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Vents d’ici vents d’ailleurs

Nuisances sonores. Une place sur les ondes pour les musiques qui dérangent

Caroline Angelou
Étudiante à l’Institut des Hautes Études des Communications Sociales

01-01-2018

Le 4 novembre dernier, au Pianofabriek (Saint-Gilles), se tenait l’événement Nuisances Sonores. Comprenez « Nuisances » dans le sens de ces musiques qui dérangent l’ordre établi, par leurs paroles, leur rythme, leur démarche. Des chansons qui veulent faire bouger la société et qui naissent d’une envie de s’exprimer.

Quel est le point commun entre Georges Brassens, IAM, Bob Dylan et Rage Against the Machine ? Entre des titres comme Imagine (John Lennon), Le Chant des Partisans, Où c’est qu’j’ai mis mon flingue (Renaud) ? Tous sont liés au monde de la musique engagée. « Engagé », voilà bien un mot qui est utilisé dans tous les sens, qui semble un peu galvaudé aujourd’hui. Remettre à l’honneur l’engagement à travers la musique, c’était un des buts de Nuisances Sonores.

Le projet a été initié dans le cadre scolaire par deux étudiantes de l’IHECS, Caroline Angelou et Coline Tasiaux. Les deux jeunes filles ont organisé un événement qui se divisait en deux parties : tout d’abord une émission radio, enregistrée en après-midi avec un public d’une soixantaine de personnes et diffusée en live sur Radio Panik. Ensuite, la soirée continuait avec une scène ouverte animée par le collectif bruxellois Slameke où chacun pouvait venir dire un texte, chanter une chanson ou interpréter un morceau. Le tout dans une ambiance d’écoute et de respect mutuel qui permettait à chacun de s’exprimer ! C’est d’ailleurs avec cette idée que le débat radiophonique s’est conclu : c’est de l’expression de soi, des discussions et de l’échange que naissent les idées qui peuvent changer le monde !

Une belle brochette d’invités est passée, pendant deux heures, par le plateau radio animé par les deux jeunes filles. L’émission s’ouvrait sur une chronique de Jean Lemaître, auteur d’un livre sur la révolution des Œillets au Portugal et le rôle que le morceau Grandola Vila Morena a joué dans celle-ci. Il décrit comment, la nuit du 25 avril 1974, cette chanson de José Afonso, censée être censurée, a été le signal déclencheur qui a permis le soulèvement simultané de tous les militaires révolutionnaires. Ensuite, pour discuter du lien entre musique engagée et liberté d’expression, l’émission a accueilli L7A9D, rappeur marocain exilé chez nous à cause de ses textes qui critiquent le régime politique de son pays, et Guillermo Garcia, membre du groupe chilien Quilapayun qui soutenait, dans les années 1970, le gouvernement d’Allende avant le coup d’État de Pinochet. Jean Lemaître insiste : « L’art, de façon générale, a trait à la liberté, au pluralisme de la pensée, et les dictateurs détestent ça ! » L’idée, c’était donc de partir de cas éloignés pour remettre en question la place de la liberté d’expression et de l’engagement chez nous. Au fur et à mesure de la discussion, on souligne différents rôles que la musique peut jouer dans les révolutions : déclencheur, comme dans le cas de la révolution des Œillets, mais aussi démultiplicateur, source d’espoir, de réflexion et de rassemblement. La musique à elle seule peut difficilement renverser des dictateurs, mais elle bouscule l’ordre établi par des régimes totalitaires… Qu’en est-il chez nous ? Pour L7A9D, « même dans les pays européens, on a juste une impression de liberté, mais on vit comme des robots. Ici aussi la musique peut bousculer des choses ».

La deuxième partie d’émission a commencé par une performance de Daniel Hélin, chanteur à textes qui allie humour et dénonciation. Il a ensuite pu débattre avec M’sieur 13, interprète liégeois accompagné de son béret et de son ukulélé. Tous deux utilisent la légèreté, le rire, pour faire passer des messages plus profonds, quitte parfois à être « enfermé dans un rôle de divertissement », comme le dira Daniel Hélin. Il explique qu’il n’a pas toujours l’impression d’avoir beaucoup d’impact, mais que ça ne l’empêche pas de continuer à agir pour un monde plus durable, dans sa vie de tous les jours et dans ses chansons : « Si je devais me faire tatouer quelque chose sur le poitrail ce serait ça : il n’y a qu’une chose à faire, c’est faire les choses. » M’sieur 13, quant à lui, espère être utile, par l’exemple, en produisant sa musique de manière consciente mais en restant léger dans son personnage : « En écoutant de la musique engagée, les gens ont déjà l’impression de faire quelque chose ! » Mais il souligne qu’il faut du temps pour adhérer à un artiste et son message. Et aujourd’hui, on ne laisse souvent à la musique que la place de divertissement… Sa démarche est donc plutôt de « divertir de façon divergente ». Enfin Mathieu Bietlot, coordinateur du Festival des Libertés, s’est joint au débat en redéfinissant la notion d’« engagement » et de « musique engagée ». « Nous sommes des êtres libres, tout ce que nous disons ou faisons nous engage. Choisir de faire de la musique de divertissement, c’est aussi un choix qui engage. » Le rôle du Festival des Libertés, c’est entre autres de mettre en avant les artistes qui utilisent cet engagement pour déranger et aller vers plus d’égalité. Face à la question de l’impact de la musique engagée, tous s’accordent à dire que même si, concrètement, aucune chanson ne crée une révolution totale de la société, la musique « qui dérange » doit exister. « La musique engagée a une valeur de consolation, d’engagement. Même s’il n’y a pas de mouvement révolutionnaire global, plein de petites choses se mettent en place. Notre mission, c’est d’encourager les gens : continuez à faire ce que vous faites, vous ! » conclut Daniel Hélin.

La dernière partie de l’émission se voulait plus proche des gens, puisque l’idée n’était pas de s’adresser uniquement aux musiciens, mais bien d’encourager chacun à s’exprimer, à sa façon, sur la société dans laquelle il vit. La discussion s’ouvrait donc avec un texte de Félicien Bogaerts, un jeune comme les autres (si ce n’est qu’il est chroniqueur sur Classic 21 !), qui encourageait sa génération toute entière à se reprendre en main : « Nous n’avons pas à rougir de nos idées, nous ne devons pas hésiter à en parler, c’est en les confrontant que nous déconstruirons les leurs, celles de l’ancien monde. » C’est ensuite la chanteuse Irène Kaufer qui, après avoir interprété son Rock des femmes a parlé de son engagement féministe et des femmes qui ne se sentent pas toujours légitimes pour s’exposer sur une scène. Enfin, dernier invité de cette émission bien remplie, REQ, jeune slameur liégeois, a témoigné de son engagement par les mots : « Il faut savoir se critiquer soi-même et le monde qui nous entoure. » Il soutient aussi que : « Se plaindre, c’est important, il faut lancer ses coups de gueule, même si seul, ce n’est pas suffisant. Il faut que les actions suivent. » On ressort de cette dernière partie avec l’envie de faire tomber toutes les barrières à l’expression de soi, qu’elles soient liées à l’âge, au sexe ou à la peur.
Après ces deux heures de discussions intenses et de débat, l’émission a pris fin sur cette idée qu’on a tous en nous des petites graines d’engagement pour telle ou telle cause, et que c’est en s’exprimant et en en parlant qu’on les fait pousser jusqu’à ce qu’elles deviennent des actions concrètes.

Le public et les invités ont pu se retrouver au bar du Pianofabriek, sur une plus petite scène, pour une jam session qui donnait à chacun l’occasion de mettre ce beau message en pratique en s’exprimant au micro ! Rappeurs, poètes et musiciens se sont succédés, avec des messages très politiques ou très personnels, devant l’œil bienveillant du public et du collectif de slam bruxellois Slameke qui organise chaque mois des scènes ouvertes au Pianofabriek et dans d’autres lieux bruxellois.

Des projets comme Nuisances Sonores sont importants. L’événement tout entier a permis de laisser à ces artistes qui dérangent « une petite place sur les ondes » (le slogan du projet), et de faire émerger une question : pourquoi ne trouvent-ils pas cette place dans les médias mainstream ? Le projet Nuisances Sonores rappelle qu’il faut sans cesse se battre contre toutes les censures qui nous empêchent de questionner notre société, que ces barrières soient politiques, économiques ou psychologiques. 

 

 

L’événement Nuisances Sonores, soutenu par Culture & Démocratie, était un « one-shot », il ne se reproduira donc plus, ou en tout cas, plus sous cette forme-là, mais Caroline et Coline espèrent encore faire vivre les réflexions enregistrées pendant l’émission et la soirée. Vous voulez réécouter cette émission, vous (re)plonger dans la soirée du 4 novembre ou vous tenir au courant de la suite du projet ? Rendez-vous sur leur page Facebook Nuisances Sonores. Le podcast de l’émission se trouve également sur Radiopanik.be.

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Journal 46
La langue : entre promesses, oublis et dominations
Édito

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Qu’est-ce que la glottophobie ?

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S’émanciper des dominations par le langage

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Atelier d’écriture – Pont vers la langue, l’écrit, soi et le monde ?

Témoignages de Massimo Bortolini, Christelle Brüll, Amélie Charcosset, Laurence Kahn,
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Démocratie et littératie : ce qu’elles sont, et ce qui les lie

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Juste un mot

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