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Côté images

Marine Martin

Renaud-Selim Sanli
Chargé de projets et de communication à Culture & Démocratie

25-05-2021

Le tatouage est une pratique culturelle aux différentes fonctions sociales (thérapeutiques, stigmatisantes, identitaires…) qui date de l’Antiquité voire de la Préhistoire. Interdit dans la sphère chrétienne en 787 avec le Concile de Calcuth qui le rattacha au paganisme – interdiction qu’on retrouve d’ailleurs dans l’Ancien Testament : « Vous n’imprimerez point de figures sur vous. » (Lévithique 19:28) –, il réapparait au XVIIIe siècle dans l’histoire coloniale française avec les marins revenant des îles de Polynésie.

D’abord réalisé à l’aide d’outils manuels, suite à l’invention de l’électricité, l’Irlandais Samuel O’ Reilly crée en 1891 une machine à tatouer électrique inspirée du stylo électrique d’Edison. Bien que le tatouage ait pu alors faire son entrée dans les cours des rois, il reste l’apanage des marges (marins, ouvriers, prostituées, détenus) et des bandes de « mauvais garçons » du début du XXe siècle. Dans les années 1980 il fait encore partie de la culture souterraine, mais les expressions musicales émergentes qui lui sont associées – punk, rock, rap – le font entrer progressivement dans la « pop culture ». Il finit par gagner ses lettres de noblesse et une exposition lui est consacrée en 2015 au Musée du Quai Branly à Paris.

Si le tatouage n’est pas à proprement parler un phénomène de masse, il se popularise à vitesse grandissante et les salons de tatouage fleurissent dans les rues des villes européennes. On compterait aujourd’hui 10 % de la population française tatouée et 15 % pour les États-Unis. Il est donc indéniablement devenu un vecteur important d’expression des cultures populaires. Marine Martin, dont les dessins parsèment ce numéro, est tatoueuse chez Purple Sun, salon qu’elle a co-fondé dans le quartier des Marolles en 2015. D’abord inspirée par des motifs et lignes old school – école traditionnelle du tatouage en Occident qui limite l’usage des couleurs, use de gros traits et des motifs issus de l’univers marin et ou populaire (oiseaux, navires, jeux de cartes, etc.) –, Marine Martin se tourne vers un graphisme proche de l’art nouveau – celui qu’on retrouve dans ces pages. Les lignes se font plus fines, les courbes plus droites, les motifs sont floraux ou animaliers et la figure de la femme est omniprésente. Il est intéressant de noter la filiation symbolique entre le mouvement art nouveau qui émerge dans les années 1860 avec un désir du retour à l’artisanat et de revalorisation de travail ouvrier face à l’émergence de la production industrielle et le développement du tatouage au XXe siècle. D’autant que ce mouvement fit tomber les barrières établies entre « arts majeurs » et « arts mineurs », en élevant par exemple l’affiche au rang des beaux arts. Alors qu’à l’industrialisation succède un capitalisme néolibéral mortifère et que le tatouage est désormais reconnu comme un art, Marine Martin, en se réappropriant les codes de l’art nouveau, propose d’inscrire aussi dans notre époque un désir de retour à la nature et à la simplicité.

Purple Sun
Marine Martin