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Dossier

Le PECA, de nouveaux rituels pour l’école

Sabine de Ville, membre de Culture & Démocratie

31-07-2023

Cet article de Sabine de Ville prolonge la réflexion de Bernard Delvaux sur l’institution scolaire et les nouveaux rituels à y inventer. Elle voit dans la récente inscription dans les programme du Parcours d’Éducation Culturel et Artistique (PECA), une nouvelle forme de rituel d’initiation culturelle à valoriser. L’ambition de ce programme est de permettre à chaque élève d’accéder à la vie culturelle, de rencontrer des œuvres, des artistes et des pratiques culturelles, de fréquenter des lieux culturels, mais aussi d’acquérir des savoirs, des connaissances et des compétences, dans une perspective de développement de l’esprit critique et de l’expression personnelle.

« Elle (la création) pose des déterminations nouvelles. Ces déterminations sont bien entendu cognitives, “pratiques”, mais aussi “artistiques”, etc. Cela signifie que la création, non pas “réalise des possibilités déjà existantes” mais crée de nouveaux possibles (plus exactement les deux à la fois). »
Cornelius Castoriadis, Histoire et Création, Seuil, p. 99.

« La prise de conscience, chez les plus jeunes, de la diversité et de la richesse des attitudes culturelles contribue par ailleurs souvent de manière décisive, à la reconnaissance des différences : différences culturelles, sociales, et respect de l’expression des minorités. Contre la violence et l’incivilité, contre les racismes, les arts et la culture peuvent contribuer à créer une école de la tolérance et du respect de l’autre. Les règles de l’art sont également celles de la vie. »
Robin Renucci, préfaçant Jean Gabriel Carasso, Nos enfants ont-ils droit à l’art et à la culture ?
Éditions de l’attribut, 2008, p. 7-8.

Et si les rituels scolaires étaient parmi les plus résistants ? Les plus immuables ? En dépit de ce qui a bougé au fil du temps, la classe demeure presqu’inchangée. L’alignement des bancs, le tableau même numérique, l’organisation de l’espace, celle du temps, l’étanchéité entre les disciplines et la posture d’un·e enseignant·e délivrant le savoir font encore partie de l’expérience scolaire et de ses rituels. Certes, les méthodes, les exigences, les formes de l’apprentissage ont évolué. Les jeunes – enfants et adolescent·es – sont différent·es. Critiques, rebelles, collé·es aux écrans et à leurs productions, ils et elles sont aussi, pour beaucoup, enthousiastes et avides d’une formation qui fasse sens pour eux·elles, et les aide à appréhender et pourquoi pas, changer le monde contemporain.

Le métier des enseignant·es a bougé lui aussi, au gré des mutations de la société et des multiples réformes plus ou moins bien reçues. On sait ce métier en crise, traversé de lassitudes profondes et confronté à des difficultés nouvelles et croissantes. Les défis et les questions d’aujourd’hui font continûment irruption dans l’école : contestation des savoirs transmis au nom de convictions personnelles, agressivité voire violence, mise en question de l’efficience scolaire par les enquêtes PISA, manque de reconnaissance de la part du corps social, pression accrue de la sphère parentale. Le Pacte d’Excellence propose de nouvelles réponses.

L’école d’aujourd’hui, miroir d’une société traversée de fractures, de questions et d’incertitudes est peu sereine. Le « commun » y est mis à mal au profit, selon les contextes, de la compétition sans merci ou de la désaffection multiforme. Bernard Delvaux, sociologue et professeur émérite à l’UCLouvain, creuse depuis de nombreuses années la question d’une transformation radicale de l’expérience scolaire qui passerait par de nouveaux rituels d’apprentissagen. Sous le titre militant « Une tout autre écolen » puis dans un ouvrage co-signé par Luc Albarello, docteur en sociologie, et Mathieu Bouhon, historien et docteur en sciences de l’éducation, il dresse les contours de la métamorphose indispensable de la forme scolaire. Il s’agit de l’ajuster enfin aux logiques et aux besoins de notre temps et de contrer les forces centrifuges – marchandes pour l’essentiel – qui la menacent. Un retournement radical des pratiques pour une éducation réellement émancipatrice.

Les mesures prises dans le cadre du Pacte d’Excellence veulent elles aussi revivifier l’école. Parmi elles, l’inscription dans le tronc commun d’un nouveau venu au sein des enseignements obligatoires. La formation culturelle et artistique dite PECA fait désormais partie du paysage. Une victoire pour ceux et celles qui, avec nous, la jugeaient depuis longtemps indispensablen. Un cheval de Troie pour la métamorphose de l’École ? « Le PECA a pour objectifs de permettre à chaque élève d’accéder à la vie culturelle, de rencontrer des œuvres, des artistes et des pratiques culturelles, de fréquenter des lieux culturels, mais aussi d’acquérir des savoirs, des connaissances et des compétences, dans une perspective de développement de l’esprit critique et de l’expression personnelle. Ce parcours offre également l’opportunité d’expérimenter des pratiques culturelles et artistiques, individuelles et collectives, porteuses de diversité, et de prendre une part active dans la vie culturelle, sans oublier le plaisir et la motivation que ces matières procurent aux élèves. Il se base sur trois composantes : connaitre, pratiquer et rencontrer. Il a également pour vocation de renforcer la dimension culturelle de tous les domaines d’apprentissage. Le PECA se veut donc vecteur d’éducation “à” et “par” la culture et les artsn ». À raison de deux périodes par semaine, ce champ disciplinaire livré jusque là à l’initiative des enseignant·es et des directions pour déployer – ou non – des projets art/école dans des dispositifs multiples mais peu reliés à la pratique scolaire générale, est désormais inscrit dans la formation obligatoire.

Les mesures prises dans le cadre du Pacte d’Excellence veulent elles aussi, revivifier l’école. Parmi elles, l’inscription dans le tronc commun d’un nouveau venu au sein des enseignements obligatoires. La formation culturelle et artistique dite PECA fait désormais partie du paysage.

Pratiquer
La pratique artistique en milieu scolaire a été investiguée de manière très approfondie par le philosophe Alain Kerlann. Mobilisant des équipes de chercheur·ses à l’Université Lyon2, il a pu, en examinant les dispositifs existants en région lyonnaise, définir les bénéfices intrinsèques des projets artistiques menés conjointement par des enseignant·es et des artistes dans des écoles fondamentales ou secondairesn. Il a décrit et analysé nombre de dispositifs de résidences d’artistes en milieu scolaire, il en a défini les enjeux : préserver par-dessus tout la dimension d’évènement (dans la définition du philosophe John Dewey) au cœur de l’expérience, privilégier la collaboration entre l’artiste et l’enseignant·e pour une intégration du projet dans l’expérience scolaire et prendre résolument le parti de la création et de sa singularité radicale. À ces conditions (non exhaustives), la pratique artistique en milieu scolaire construit, de manière singulière, de l’émancipation et de la démocratien. Alain Kerlan évoque fréquemment cette image : dans le processus de création, enfants ou adolescent·es se trouvent inscrit·es dans une relation qui bouscule la hiérarchie habituelle. Adultes et élèves cherchent, expérimentent, échangent, avancent et reculent, argumentent, font des choix, ensemble. Avec les plus petit·es, les adultes – enseignant·es et artistes – se baissent, s’agenouillent pour travailler « à niveau ». Nombre d’auteur·ices et de chercheur·ses ont analysé le bénéfice de la pratique artistiquen. Pour chaque enfant et chaque adolescent·e, la création au sens d’une expérience radicalement singulière, l’invention et l’expérimentation dans une logique de laboratoire, l’exposition individuelle et collective au regard du groupe, la relation de partage et d’échanges entre l’enseignant·e, l’artiste – si artiste il y a – et les jeunes, l’apprentissage de la réflexivité, l’acquisition de compétences nouvelles – indispensables – dans les domaines de l’image, du son, de l’écriture, du corps soit dans toutes les formes de création, tout cela est désormais au cœur de l’expérience du PECA. Et cela change tout.

Cette rencontre avec un univers dit culturel ou artistique ne va pas de soi. L’institution scolaire tient par ses codes et ses règles, l’institution culturelle aussi. L’artiste a souvent construit ses propres modes de fonctionnement. Autant de rituels distincts à aménager et à « tricoter » pour que la rencontre puisse s’opérer.

Rencontrer
En lien avec le projet de création, la rencontre avec les acteurs et actrices de la vie culturelle et artistique au sens large et la découverte de leurs productions – actuelles ou passées – dans l’espace de l’école ou hors les murs nourrit l’expérience créative des jeunes. En privilégiant les liens entre l’école et son tissu proche, institutions ou créateur·ices, sans pour autant négliger les explorations plus lointaines. Ainsi, l’aller-retour entre pratique et rencontres stimule-t-il la créativité et les apprentissages tandis qu’il autorise pleinement dans l’espace scolaire, la sensibilité, l’émotion, le plaisir, et l’expérience d’un « beau ». Les exemples de rencontres abondent dans les récits de projets art-école et ils témoignent de l’intérêt ou du plaisir que chacun·e des partenaires y trouve. Professionnel·les et élèves disent découvrir et s’y découvrirn. Cette rencontre avec un univers dit culturel ou artistique ne va pas de soi. L’institution scolaire tient par ses codes et ses règles, l’institution culturelle aussi. L’artiste a souvent construit ses propres modes de fonctionnement. Autant de rituels distincts à aménager et à « tricoter » pour que la rencontre puisse s’opérer.

Connaitre
Car il s’agit bien d’apprendre. Il est souvent question d’épanouissement lorsqu’on évoque la présence de l’art à l’école. S’en tenir à cela revient à oublier la puissance « éducative et cognitive » de l’éducation artistique et culturelle. Les nouveaux référentiels définissent les savoirs et les compétences à acquérir dans le domaine de l’éducation artistique et culturelle. Théâtre, musiques, arts plastiques, images, écriture, autant de domaines de la création qui permettent de nouer expérience, rencontre et savoirs. Un changement notable pour celles et ceux qui intervenaient déjà comme artistes au sein des écoles. Ceux-ci débordent en outre du seul PECA car l’aventure cognitive suscitée par ces disciplines peut investir toutes les autres.

Ces réserves posées, nous pensons que le PECA peut contribuer, à sa mesure, à une autre efficience de l’institution scolaire qui peine aujourd’hui à remplir sa mission : mettre à la disposition de chacune et chacun, les outils intellectuels et pratiques qui leur permettront de se construire pour agir en liberté et en responsabilité dans la société.

Le PECA peut-il renouveler les rituels éducatifs ? Peut-il, outre cela, contaminer positivement les autres champs disciplinaires ? Oui sans doute, parce qu’il induit des mutations qui ouvrent – pour les adultes et les jeunes – à la pratique interdisciplinaire, aux collaborations de tous types, à un partage de la parole et à la possibilité de l’autonomie. Nous avons observé, lors d’un projet noué entre une école secondaire en technique artistique et Bozar, des rituels institués par l’enseignant. Ainsi, après chaque étape du projet, un temps important était dévolu à une mise en mots collective ; tout·es les étudiant·es étaient invité·es à exprimer de ce que ce moment avait signifié pour eux·elles. La qualité de leurs retours, de leurs observations, de leur investissement nous avait impressionnée. Dans ces échanges, la coopération et la participation, d’autres formes de hiérarchie, souples et partagées s’imposaient.

Les pratiques initiées au sein du PECA permettent un rapport différent au savoir en mobilisant de multiples formes d’intelligence, une logique de laboratoire plutôt que d’acquisition « verticale », un rapport au temps et à l’espace modifiés : une lenteur assumée et la réinvention de l’espace scolaire. Dans la meilleure des hypothèses, le PECA prévoit aussi l’extension de ces logiques éducatives et pédagogiques nouvelles à tous les champs disciplinaires dont la dimension culturelle mérite d’être explorée. D’indispensables maillages en perspective. Prudence tout de même. Le PECA élargit le « marché » scolaire pour les artistes. Les perspectives d’interventions et de projets sont décuplées par l’introduction d’une formation artistique et culturelle structurelle dans l’enseignement obligatoire. Il faut résister à la fois, à la tentation d’une consommation pure et simple pour les écoles, d’un service formaté et marchandisé pour les travailleur·ses culturel·les et les artistes et de la tyrannie du chiffre pour les administrations publiques qui pilotent ce programme. La vigilance s’impose.

Ces réserves posées, nous pensons que le PECA peut contribuer, à sa mesure, à une autre efficience de l’institution scolaire qui peine aujourd’hui à remplir sa mission : mettre à la disposition de chacun et chacune, les outils intellectuels et pratiques qui leur permettront de se construire pour agir en liberté et en responsabilité dans la société. Les défis écologiques, sociaux, économiques du moment nécessitent une invention et une créativité décuplées au service du commun. Repenser l’École à cette aune ? Une révolution nécessaire, un impératif démocratique et une urgence.

 

1

Voir Bernard Delvaux, « L’Infusante », dans le dossier de ce journal.

2

Bernard Delvaux, « Une toute autre école », in Pensées libres, Girsef-UCL, 2015 et Bernard Delvaux, Luc Albarello, Mathieu Bouhon, Réfléchir l’école de demain, de Boeck, 2015.

4

Site de la FWB, enseignement.be et Peca.be

5

Alain Kerlan est philosophe, professeur des Universités honoraire (Lyon2) et président de la Société francophone de philosophie de l’éducation.

6

Alain Kerlan, Un collège saisi par les arts. Essai sur une expérimentation de classe artistique, éditions de l’attribut, 2015.

7

Alain Kerlan, Éducation esthétique et émancipation, éditions Herman, 2021.

8

On se référera entre autres publications, aux ouvrages d’Alain Kerlan, de Michel Develay, de Jean-Marie Schaeffer, de Marie-Christine Bordeaux, de Christian Ruby et de Joëlle Zask qui ont depuis de très nombreuses années, alimenté la recherche sur l’enjeu intellectuel, éducatif ET démocratique de l’éducation artistique et culturelle. Se référer aussi à l’ouvrage Neuf essentiels pour l’éducation artistique et culturelle, Culture & Démocratie, 2014.

9

Ce constat est largement fait par les artistes qui interviennent dans d’autres territoires : prisons, établissements de soin, associations de tout type.

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Journal 56
Rituels #1
Édito

La rédaction

Imaginer nos rituels à venir

Maririta Guerbo, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Le défi de la sobriété idéologique par le rituel

Yves Hélias, co-fondateur du Congrès ordinaire de banalyse

L’Infusante ou l’école idéale

Entretien avec Bernard Delvaux, Chercheur en sociologie de l’éducation, associé au Girsef (UCLouvain)

Le PECA, de nouveaux rituels pour l’école

Sabine de Ville, membre de Culture & Démocratie

Rituels et musées

Anne Françoise Rasseaux du Musée royal de Mariemont, Virginie Mamet des Musées Royaux des Beaux-Arts, Patricia Balletti et Laura Pleuger de La CENTRALE et Stéphanie Masuy du Musée d’Ixelles

Rituels et droits culturels

Thibault Galland, chargé de recherche à Culture & Démocratie

Faire vivre les rituels, l’espace public et la démocratie

Entretien avec Jan Vromman, réalisateur

Ma grand-mère disait

IIse Wijnen, membre de KNEPHn

Rituels de la carte

Corinne Luxembourg, professeuse des universités en géographie et aménagement, Université Sorbonne Paris Nord (Paris 13)

Justice restauratrice : dialoguer aujourd’hui pour demain

Entretien avec Salomé Van Billoen, médiatrice en justice restauratrice

Les expériences artistiques en prison : des rituels pour (re)créer du commun ?

Alexia Stathopoulos, chercheuse en sociologie des prisonsn

Futurologie de la coopération : des rituels de bifurcation

Entretien avec Anna Czapski, artiste performeuse

L’objet à l’œuvre

Marcelline Chauveau, chargée de projets et de communication|diffusion à Culture & Démocratie

La gestion des espaces vacants : territoire des communs ?

Victor Brevière, architecte et artiste plasticien, co-fondateur du projet d’occupation de La Maison à Bruxelles (LaMAB)

Olivia Sautreuil

Marcelline Chauveau, chargée de projets et de communication|diffusion à Culture & Démocratie