L’État belge a fait le choix d’une politique de non-accueil, bafouant sciemment droits fondamentaux et obligations légales. Il a été, pour cela, condamné par les Tribunaux et par la Cour européenne des Droits de l’Homme. Ce dont il ne tient pas compte. Dès lors, sa politique migratoire relève de l’arbitraire et s’affranchit des règles démocratiques. À l’encontre du grand n’importe quoi sur les migrations, deux avocates du cabinet ARADIA effectuent une salutaire mise au point. Écrit en 2022, ce texte n’a, hélas, pas pris une ride. Indispensable pour comprendre que ceux et celles qui s’efforcent d’accueillir les exilé·es, tentant de réparer une défaillance de l’État.
Depuis fin 2021, les demandeur·ses de protection internationale sont victimes de la « politique de non-accueil » belge. Il ne s’agit en rien d’une « crise de l’accueil », mais bien de la résultante d’un choix politique délibéré et assumé de l’État belge, qui agit en toute illégalité et sans avoir à rendre de comptes. Les bénéficiaires du droit à l’accueil ainsi bafoué sont les demandeur·ses d’asile, qui invoquent une crainte de persécution en cas de retour dans leur pays d’origine, et qui sont en séjour légal en Belgique pendant l’examen de leur demande de protection.
L’Agence fédérale pour l’accueil des demandeur·ses d’asile (Fedasil) est compétente pour prodiguer l’aide matérielle qui comprend l’accès à un logement mais également l’octroi de repas, l’habillement, l’accompagnement médical, social et psychologiquen. Fedasil se trouve sous la tutelle de la secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, Nicole de Moor.
Le droit est clair et tant la législation européenne que la loi belge imposent à l’État d’accueillir et d’organiser l’aide matérielle des demandeur·ses d’asile, pendant toute la durée de leur procédure. Ils et elles se retrouvent pourtant à la rue, parfois pendant plus de six mois, avant de pouvoir intégrer un centre d’hébergement. Sans toit, sans ressource pour subvenir à leurs besoins les plus élémentaires, c’est leur dignité humaine qui est niée. Ces personnes ont fui des situations dramatiques, parfois des zones de guerre, et ont vécu l’enfer dans leur pays d’origine ou pendant leur trajet migratoire. Souvent très vulnérables et à bout de force, elles ont besoin de stabilité et d’ancrage. La mise à la rue, la faim, l’absence de soins médicaux et de suivi psychologique sont autant de violences institutionnelles perpétrées par l’État à leur encontre.
Les Cours et Tribunaux l’ont rappelé maintes fois, le devoir de garantir l’aide matérielle est une obligation de résultat et pas de moyens. L’État belge ne peut justifier ou excuser sa défaillance en invoquant des circonstances factuelles externes, quelles qu’elles soient. Le droit à l’accueil ne souffre en effet aucune exception. Il est prévu par la loi organique sur les CPAS de 1976n et une loi de 2007 sur l’accueil des demandeur·ses d’asilen qui transpose deux directives européennesn. Le droit au respect de la dignité humaine est quant à lui garanti par la Constitutionn. Rien ne peut justifier la violation systématique d’un droit fondamental : le respect de la dignité humaine. L’État belge se retranche derrière la prétendue saturation des structures d’accueil en soulignant le manque de bâtiments disponibles et l’insuffisance de personnel pour en assurer le fonctionnement.
La politique de non-accueil n’est toutefois pas le résultat d’une situation soudaine mais l’aboutissement de mesures politiques migratoires adoptées sur fond de climat de peur et alimentées par des considérations électoralistes. En témoigne l’attitude des secrétaires d’État successif·ves qui ont approuvé la fermeture de places dans les centres d’accueil en se félicitant de la coupe budgétaire drastique dans ce secteur, entrainant des licenciements au sein des structuresn.
Le terme « crise » relayé par le monde politique et les médias induit les notions d’urgence, d’imprévu, de surprise. Comment encore parler de situation inédite et imprévisible après plus de deux années [4 désormais, NDLR], malgré les alertes de saturation imminente d’un réseau d’accueil fragilisé bien avant l’été 2021 ? Comment justifier que les épisodes précédents de cette longue saga n’aient pas impulsé une remise en question et l’adoption de mesures anticipatives par le gouvernement belge ? Comment comprendre le refus de mise en œuvre des solutions existantes ?
Le terme « crise » relayé par le monde politique et les médias induit les notions d’urgence, d’imprévu, de surprise. Comment encore parler de situation inédite et imprévisible après plus de 4 années ?
La secrétaire d’État Nicole De Moor n’a de cesse d’invoquer un cas de force majeure et les efforts déployés pour « chercher » des solutions, tout en refusant d’activer un plan d’urgence national, en impliquant par exemple l’ensemble des communes belges. Ce schéma a pourtant fait ses preuves puisqu’avant l’ouverture des centres d’hébergement collectifs, les communes et les CPAS étaient mis à contribution et mettaient à disposition des logements pour un nombre déterminé de personnes, facilitant ainsi l’ancrage local, l’intégration et l’accès au marché du travail des réfugié·es accueilli·es. Ce plan de répartition, dont la mise en œuvre est d’ailleurs prévue par la loi, pourrait être aisément activé, en vue de mettre à l’abri un quota de personnes sur le territoire des 581 communes belges. Il s’agit, ni plus ni moins, d’une mesure d’urgence permettant de répartir équitablement les demandeur·ses d’asile entre les communes du pays lorsque le réseau d’accueil est saturé, en tenant compte de critères tels que la taille de la population, le niveau de richesse, le nombre d’allocataires sociaux·ales, et la présence d’un centre d’accueil sur le territoire.
Alors que Nicole De Moor « cherche » des solutions depuis plus de deux ans, les acteurs et actrices de terrain se mobilisent depuis le début pour venir en aide aux victimes et mettre en œuvre des solutions de fortune innovantes et concrètes, la solidarité et l’engagement citoyen comme seuls remparts face à l’indécence d’un gouvernement hors-la-loi. Ainsi, à la fin du mois d’octobre 2022, un bâtiment inoccupé à Schaerbeek est investi par des centaines de laissé·es-pour-compte. L’édifice insalubre sera baptisé « Le Palais des Droits ». L’ironie. Malgré les conditions de vie désastreuses au sein de cette occupation, l’État n’ayant pris en charge aucune de ses missions, elles valaient mieux que la rue et le froid pour ces 700 occupant·es. En février 2023, l’évacuation chaotique de l’immeuble en décrépitude laissera sur le carreau la majorité de ses résident·es et encouragera les associations et les bénévoles à poursuivre la mobilisation citoyenne.
Un campement de fortune aux abords du Petit-Château ayant pour but de centraliser des distributions de repas et de matériel à des demandeur·ses d’asile logeant sous tente, en plein hiver et au cœur de Bruxelles, a permis de visibiliser l’innommable. À la suite de la destruction de ce camp, plusieurs bâtiments seront successivement occupés, dont le futur centre fédéral de crise. Nouvelle ironie.
À bout de nerfs mais ne manquant pas d’humour, les collectifs de soutien ont également marqué les esprits en organisant l’occupation Toc Toc Nicole, dans l’immeuble voisin des anciens locaux abritant le siège du parti de la secrétaire d’État. Les demandeur·ses d’asile et leurs soutiens ont réussi, à plusieurs reprises, à inverser les rapports de force et à obtenir un relogement digne. Tout en insufflant aux victimes de la « politique de non-accueil » un peu d’espoir et d’humanité.
L’État belge maintient sa position et assume pleinement l’illégalité de son attitude. […] Ce rejet du respect du principe de séparation des pouvoirs représente un glissement vers l’arbitraire et l’hégémonie de l’exécutif, remettant en question l’État de droit.
Si une issue favorable est trouvée pour certain·es d’entre elles·eux, la saga du « non-accueil » n’est pas pour autant terminée. Et elle n’en est pas à son premier épisode. La situation actuelle reste particulièrement préoccupante. L’épisode hors norme qui se joue en direct depuis plus de deux ans se distingue par sa durée, son ampleur et la normalisation des violations de droits fondamentaux. Outre les drames humains qui résultent de l’inaction politique prolongée du gouvernement belge et du non-respect de milliers de décisions de justice en cette matière, la politique de non-accueil questionne l’État de droit et le principe de séparation des pouvoirs.
Les négligences de l’État belge dans la gestion de l’accueil des demandeur·ses de protection internationale s’expliqueraient par la crainte redoutée de créer un prétendu « appel d’air ». Cette approche repose sur la conviction que des conditions d’accueil moins attractives dissuaderont les personnes de chercher refuge en Belgique. Les flux migratoires sont pourtant influencés par de nombreux facteurs et générés par les crises géopolitiques et les conflits armés dans le monde.
En tout état de cause, le droit à l’accueil et le respect de la dignité humaine ne sont pas des faveurs à concéder, il s’agit de droits qui appellent à une obligation de résultat de l’État. Afin de faire valoir leurs droits, les victimes de la « politique de non-accueil » se sont adressées, avec leurs avocat·es, aux Cours et Tribunaux. Plusieurs actions en justice ont également été portées par les associations. Toutes ont abouti à la reconnaissance d’une faute dans le chef de l’État et à la condamnation d’héberger. Mais de nombreuses décisions restent non exécutées parmi plus de 9000 prononcées par les juridictions belges. Les avocat·es se sont alors tourné·es vers la Cour européenne des droits de l’Homme à Strasbourg, laquelle a condamné la Belgique en octobre 2023. La Cour a souligné l’absence systémique d’exécution des décisions judiciaires. Malgré ce rappel à l’ordre de la Cour de Strasbourg, l’État belge maintient sa position et assume pleinement l’illégalité de son attitude. Ce refus apparent de se conformer aux décisions judiciaires, nationales et européennes en toute impunité est inqualifiable. Ce rejet du respect du principe de séparation des pouvoirs représente un glissement vers l’arbitraire et l’hégémonie de l’exécutif, remettant en question l’État de droit, qui devrait préoccuper toute personne, attachée ou non à la question migratoire et aux respects des droits fondamentaux des migrant·es.
La passivité de l’État face à la nécessité d’endiguer la saturation du réseau d’accueil le rend responsable de la violation des droits fondamentaux, et en particulier du droit à la dignité humaine des demandeur·ses de protection internationale. La crise humanitaire qui se joue est créée par l’État, qui prétexte de simples obstacles administratifs pour refuser la mise en place de solutions d’urgence. Or les mêmes contraintes logistiques n’ont pas été un frein à l’accueil des personnes ayant fui la guerre en Ukraine suite à l’invasion russe dès le début des hostilités en février 2022. Force est de constater qu’il existe un double standard en matière d’accueil des demandeur·ses de protection internationale en Belgique, et une attitude discriminatoire en fonction de l’origine et des différences culturelles des bénéficiaires.
Face à cette situation persistante, le gouvernement belge a été interpellé à plusieurs reprises, par la société civile, par les actrices et acteurs de terrain, par les associations, les avocates et avocats, les Cours et Tribunaux à agir pour préserver les droits fondamentaux, l’État de droit et la dignité humaine. L’hypocrisie et l’inaction politique doivent cesser. Les piliers de notre démocratie vacillent. Une réponse adéquate doit être apportée à la crise humanitaire que l’État belge a laissé s’installer.
Article 2, 6° de la loi du 12 janvier 2007 précitée.
Article 1er de la loi organique du 8 juillet 1976 relative aux centres publics d’aide sociale dispose que : « Toute personne a droit à l’aide sociale. Celle-ci a pour but de permettre à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine. »
Article 3 de la loi du 12 janvier 2007 sur l’accueil des demandeur·ses d’asile et de certaines autres catégories d’étranger·es : « Tout demandeur d’asile a droit à un accueil devant lui permettre de mener une vie conforme à la dignité humaine. Par accueil, on entend l’aide matérielle octroyée conformément à la présente loi ou l’aide sociale octroyée par les centres publics d’action sociale conformément à la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d’action sociale. »
La directive 2013/33/UE du 26 juin 2013, dite « directive accueil » et la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013, dite « directive procédure ».
Article 23 de la Constitution dispose que « Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. [...] Ces droits comprennent notamment [...] 3° le droit à un logement décent. »
« La fermeture des centres d’accueil de demandeurs d’asile est nécessaire, selon Theo Francken », Le Soir, 29/03/2018 ; « Fermeture de centres d’accueil pour demandeurs d’asile », 7sur7, 11/06/2013.