De 2016 à 2017, Hind Meddeb a filmé des migrant·es réuni·es autour de la place Stalingrad à Paris. Paris Stalingradn est un documentaire poignant qui témoigne du quotidien de ces exilé·es dans « la ville lumière », à travers les yeux de Souleymane, un jeune Soudanais exilé du Darfour.
Dans Paris Stalingrad, la réalisatrice franco-tunisienne lme le calvaire d’un groupe de réfugié·es entre campements de rue, interminables files d’attente devant les administrations et descentes de police. « Au départ je ne voulais pas faire un film, je voulais juste témoigner, garder une trace, montrer ce qui se passe vraiment. D’autant que j’avais le sentiment que la situation était peu médiatisée. » Ce qu’elle fait en publiant régulièrement des vidéos d’opérations policières dans les campements de réfugié·es, opérations de plus en plus fréquentes, de plus en plus violentes aussi, conséquences d’une politique ouvertement hostile à des étranger·ères extrêmement vulnérables. Dans un premier court métrage, elle dépeint la mobilisation des habitant·es auprès des réfugié·es.
Le jour d’une expulsion musclée, la réalisatrice est de nouveau choquée par la violence. « J’ai peu tourné en France, jusque-là j’étais plutôt au Liban, en Syrie ou au Maghreb. J’ai vu comment agissaient ces dictatures. Je ne m’attendais pas à ça à Paris. » Elle décide de tourner un long métrage, dans lequel elle va tenter d’inverser les regards. Pour elle, Paris Stalingrad n’est pas un film sur les réfugié·es, mais plutôt un film où les réfugié·es regardent la France et disent comment il·elles voient les choses de leur côté.
D’un groupe s’élève la voix de Souleymane, jeune exilé du Darfour arrivé en France après un périple traumatisant de cinq longues années, dont les poèmes enrichissent la voix off de la cinéaste. Souleymane circule, erre, se perd, ressurgit et raconte.
« En racontant l’histoire de Souleymane, je retrace aussi l’histoire récente du parcours infernal des exilé·es dans Paris. » À travers ses yeux on découvre la vie du quartier Stalingrad, laquelle est indéniablement changée par la présence des exilé·es mais aussi par la mobilisation de certain·es habitant·es du quartier pour les soutenir. « Ma caméra témoigne de la transformation d’une ville. À chaque étape de la vie de Souleymane, je mesure combien Paris se ferme aux étranger·ères. »
« Pour être honnête, quand j’ai commencé à faire le film, j’ai pensé que dès que nous aurions alerté les gens, dès que nous aurions souligné les conditions, les choses allaient changer. » Mais cela ne s’est pas produit. Aucune télévision n’a voulu de son film. On lui a répondu que le sujet avait déjà été traité. Comme si la case « migrant·es » était pleine et que chaque histoire n’avait pas sa singularité.
Derrière la comm’, il y a…
Dans son œuvre, Hind Meddeb dénonce la réaction de l’État français, qui a tout fait pour rendre ces personnes invisibles et les faire disparaitre du champ de vision des Parisien·nes.
« La population parisienne est démocratique, de gauche, très ouverte d’esprit. Ce n’est pas une ville raciste. Comme vous pouvez le voir dans le film, les citoyen·nes ordinaires font preuve de solidarité, il·elles essaient d’aider. C’était vraiment un choc. Comment se fait-il qu’un gouvernement d’une ville “de gauche”, qui n’est ni fasciste, ni populiste de droite, ni raciste, fasse cela ? »
Si la maire Anne Hidalgo déclare volontiers que Paris a pour vocation d’être « une ville refuge », sur le terrain, la réalité est tout autre. On assiste à la mise en place d’une politique de harcèlement policier d’une violence inédite contre les réfugié·es.
En dehors des grandes opérations de « mise à l’abri » où tous les grands médias étaient conviés, tous les deux jours, des cars de CRS bouclaient le quartier de Stalingrad pour procéder à l’arrestation des réfugié·es qui n’avaient pas encore eu le temps d’entamer leurs démarches de demandeur·euses d’asile, et pour détruire les campements de rue sans proposer de solution alternative. Les policier·ères commençaient par chasser les migrant·es d’un trottoir à l’autre suivi·es par les agent·es de la Propreté de Paris, chargé·es de jeter dans d’immenses bennes à ordure les matelas, les couvertures et les tentes collectées par les riverain·es et les associations, laissant des centaines de personnes à la rue, sans aucune ressource ni possibilité de repli, niant ainsi leur existence et leur humanité, leur demandant implicitement de disparaitre du paysage.
Après Stalingrad
Les environs de la place Stalingrad ont été définitivement évacués par la Ville de Paris en 2017. « Une des raisons pour lesquelles j’ai fait mon film était de capturer en images la situation à l’époque. Parce que tout est différent maintenant. Tout ce que vous voyez dans le film a disparu. Les réfugié·es sont en banlieue, dans des endroits où l’on ne peut pas les voir. Il·elles sont derrière le périphérique, sous le périphérique.
En novembre de cette année, une grande opération de démantèlement de camps situés Porte de la Chapelle et à Saint-Denis a débouché sur l’évacuation de 1 600 personnes. Parmi elles, beaucoup étaient sous statut dit de « Dublin », mais aussi des primo-arrivant·es et des débouté·es du droit d’asile. Même des réfugié·es statutaires s’y étaient installé·es. Car ces réfugié·es reconnu·es pâtissent de la crise du logement qui frappe Paris où la demande explose alors que l’offre de biens se tarit faute d’espace pour construire… avec des prix qui augmentent sans cesse. Seule solution pour ces personne dénuées et esseulées : rejoindre ces campements temporaires. Or, selon Hind Meddeb, des solutions existent : « À Paris, il y a 200 000 logements vides. Pourquoi la maire de Paris ne dit-elle pas que c’est illégal d’avoir une maison vide ? Que si vous la laissez vide, l’État va la prendre et créer des logements sociaux. »
Les personnes évacuées ont, selon les autorités parisiennes, été orientées en fonction de leur statut dans des centres d’accueil où leur situation est examinée ; des centres provisoires d’hébergement, où il·elles attendront plusieurs mois la prise en compte de leur demande ; ou dans des gymnases, solutions temporaires et inconfortables. Mais un petit nombre d’entre eux·elles ont été envoyé·es dans un centre de rétention administrative, ce qui fait bondir les associations d’aide aux migrant·es qui déplorent que « ces démantèlements mènent au placement en rétention administrative de personnes vulnérables qui pensaient être transférées dans des logements ».
Ce n’est pas terminé pour autant. 2 000 personnes s’entassent Porte d’Aubervilliers. Et pour les autorités, le sort de ce camp devait être réglé avant Noël. Il y aurait 3 000 migrant·es sans-abri en permanence à Paris. Et ce ne sont pas les plus de 60 opérations d’évacuation menées depuis 2016 qui y ont changé quoi que ce soit…
Paris Stalingrad – coréalisé par Hind Meddeb et Thim Nakkache – 88 min – Production/diffusion par les Films du Sillage et Echo Films.
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