois son déclin et sa renaissance, qui le crie, le chante, avec cette franchise rare, qui ne joue pas et ne dissimule pas non plus ses abattements.

Il fut fondamental pour nous de travailler ici, là où les simulacres ne font pas le poids, car les populations en ont subi tant qu’on ne leur fera plus une promesse sans qu’une tournée générale ne suive. Il est paradoxal que ma pratique théâtrale ait fermenté il y a une quinzaine d’années ici-même dans cette salle culturelle, cette Maison du Peuple, pour les répétitions de Sainte Jeanne des Abattoirs, et qu’il me fallut errer en Serbie, au Congo, au Chili, écouter et tenter de donner écho aux silences où sont relégués la majorité des êtres, acteur·ices de l’histoire mais que les livres ne mentionnent jamais, pour en fin de compte revenir ici, là où ma culture bat, là où résonnent mes propres silences, là où purulent mes propres plaies, là où s’entament mes fous rires et où surgissent mes larmes. Paradoxal qu’ici nous ayons nous-mêmes, tout au long de ces deux ans, compris le sens du mot silence et de la marginalité. Sans doute les douleurs ou les trahisons ne s’entendent-elles qu’avec la distance de l’exotisme.

Au moment, non de refermer ce chapitre, mais de l’ouvrir à d’autres vents, de laisser les « enfants » d’Une aube boraine suivre leur propre marche, nous savons qu’il ne nous sera pas possible, ni ici ni ailleurs, de raconter ce que fut Une aube boraine : une compilation d’instants qui ne sont enregistrés nulle part, un sentiment peut-être d’avoir appartenu à ces instants, une complicité pour une chose qui n’était plus ni du théâtre, ni de l’action socioculturelle, une aventure humaine qui n’avait d’autre ambition que d’exhorter du mouvement, de la pensée, de la joie, de l’amicalité. Sur Une aube boraine, nous avons frôlé des fins et rebondi sans cesse, sans avoir l’ambition d’arriver à une conclusion, mais juste offrir la vibration nécessaire à ce que le monde résiste à la modélisation, à la formalisation de l’époque. Un espace-temps de deux ans, où l’on put tout à la fois réfléchir l’histoire et tricoter du futur, dans un présent à réinventer sans cesse.

Alors peut-être, ces (dé)marches, ces vins chauds et amuse-gueules, ces fontaines de voix, ces temps de cuisson qui importent, ces auberges boraines et autres matchs amicaux, ces Van Gogh que nous sommes tou·tes, ces balades entre haine et trouille, et les quelque onze ou douze – on ne compte plus – spectacles mis en germe au cours de ces deux ans, ne sont-ils pas grand-chose, ne sont-ils pas l’évènement majeur, spectaculaire, mais un chemin vers une autre sorte de lumière, celle d’une aube hésitante qui porte en elle tous les possibles sans en occulter tous les démons.

Si le terme de morale, voire de « réparation éthique », était un fer de lance dans mon discours, une justification, je pense aujourd’hui qu’il n’en était rien sinon une part, et que les bases des différents processus que j’ai mis en place étaient bien plus profondes ou obscures. On a beau faire au nom d’une philosophie, d’une idéologie, etc. on met juste en place une façon de se confronter à ce qui nous est inconnu en nous-mêmes, ce qui est indicible. Les ambassadeurs de l’ombre ou Une aube boraine, de l’ombre à l’aube, sont des questions qui me concernent aussi personnellement avec leurs élans et leurs impasses. Elles sont des luttes pour tenter de comprendre ou d’accompagner des destins, de s’en forger ou de comprendre le sien et lui trouver des formes de résiliences, des aubes, des histoires ouvertes, des cieux qui nous éloignent du labyrinthe et nous brulent parfois, souvent les ailes.

Pourquoi revenir à ces aspects plus psychologiques? Car la question des droits culturels doit aussi s’adresser à nous-mêmes, quels sont nos droits culturels en tant qu’individus dans le monde de plus en plus fractionné que nous traversons, en tant qu’acteur·ices culturels, dans nos théâtres, nos compagnies, nos chemins ? Avons- nous avancé pour laisser de la place aux autres, ou même pour nous en laisser à nous-mêmes ? Où se situe la part de dialogue que nous instaurons avec les diversités – je dirais mêmes les clans, un concept qui ne me semblait pas exister réellement à l’époque de ces projets ? Comment une société comme la nôtre peut-elle se remettre à dialoguer sans s’annuler, à se confronter sans se dissoudre dans le vacarme des clivages ?

Nous sommes bien entendu des acteur·ices du service public, nous avons à partager nos pratiques et nos spectacles avec le plus grand nombre qui, on le remarque, ne cesse de se diversifier, voire de se fragmenter de plus en plus. Puisqu’on aborde la question de la médiation, que mettons-nous en place dans nos pratiques pour ouvrir nos projets à des publics différents – ou perdus, comme on les a appelés ? Les fractures constatées dans nos sociétés et qui révèlent sans cesse des questions identitaires doivent-elles nous inciter à une forme de résistance et donc de « rééducation », ce qui signifierait reprendre la main ou le contrôle, oser affronter les différences? C’est une des questions qui m’anime profondément aujourd’hui et je dirais même m’ébranle. Je ne suis pas homme de communication, je ne comprends plus comment on vend une opération artistique. Mais je sais que l’aventure se fait en chemin. En s’aventurant sur des terrains sans idée préconçue, mais avec la sincérité d’ouverture, avec l’acceptation d’être bousculé·es tant artistiquement que philosophiquement, on peut créer un terrain où la société se rencontrerait de nouveau par l’expérience. Une scène est un endroit fragile, éphémère, sacré et festif. On pourrait même dire que c’est un endroit protégé, où le temps se distend pour interroger à la fois l’universel et le présent et donc un endroit de résistance par essence.

Mais nous sommes dans un temps qui rentre en conflit avec celui-ci, un temps impatient, surcommuniquant, de présence obligatoire, un temps de l’enchainement. Il est sain de se demander s’il s’est ou non démocratisé et, par ailleurs, interroger ce que cela pourrait signifier ce terme de démocratisation. Je dois vous avouer que je suis un peu perdu. Je ne sais pas si les publics dans les salles sont sociologiquement plus diversifiés que naguère. Nous ne pouvons plus aborder ce sujet de la même façon qu’il y a 30 ans, et même qu’il y a deux ans, et j’ajouterais que nous n’en parlerons pas de la même façon demain. Je dis demain car le « phénomène » participatif n’est plus aujourd’hui un vœu que des créateur·ices ou des acteur·ices culturel·les auraient soin de désirer. Il pousse de partout une nécessité participative qui nous dépasse, nous interroge, nous remet face à un instant qui déborde quasiment l’ici et maintenant pour en faire un à l’instant, tout de suite.

Je dirais que, pour que les droits culturels puissent être pleinement effectifs, il est impératif qu’ils ne fassent pas partie d’une stratégie mais d’un engagement sincère, et qu’ils aient avant tout la volonté de retisser du lien, de quelque façon que ce soit. Car comment faire société aujourd’hui dans les archipels qui apparaissent, dans les murs qui se dressent ? Théoriquement, il n’y a jamais eu tant de possibilité d’accès à toutes les informations, y compris culturelles, mais cette abondance de possibles n’est-elle pas justement une impasse aux rencontres véritables, à des veillées où des cadres simples et poétiques lézarderaient ces murs ? Donc, l’avenir des médiations culturelles passe-t-il par de vastes opérations médiatiques, ou au contraire par de petits actes disruptifs ?

En fait, je dois vous avouer que je ne sais plus bien aujourd’hui, ces années de rencontres où j’ai tenté de faire résonner des milliers de voix dissonantes m’ont un peu égaré dans la mienne que je cherche. Le monde ne me fait pas peur, mais me distrait, m’empêche de le réécouter avec la patience nécessaire. Je me rends compte que mon expérience ouvre plus de questions qu’elle n’en résout, mais la question du droit culturel, à mon sens, ne se décrète pas, elle s’exerce, et ce n’est que dans son exercice nécessaire qu’elle opère. En sachant que pour chacun·e, l’essentiel est de construire ou se reconstruire une dignité humaine au-delà même des identités parfois meurtrières, c’est ce terrain commun dont je ne connais pas le nom, un plateau de théâtre peut-être dans sa métaphore, où un feu de veillée autour duquel se rassembler, pour qu’elles puissent communiquer.

Image : © Anne Leloup

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