- 
Dossier

Lire à l’école en Fédération Wallonie-Bruxelles

Hélène Hiessler, chargée de projets de Culture & Démocratie

27-08-2024

Les recherches le montrent : la lecture nous fait du bien. Elle aide au développement des circuits cérébraux associés à la compréhension, au langage et même à l’empathie. Plus généralement, elle est déterminante dans le développement de la participation critique à la vie de la cité. Autant de raisons justifiant que l’école en fasse une priorité. Pourtant, les dernières études PISA (2012) et PIRLSn (2006) révèlent des résultats préoccupants quant à la maîtrise de la lecture des enfants en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB).

À titre indicatif, malgré un progrès depuis 2000, seuls 25% des élèves belges francophones de 4ème primaire ont une maîtrise élevée de la lecture littéraire ou documentairen. Un communiqué de presse de février 2015, publié par le cabinet de la ministre de l’Éducation Joëlle Milquet précise en outre qu’environ 15% des jeunes quittent l’école secondaire sans diplôme et sans l’usage fonctionnel de la lecturen. Si les études PISA et PIRLS ont leurs détracteurs, qui critiquent notamment leur mode de restitution focalisée sur les classements et leur vision à court terme, elles n’en livrent pas moins des informations utiles hors de la logique de ranking.
Les causes de ces mauvais résultats sont diverses. Comme le pointe Anne Godenir, « la corrélation entre le niveau de compétences en lecture-écriture des parents et celui de leurs enfants est bien connue n». Pourtant, rappelle-t-elle : « Transmettre l’illettrisme à son enfant reviendrait à l’empêcher d’apprendre un savoir normalement dispensé à l’école. Pourquoi les parents feraient-ils cela ? […] La production de l’illettrisme se réalise d’abord à l’école. »

Le Plan Lecture
Plusieurs dispositifs existent qui visent à soutenir tant l’apprentissage de la lecture que le développement d’une relation moins utilitaire à celle-ci, et début 2015, un « Plan Lecture » a été lancé par la ministre Milquet avec pour objectif de proposer une série de mesures destinées à « améliorer les capacités en lecture des 0-18 ans en FWB ».
Le rapport final de celui-ci relève que « si les compétences générales d’enseignement de la lecture figurent dans les programmes [scolaires], ce n’est pas le cas pour la résolution des difficultés en lecture, l’évaluation des compétences en lecture et l’enseignement de textes en ligne n». Un constat qui, complété par les observations du Service d’analyse des Systèmes et des Pratiques d’enseignement (aSPe) – les méthodes et supports très éclectiques des enseignants, le faible recours à la littérature de jeunesse ou à des textes complets (au profit de supports de lecture fragmentés), le sentiment très répandu chez les enseignants de ne pas être préparés ou suffisamment outillés dans le domaine de l’apprentissage de la lecture, ou encore le trop rare recours aux ressources de la bibliothèque (p. 21) – constitue le point de départ des propositions du Plan, qui ciblent clairement ces lacunes en se concentrant notamment sur la place accordée à la littérature jeunesse et la formation des enseignants.

Littérature jeunesse
En matière de promotion de la littérature jeunesse, plusieurs initiatives existent, à commencer par les prix littéraires accordés par des jurys d’enfants. Ces activités sont intéressantes en ce qu’elles travaillent à développer la lecture « plaisir », sortie du cadre strictement utilitaire, et donc dans une dimension plus partagée (à l’école mais aussi en dehors, avec les parents, les proches), plus collective et citoyenne. Le prix Versele et le prix Forum, par exemple, organisés par la Ligue des Familles et soutenus par la Cocof à l’adresse des 3-13 ans, mais aussi la Petite Fureur, organisée depuis 2008 par le Service général des lettres et du livre de la FWB en marge de La Fureur de Lire, ou encore la Bataille des livres, qui met en compétition des classes de pays francophones (Suisse, Québec, Haïti, Sénégal, France, Belgique). Dans le secondaire existe aussi le Prix des lycéens de littérature. En parallèle de ces différents prix, le programme « Écrivains en classe », organisé par le Service de la promotion des lettres (et qui vient d’être ouvert à l’enseignement fondamental), offre la possibilité d’accueillir en classe un écrivain belge de langue française.

Classes lecture
La collaboration entre écoles et bibliothèques est un élément essentiel : depuis 2003, les « contrats-lecture » formalisent ce type de partenariats. Mais plus récemment, le projet des « classes lecture », élaboré par l’Association française pour la lecture, a été adapté aux réalités belges à l’initiative du Centre de coopération éducative (CCE) soutenu par le Service de la lecture publique, et a donné lieu à des expériences très riches.
Les enfants d’une classe ou d’une école, guidés par les enseignants, choisissent une thématique au départ de l’observation de leur environnement. Est ensuite organisé durant une semaine un « stage intensif de lecture pour les enfants », qui est aussi « un lieu de formation pour les enseignants et les adultes accompagnateurs [devant] permettre d’engager, au retour dans l’environnement habituel, l’ensemble des participants autour d’une politique territoriale et sociale de lecture n». Tout au long de ce processus, qui démarre en amont et se poursuit en aval de cette semaine « en résidence », les élèves travaillent en partenariat étroit avec les bibliothèques, mais aussi avec un comité de pilotage qui réunit différents acteurs autour du projet (centres culturels, parents d’élèves, échevin, Centre de coopération éducative…) et constitue « non seulement un organe de réflexion, mais aussi un outil de développement et de pérennisation de pratiques de lecture n».
Seule une poignée de projets semblables ont été organisés chaque année depuis 2011, mais les enseignants sont unanimes sur les changements observés chez leurs élèves : « Ils lisent et écrivent pour répondre à un besoin. Ils changent de statut et deviennent lecteurs. […] Ils réalisent petit à petit que, grâce à ce projet, ils ont une place à part entière dans la société », explique Marie-Caroline Meert, institutrice de l’école Caritas de Hamme-Mille, l’une des premières à avoir tenté l’expérience. « Ce dispositif nous permet d’observer des enfants qui, délivrés des exigences de l’école, se réunissent en intellectuel collectif afin de s’approprier les savoirs dont ils ont besoin dans le cadre de leur projetn. » C’est bien là que se situe toute la richesse de ces expériences : ce changement de statut est un élément déterminant de la rencontre avec l’écrit et de l’apprentissage de la lecture. Il s’agit moins d’initier aux objets que d’« apprendre à quels usages ils sont destinés et comment il est possible de se les procurer dans des situations socialement signifiantes n».

La lecture a de la classe
En parallèle de ces dispositifs orientés sur la pratique de la lecture et de l’écriture, d’autres permettent le financement de projets culturels au sens large et peuvent donc accueillir des initiatives autour du livre. « La culture a de la classe » (Cocof), par exemple, soutient des initiatives d’écoles et d’opérateurs socioculturels qui souhaitent encourager les pratiques culturelles et artistiques chez les élèves bruxellois. À titre d’exemple, le projet « Notre OLNI, on le lit, on le dit, on l’ouït, on le vit ! », partenariat entre Les Midis de la Poésie et l’école Area (Escale) à, Uccle, qui s’appuie sur la rencontre avec l’écrivain Nicolas Ancion pour proposer diverses pratiques de lecture, de recherche et d’écriture aboutissant, entre autres, à la création d’un OLNI – Objet Littéraire Non Identifié et d’une émission radio, ou encore « À voix hautes », collaboration entre le théâtre de La Montagne Magique et des élèves du secondaire de l’Institut des Ursulines, qui met l’accent sur l’oralisation, sur des pratiques de « lecture partagée, active, vivante » et se clôturera en juin par une lecture publique sur les planches de La Montagne Magique.

Perspectives critiques
Malheureusement, les initiatives soutenues par « La culture a de la classe » ne concernent qu’une minorité d’établissements et ne sont pas présentes à l’école de manière structurellen. C’est le cas aussi des « classes lecture », qui ne représentent pour l’heure qu’une poignée d’activités chaque année.
Au niveau de la FWB le Plan Lecture entend « renforcer » les dispositifs existants, et dans ce sens, il insiste largement sur la sensibilisation et la formation des enseignants et du personnel scolaire. Mais cette ambition ne se dote pas de moyens supplémentaires : à part une augmentation du budget de la Fureur de lire, « le cahier des charges pour le Plan Lecture stipulait clairement qu’il devrait se développer sans ressources budgétaires nouvelles mais en redéployant les moyens existants », explique Laurent Moosen, coordinateur transversal au Plan Lecturen. Ainsi, pas d’enveloppe prévue pour financer la généralisation des classes lecture (dont une large partie du coût reste à charge de l’école, un élément qui peut être dissuasif pour plus d’un établissement) et celle prévue par la Cocof pour le programme « La culture a de la classe » ne permet de mettre en place qu’un nombre limité de projets, toutes disciplines confondues. Les défauts de ces programmes rejoignent ceux des dispositifs art-école : difficulté d’étendre ces pratiques à l’ensemble des établissements scolaires, de pérenniser les projets, d’assurer des partenariats à long terme, etc.
En termes de délai de mise en œuvre, plusieurs propositions ont été lancées dès 2015 et celles qui entrent directement dans le cadre du Pacte pour un Enseignement d’excellence (telles l’inscription de la lecture comme thème prioritaire de formation, la sensibilisation et la formation des instituteurs de maternelle et primaire à la littérature jeunesse ou encore la désignation d’un responsable « lecture » et un réseau de personnes-relais dans chaque établissement scolaire), sont en cours de discussion. Les autres ne sont liées à aucune échéance et restent donc non contraignantes.

Il faudra quelque temps pour pouvoir prendre la mesure des changements opérés, mais on sait que la persistance de l’illettrisme à l’école est liée à plus d’un facteur et ne peut être isolée de la manière dont l’enseignement est conçu dans son ensemble : il s’agit, écrit Anne Godenir, de « questionner l’école dans ses intentions au quotidien, dans ces petits événements de tous les jours qui conduisent les élèves à décrocher un peu et les adultes à les faire décrocher un peu plus n». Ce raisonnement rejoint celui que mène depuis des années Culture & Démocratie autour de la place de l’éducation artistique et culturelle dans l’enseignement, pour qui « l’inscription du fait culturel et artistique au cœur de l’école constitue une réponse nouvelle aux impasses éducatives, économiques et sociales auxquelles notre système d’enseignement et notre société sont confrontés ». Ainsi Sabine de Ville rappelle l’importance de repenser « voire [inverser] les logiques qui sont à l’œuvre dans nos systèmes éducatifs inféodés à la technicité et à l’utilité socioéconomique des formations n». Il faut espérer que les nombreuses concertations organisées dans le cadre du Pacte pour un enseignement d’excellence impulseront ce mouvement.

1

Respectivement, Programme for International Student Assessment et Progress in International Reading Literacy Study.

2

« PIRLS 2006 International Report », p. 37.

3

« Présentation du Plan lecture pour la Fédération Wallonie-Bruxelles », 28/02/2015, p. 2.

4

« La production de l’illettrisme : à l’école, dans les classes », in Journal de l’Alpha n°194, Lire et Écrire asbl, Bruxelles, 2014, p. 29.

5

« Un Plan Lecture pour la Fédération Wallonie-Bruxelles. Rapport à Mme la vice-présidente, ministre de l’Éducation, de la Culture et de l’Enfance », octobre 2015, p. 16.

6

« Quels sont le rôle et les objectifs du comité de pilotage », Cécile Jacquet, in Les Cahiers des bibliothèques n°25, Service général des lettres et du livre de FWB, avril 2015, p. 31.

7

Ibid.

8

« Classe lecture : témoignages », in Les Cahiers des bibliothèques, op. cit., p. 22.

9

Serge Goffard, « Lecture : négocier une interaction sociale. Éléments pour une didactique de la lecture », in SEMEN, vol. 10, 1995 : https://semen.revues.org/2980.

10

Pour une analyse plus approfondie de ces dispositifs, voir Neuf essentiels pour l’éducation artistique et culturelle, sous la direction de Sabine de Ville, Culture & Démocratie, 2014, p. 12.

11

Propos recueillis par l’auteure.

12

« La production de l’illettrisme : à l’école, dans les classes », in Journal de l’Alpha, op. cit., p. 39.

13

Neuf essentiels pour l’éducation artistique et culturelle, op. cit., p. 37.

PDF
Journal 41
Ce que la lecture cultive
Édito

Sabine de Ville, présidente de Culture & Démocratie

Le livre comme outil de démocratie

Propos de Joëlle Baumerder recueillis par Baptiste De Reymaeker, coordinateur de Culture & Démocratie

Le mille-feuille de la lecture. Corps lecteur, corps transmetteur

Pierre Hemptinne, écrivain, directeur de la médiation culturelle à PointCulture, membre de l’AG de Culture & Démocratie

Apport des neurosciences à la problématique de la lecture

Marc Crommelinck, professeur émérite, faculté de médecine, UCL

L’alphabétisation : une question sociale avant tout

Sylvie Pinchart, directrice de l’asbl Lire et Écrire

Un livre c’est une évasion

Gérard de Sélys, ex-journaliste, ex-animateur d’ateliers d’écriture et accessoirement, écrivain

Une fenêtre de papier

Émilie Bender, comédienne

Lire à l’école en Fédération Wallonie-Bruxelles

Hélène Hiessler, chargée de projets de Culture & Démocratie

Oralité et poésie, survivance ou mutation ?

Maryline le Corre, chargée de projets de Culture & Démocratie

Ceux qui lisent. Et ceux qui ne lisent pas

Pascale Tison, écrivaine et réalisatrice radio

Le jackpot* sécuritaire

Roland de Bodt, chercheur et écrivain, membre de l’AG de Culture & Démocratie.

De la géopolitique en 7e professionnelle à l’Institut Sainte-Marie ? Le projet « Next generation please » au palais des Beaux-Arts

Sébastien Marandon, professeur de français
Vincent Cartuyvels, historien de l’art

Petrus De Man

Sabine de Ville, présidente de Culture & Démocratie