Michel Clerbois
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Vents d’ici vents d’ailleurs

Le Parti du Rêve de Logement

Entretien avec Mohamed Hindawi, Peter Snowdon, Victoria Uzor et Aurélia Van Gucht
Propos recueillis par Maryline le Corre, chargée de projets à Culture & Démocratie

20-03-2017

En 2001, la maison de quartier Bonnevie de Molenbeek et un groupe de citoyens se réunissent pour réfléchir aux obstacles majeurs à l’accès à un logement décent et payable : Comment lutter contre la discrimination raciale ? Pourquoi n’y a-t-il pas de grands logements pour les familles nombreuses ? Comment régler le problème de la garantie locative ? Ils fondent ensemble le groupe Alarm dont l’objectif est de lutter pour le droit au logement pour tous, à travers différents types d’actions.
La dernière d’entre elles est la réalisation d’un film de 66 minutes, intitulé Le Parti du Rêve de Logement. Ce long métrage mis en scène par Peter Snowdon en collaboration avec le Centre Vidéo Bruxelles (CVB) fut coécrit par les membres du groupe Alarm et présente en quelque sorte le résultat de leur lutte depuis une quinzaine d’années.
Nous avons rencontré Mohamed Hindawi, membre d’Alarm depuis 7 ans, Victoria Uzor, membre d’Alarm depuis 13 ans, Aurélia Van Gucht, assistante sociale à la maison de quartier Bonnevie et responsable du projet Alarm depuis 2001 et Peter Snowdon, réalisateur du film, pour en savoir un peu plus sur ce projet.

Comment est née l’idée de faire ce film ?
Aurélia Van Gucht : En fait, le Parti du Rêve de Logement a été créé avant le film. Au moment des élections régionales de 2014, le RBDH (Rassemblement bruxellois pour le droit à l’Habitat) dont nous sommes membres, avait organisé une journée sur la thématique du logement et nous avions été amenés à réfléchir à ce que nous voulions faire. La volonté du RBDH était que le logement reste une priorité dans la nouvelle législature. On a réfléchi ensemble à ce qu’on pourrait faire d’un peu ludique et décalé. Monsieur Hindawi a proposé de créer notre propre parti. C’est comme ça qu’est né le Parti du Rêve de Logement.

Victoria Uzor : En 2012 lors des élections communales, nous avons réalisé le clip vidéo Moi, si j’étais bourgmestren avec Peter [Snowdon] à la maison communale, pour dire ce que l’on voulait que les politiques fassent sur la question du logement pendant leur mandat. Et après on s’est dit : « Pourquoi ne pas faire un film plus long et mettre dedans tout ce qu’on vit ? »

Peter Snowdon : Déjà à ce moment-là, j’avais été frappé par la manière dont les membres du groupe étaient communicatifs et cinégéniques. Quelques années plus tard on a eu l’occasion de faire ce film ensemble. La Maison de Quartier avait un petit budget qu’elle pensait mettre dans le projet, alors je suis allé trouver le CVB pour voir si on pouvait collaborer parce que je sentais qu’on avait besoin d’une structure de production pour nous accompagner. Ça correspondait bien à leur mission d’éducation permanente dans le cadre des « Ateliers Urbains », des ateliers-vidéos dont les habitants de Bruxelles sont les principaux auteurs. Ils nous ont accueillis à bras ouverts sans trop savoir dans quoi ils s’embarquaient. On leur a proposé de faire un court métrage car moi ce qui m’intéressait c’était de travailler avec des gens sans avoir de scénario dialogué et écrit. Mais au fur et à mesure du travail je me suis rendu compte qu’on était en train de faire quelque chose de beaucoup plus ambitieux.
J’avais déjà entendu parler du Parti du Rêve de Logement. Lors des ateliers d’écriture collective que nous avions mis en place, j’ai proposé qu’on raconte comment des gens en viennent à avoir envie de créer un parti comme celui-là. J’ai ensuite demandé à chaque membre du groupe d’inventer le personnage qu’il voudrait jouer dans ce scénario et j’ai proposé des situations où ces personnages seraient susceptibles de se rencontrer. On a commencé le tournage par les entretiens radio que l’on voit tout au long du film et ça a permis à chacun de développer son personnage. Il y a eu un processus d’apprentissage et ils se sont sentis de plus en plus à l’aise à la fois avec le rôle qu’ils jouaient et avec le fait de jouer et de faire un film ensemble.

Le film a donc été écrit à plusieurs mains et au fur et à mesure du tournage. Vous êtes-vous inspirés de situations réelles ou vécues ?
A.V.G. : Au début on avait imaginé faire un docu-fiction et puis on s’est rendu compte que certaines personnes étaient très à l’aise avec le fait de jouer un personnage quand d’autres avaient plus de mal avec cela. Et puis, quand on a vu le plaisir qu’ils avaient à jouer, on a abandonné l’idée du documentaire tel qu’on l’entend traditionnellement. Je trouve très fort ce fil ténu entre la réalité et la fiction que Peter a réussi à garder.

P.S. : Cela ne vient pas du tout de moi. Ils ont choisi eux-mêmes leurs personnages. Certains leur étaient très proches, d’autres très lointains. Quand j’arrivais le matin pour tourner je ne savais pas ce qu’ils allaient dire. Le rôle d’Aurélia était de préparer avec les acteurs ce qu’ils souhaitaient faire dans telle ou telle scène, pendant que moi je préparais le tournage avec les techniciens. Je n’étais pas là pour faire de la censure, pour dire de jouer ceci ou cela. C’est vraiment un film qui a été créé de manière très spontanée à partir des apports de chacune et chacun.

Mohamed Hindawi : Personnellement – et je crois que c’est aussi le cas pour d’autres – je n’avais pas de mal à jouer mon rôle car c’est notre quotidien, c’est notre vie et les idées défendues sont aussi des idées sur lesquelles nous travaillons depuis longtemps.

V.U. : Parfois j’arrivais et je me disais : « Mais qu’est-ce que je vais dire ? » Alors je me remémorais quelque chose que j’avais vécu et tout sortait. J’ai beaucoup souffert du logement. À présent ça va, mais il y a toujours beaucoup de gens qui souffrent de ce problème. J’ai voulu participer à ce film pour lutter, pour dire au gouvernement qu’il n’y a rien qui va et qu’il doit changer ce système qui ne marche pas.

A.V.G. : L’idée de ce film est de dépasser le statut de victime pour se dire qu’on peut à son échelle essayer de faire bouger des choses. Tous les comédiens sont des gens que j’ai suivis en individuel et qui sont souvent arrivés à la permanence logement avec une énorme plainte, en disant : c’est vous qui allez résoudre mon problème. Ici on est dans une autre démarche, c’est devenir acteur mais pas dans le sens « être activé ». On n’active pas les gens, ils deviennent acteurs en étant dans un processus. C’est l’idée de rendre publique la parole de gens qui ne sont en général pas entendus.

Selon vous la création de mouvements solidaires et citoyens pourrait-elle être la réponse à la crise sociale actuelle ?
M.H. : Oui bien sûr, l’union fait la force. C’est ce que l’on a voulu dire dans le film. Par exemple lors de la bataille des Marolles, c’est clair que si les citoyens ne s’étaient pas mis ensemble pour demander leurs droits, ils ne les auraient pas obtenus. Le droit il faut le demander car sinon personne ne va vous le donner.

A.V.G. : En tant que travailleuse sociale, c’est justement cette dimension collective qui m’importe. L’avenir du travail social est dans le collectif sinon on ne peut qu’aller vers du burn-out. Vu comment les droits sociaux sont attaqués pour l’instant je ne vois pas d’autres solutions. Dans une société atomisée où les plus pauvres sont très isolés, je pense que c’est un travail de rassembler pour réfléchir ensemble à comment défendre et comment revendiquer.

P.S. : La question par rapport au film reste ouverte. Est-ce que le film prône la création de partis politiques comme celui-là ou est-ce que le film se sert de ça pour mettre en scène autre chose ? Parce que le Parti du Rêve du Logement ce n’est finalement que 5 minutes à la fin du film. Donc, d’une part, c’est une manière de parler de beaucoup de problèmes, en ayant l’impression que l’on va quelque part. D’autre part, ça met en jeu ces questions de solidarité et d’actions collectives. On dit souvent que l’on voit de nouvelles générations de partis politiques émerger qui ne fonctionnent pas comme les partis à l’ancienne et qui sont beaucoup plus portés par des mouvements citoyens. Ils servent à créer des rapports de force autour de ces mouvements et des problématiques qu’ils portent. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’avoir un point de vue sur l’utilité des partis politiques pour rentrer dans ce que le film a à dire. Il sert de véhicule pour parler de questions qui sont profondément politiques dans un sens qui dépasse les simples enjeux électoraux.

A.V.G. : Effectivement, le parti c’était un jeu. Mais il y a quand même un objectif politique derrière tout ça. Alarm est une association dans laquelle les pauvres prennent la parole, reconnue par la Communauté flamande et l’idée c’est aussi de se faire entendre auprès du monde politique. Quand nous avons commencé les activités du groupe, nous n’étions pas subsidiés. C’est parti d’un besoin et on a eu une reconnaissance par après. Le 17 octobre dernier, à l’occasion de la journée internationale du refus de la misère nous avons présenté le film au parlement bruxellois. Il y avait un seul parlementaire présent en plus d’un représentant du cabinet de la ministre du logement et d’un représentant du cabinet Smet qui s’occupe de l’accueil d’urgence. C’est un peu triste et surtout c’est un manque de respect car la journée internationale du refus de la misère il y en a une par an et ils ont été prévenus trois mois à l’avance. J’ai le sentiment que ça se creuse entre les citoyens et le politique.

Pensez-vous que ce genre de projet puisse avoir un réel impact ?
A.V.G. : Nous avons une vraie reconnaissance au niveau local. L’une des principales revendications du groupe Alarm c’est la mise en place d’un Fonds régional de garantie locative accessible à tout citoyen bruxellois. Mais cette question relève de la compétence régionale et là rien ne bouge depuis 15 ans. Donc pour l’instant sur ce point, il n’y a pas vraiment d’impact. Mais je pense que cela prend du temps et je ne désespère pas de voir les choses se mettre en place. Je crois que le film dénonce et donne une certaine force aux gens. Il permet l’expression de revendications qui s’expriment difficilement quand on est seul, isolé. Petit à petit ça va converger pour faire quelque chose de plus grand. Je fomente l’idée de faire un petit festival de films sur le thème du logement avec le CVB, pendant la campagne électorale de 2019, puisque nous travaillons aussi sur le mémorandum pour le droit au logement à Molenbeek dans le cadre de la campagne qui va arriver. Donc ce film je lui donne encore un peu de temps pour faire bouger les consciences et produire ses effets tant auprès des spectateurs qu’auprès du monde politique.

P.S. : Les community media sont l’occasion pour la communauté de se montrer à elle-même, de se rendre compte de ce qu’elle est et d’où elle en est avec certaines choses. Je pense que ce film c’est un geste dans ce sens-là. Donc oui ça interpelle le niveau politique certainement. Le groupe Alarm a aussi la vertu de rassembler des gens et cela change la façon dont ils peuvent agir, directement ou indirectement.

Quel accueil a reçu le film ?
V.U. : C’est vraiment positif, les gens sont contents. Il y a même une dame qui a pleuré et qui m’a dit : « Ce que vous dites dans le film, c’est arrivé à mon fils. » C’est émouvant.

A.V.G. : On a fait 15 projections depuis le mois de septembre 2016, soit des séances ouvertes soit des séances pour un public cible. Ce que je remarque c’est que les publics les plus précarisés apprécient le film dans le sens où ils s’identifient et surtout où ça délie les langues de gens qui n’ont pas forcément l’habitude d’aller au cinéma. Ça me touche beaucoup que ces publics-là, au moment des échanges, prennent la parole très spontanément. On a aussi montré le film à des étudiants en première année assistant social. À la fin de la projection, ils n’ont pas tout de suite applaudi. Je pense qu’ils étaient un peu abasourdis, qu’ils ne s’attendaient pas à ça. En première année, ils sont jeunes et ils ont encore une image stéréotypée de l’assistant social. Mais une fois la première impression passée on a reçu plein de bons retours. Ce travail de reconnaissance et de respect des gens dans ce qu’ils sont, dans ce qu’ils disent est aussi très important dans le travail social.

M.H. : À deux ou trois reprises, la salle était vraiment pleine. Le public s’est montré très intéressé et posait plein de questions sur notre groupe, notre projet… Je pense qu’avec ce film on est en train de récolter les fruits de notre travail. Parce que maintenant, nos idées, nos actions ne sont plus enfermés entre quatre murs. Je suis content car on montre ce que l’on fait et ce que le public doit faire pour lutter pour le droit au logement pour tous.

www.cvb.be. Le film est disponible sur support DVD au CVB
www.bonnevie40.be

 

Image: © Michel Clerbois. Site Hirson-Buire, Château d’eau, 1994-1995

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