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Dossier

Participation culturelle : dans quelle mesure ?

Inge Van de Walle et An Van den Bergh, Dēmos vzw

28-08-2024

Dans le Rapport bisannuel 2014-2015 du Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale sur les services publics et la pauvreté, on souligne l’importance d’une vision partagée de la culture. Il convient que les autorités, les services publics et les personnes en situation de pauvreté dialoguent et donnent ensemble la priorité au droit à la culture en partageant une vision qui tienne compte de la complexité et des différentes dimensions du droit à la culture. Dans cet article, nous approfondirons cette idée en explicitant la vision de Dēmos sur la participation à la culture et étendrons notre point de vue en lançant un appel au secteur culturel.

Traduit du néerlandais par Sophian Bourire

En effet, garantir à chaque citoyen le droit à la culture et au développement social est une mission du gouvernement, mais c’est aussi une responsabilité importante des organisations culturelles. Pour faire une vraie différence, nous devons les rejoindre dans cette démarche. Et c’est là où le bât blesse.
« Tout le monde est le bienvenu ! », entend-on souvent au centre culturel, à la bibliothèque, à l’académie, au centre d’art ou chez d’autres acteurs de notre riche offre culturelle. Pourtant, les groupes les plus vulnérables y sont absents. Une récente enquête participative en Flandre montre que la participation culturelle des personnes moins qualifiées a davantage tendance à diminuer qu’à augmenter (Lievens, J. et al., 2015). Trop souvent, on part du principe que le public cible ne veut pas venir – « ils » ne sont pas motivés, pas intéressés, pas engagés ou pas qualifiés.

La participation culturelle semble s’inscrire dans une logique de consommation. En nous basant sur des choix individuels, on suppose que les gens « consommeront » ou non une offre. De nombreuses mesures et méthodes sont disponibles pour faire concorder l’offre existante au besoin de ce consommateur. Les seuils de participation doivent être revus à la baisse et les compétences sociales ou culturelles à la hausse. La priorité est d’identifier et d’orienter un public plus nombreux et nouveau. La médiation culturelle doit permettre de faire concorder l’offre aux besoins du public en supprimant les seuils et en améliorant la qualité de la participation à travers l’éducation, l’accompagnement et l’orientation. Dans cette optique, nous nous concentrons bien plus sur le « comment » que sur le « pourquoi » de la participation. L’institution à l’origine de l’offre culturelle continue à penser du point de vue de sa propre perspective, du temps et des personnes disponibles, et des habitudes actuelles. La signification de la participation à la culture, à l’animation socio-éducative et au sport est ainsi dominée par une attention bien trop méthodique. Dēmos montre que la culture est composée d’un continuum de processus superficiels et de processus plus approfondis. Tous ces processus ont leur nécessité, mais nous préférons adopter une approche approfondie et fondamentale de la participation. Cela signifie qu’il faut oser considérer les personnes pauvres comme des (co)propriétaires de la culture. Ainsi, la question de la participation passe d’une approche centrée sur l’accessibilité à une approche centrée sur la recherche de sens et la cocréation, et d’une approche centrée sur les seuils à une approche centrée sur le changement organisationnel.

Nous constatons que ce renouvellement fondamental de l’offre sur la base de nouveaux cadres de référence et de la propriété des personnes pauvres se développe principalement de manière isolée dans le secteur culturel subsidié. Dans différents quartiers, communautés culturelles et classes sociales, des pratiques culturelles organiques et passionnantes, qui emploient un langage artistique et formel tout à fait propres, reflètent la diversité et l’hybridité accrues du vivre ensemble. Associations de solidarité, initiatives de quartier et associations de lutte contre la pauvreté travaillent elles-aussi, dans une démarche d’accessibilité, et d’une manière très personnelle, à enrichir la vie culturelle des personnes en situation de pauvreté. Les appels au soutien, à la reconnaissance et à la visibilité de ce type d’initiatives alternatives se multiplient.
Dēmos tend précisément à valoriser ces voix et pratiques sous-représentées afin d’étendre la participation à la culture, à l’animation socio-éducative et au sport. En effet, c’est dans ces développements de pratiques en marge – existantes comme naissantes – que de nouvelles approches pouvant mener à une meilleure participation culturelle des personnes en situation de pauvreté sont développées. Nous exposerons ici les principales approches.

Penser horizontal plutôt que vertical
Tout le monde est – et a de la – culture. C’est là le credo souvent entendu des organisations qui parviennent à impliquer activement différents citoyens. Leur vision est centrée sur la liberté et l’égalité et elles osent casser la différenciation tenace entre cultures haute et basse. Concrètement, cela signifie que l’on accorde autant de valeur à l’art et aux expressions culturelles présentes sur la scène internationale qu’à la personne lambda qui s’essaye pour la première fois à la photographie pour documenter son monde, ou aux jeunes danseuses qui postent elles-mêmes leurs vidéos sur YouTube. Ces pratiques dépassent également les clichés et les catégories : un artiste renommé peut signifier beaucoup pour l’homme de la rue et, vice versa, les histoires et corps de personnes tout à fait ordinaires peuvent mener à un travail artistique unique et précieux. Cela demande également un autre cadre de qualité : au lieu de prendre pour point de départ des références d’autres professionnels de la culture, les projets culturels sont basés sur la contribution active, l’expérience et l’appréciation de divers citoyens.

Des programmes propres aux programmes partagés
Lorsque l’on veut attirer des personnes exclues vers la culture, on se rend souvent compte que cela ne peut se faire seul. En effet, soit il faut chercher des partenaires qui connaissent bien certains groupes cibles, soit ces partenaires prennent contact pour demander une offre sur mesure destinée à ces groupes. Le dialogue ainsi créé est fortement orienté par les programmes de chaque organisation. Ces programmes sont souvent différents étant donné qu’ils s’inscrivent dans des cadres d’objectifs issus de différents secteurs. L’image caricaturale en est que le secteur social se méfie d’une collaboration avec des partenaires culturels par peur que l’on perde de vue le bien-être des participants alors que les professionnels de la culture ne veulent pas que le côté artistique soit submergé par des objectifs sociaux. Il n’est pas rare que les collaborations échouent parce que l’on ne trouve pas de programme commun. Les pratiques culturelles qui osent chercher des contenus ou des thèmes ancrés dans le contexte local et les partager avec d’autres organisations parviennent davantage à rassembler autour d’une pratique culturelle. Cela signifie inévitablement que les formats fixes sont abandonnés et que l’on investit davantage dans des travaux sur mesure, les rencontres et le dialogue intersectoriel.

Les professionnels de la culture en tant que cartographes
Si traditionnellement, les professionnels de la culture se sont principalement positionnés du côté de l’offre culturelle, sur le terrain, on relève une évolution vers un autre profil. On demande en effet au professionnel de la culture de moins s’engager sur l’orientation et la recommandation d’une offre, pour investir davantage dans la recherche de réseaux, de formats et de figures clés reflétant la diversité culturelle et sociale accrue. En bref, le professionnel de la culture doit quitter plus souvent son bureau et s’imprégner de la ville. Son rôle devient celui d’un cartographe qui répertorie les besoins, les intérêts et les expressions de diverses communautés et individus, ce qui permet d’ajuster sa démarche. Dans certains cas, il peut être suffisant de s’adapter à des demandes concrètes telles que la mise à disposition d’infrastructures pour l’initiative d’une association de lutte contre la pauvreté ou le soutien technique d’une représentation ou d’une exposition. On peut dans le même temps chercher à adapter la programmation existante et développer de tout nouveaux projets en collaboration avec des personnes en situation de pauvreté. Les professionnels de la culture deviennent ainsi des médiateurs qui veillent à ce que l’expérience culturelle des citoyens – y compris des personnes en situation de pauvreté – soit représentée.

Notre appel aux organisations culturelles est donc clair : oui, baissez les seuils de participation et levez les barrières d’exclusion. Mais surtout, dialoguez avec les personnes que vous souhaitez atteindre, montrez de l’intérêt pour ce qu’elles font, sortez des sentiers battus, renouvelez votre pratique et collaborez avec des collègues d’autres secteurs. Cette interaction – c’est ce que nous constatons – mène à une autre approche, à l’expérimentation et à l’innovation. Renforcer les compétences de professionnels en travaillant sur les processus, au-delà des secteurs, et en facilitant la collaboration et l’innovation sont les fondements du développement de l’inclusion sociale dans le secteur culturel.

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Journal 42
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La pauvreté, une conséquence de la culture des riches

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L’aveugle et le paralytique. Depuis vingt ans, une démocratie en cécité croissante

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