Présentation d’Esquifs

Esquifs

12-02-2021

Esquifs. C’est une esquisse. Un mouvement. Un désir. Un élan. Une curiosité. Une volonté de changement. C’est une inscription sensible et politique dans ce monde. C’est chercher ensemble et avec d’autres. D’autres avec qui parler. Avec qui apprendre. Avec qui questionner. Avec qui créer. Avec qui essayer. Avec qui améliorer. Et avec qui lutter pour changer ce monde construit sur de nombreuses dominations, exploitations et aliénations.

Esquifs est une invitation à créer et à explorer. Nous pensons que toute personne est créatrice. Notre association se concentre autour de la pratique artistique et se pense également comme un laboratoire d’expériences qui se vivent entre nous et avec les personnes rencontrées. Lieu collaboratif de partages et d’échanges, nous tentons de nous doter d’outils, d’approfondir des réflexions et de nous éduquer ensemble. Nous souhaitons nous documenter pour mieux documenter le monde qui nous entoure. Cette pratique est un déplacement de point de vue, et même de position: en faisant acte de documenter le réel, nous ne pouvons pas faire comme si nous n’en faisions pas partie. Documenter, c’est donc transformer la relation que nous entretenons avec le réel que nous documentons.

Notre association est née il y a trois ans, à la croisée de deux envies majeures qui s’imbriquent l’une dans l’autre: la création artistique, imprégnée du réel, et l’éducation populaire. Nous souhaitons permettre la création d’objets artistiques, à finalité documentaire, qui mettent en lumière les fragilités de nos structures sociales. Nous souhaitons également nous approprier des savoirs de manière collective, sans penser les savoirs académiques comme seule source valable et digne d’intérêt. Concrètement, cela signifie que nous menons deux types d’activités, étroitement liées l’une à l’autre: la production de projets artistiques conduits par l’un·en ou l’autre d’entre nous (Apnée, le prochain spectacle de Rémi Pons, par exemple) ; et des recherches plus collectives, qui peuvent conduire à des réalisations que nous menons ensemble (la rédaction de cette introduction, par exemple). En ce qui concerne ces dernières, nous tendons donc bien à faire collectif et de ce fait à ne pas revendiquer individuellement la participation à l’un ou l’autre des travaux réalisés. C’est notamment pour cette raison que nous signons Esquifs sans dévoiler quelles sont les personnes qui se cachent derrière.

Sachez toutefois que nous sommes, pour la plupart, artistes, travailleur·es dans différents secteurs dont les secteurs social, culturel, médical et artistique. Nous sommes enfants d’ouvrier·es, de petit·es indépendant·es, de profs. La majorité d’entre nous a suivi des études supérieures et nous avons en commun l’envie d’agir mais ne militons pas forcément dans les espaces habituels que sont les syndicats ou les milieux reconnus militants.

Dans l’idée d’apprendre ensemble, nous organisons chaque mois des arpentages dont une thématique, choisie ensemble, sert de fil rouge pour un temps déterminé. Un premier cycle a eu lieu autour de « femmes, santé et féminismes». Notre second cycle s’est déroulé autour de la « Dette et du surendettement ».

LES ARPENTAGES

Avant d’aller plus loin, il nous semble intéressant de vous en dire un peu plus sur ce que sont les arpentages. Historiquement, c’est une méthode de lecture collective. Cette approche permet de lire ensemble un livre en peu de temps et de créer une culture commune autour d’un sujet. L’arpentage permet de désacraliser le rapport au savoir, au livre, et de faire l’expérience d’un travail commun critique et égalitaire. Nul besoin d’être érudit·e, tout le monde peut participer et partager ses ressentis, vécus et questionnements, le livre et les propos de l’auteur·e servant surtout de support à la discussion, aux partages et à l’élaboration d’une pensée collective.
Nous pourrions ajouter que l’arpentage, c’est d’abord se contraindre à des horaires. Car c’est dans ce temps qu’un espace se construit. Un espace de rencontres. Celui des pensées. Celles de gens connus et d’inconnu·es, de chair et d’os et de papier. Rencontres de voix, de regards et d’écrits. Les pages qu’on déchire, qu’on partage. équitablement. faire d’abord la place aux lecteurs, aux lectrices, plus qu’aux auteurs, aux autrices. Place aux échos, aux liens. Lire seul·e mais pas vraiment. Plongée solitaire dans un des fragments pris au hasard. Et puis retour vers les autres, au commun des lecteur·es, délecteur·es. Orchestre qui recompose entre les lignes et les pages, réinvente les mystères, les histoires, les concepts, les savoirs grâce aux pages traduites par chacun·e. Re-créer, réinventer ensemble le livre. Nouvelle composition qui fait de nous les auteur·es de ce moment unique.

ARPENTER LA DETTE

« Dette et surendettement», ce thème, c’est Rémi qui nous l’a amené pour pouvoir ensuite réaliser une création théâtrale sur le sujet. Ses pèlerinages précédents sur des sujets touchant à la pauvreté lui ont fait plusieurs fois croiser le chemin de personnes surendettées. Le surendettement, vu comme un état de fait et souvent perçu comme la conséquence d’une mauvaise gestion individuelle, semble faire partie d’un fonctionnement systémique. Intuitivement, Rémi pressent là un des nombreux aspects de l’ombre capitaliste.
Une de nos volontés, à Esquifs, est de faire collectif. Nous nous sommes donc lancé·es dans ce nouveau cycle d’arpentage autour d’un sujet qui ne nous touchait pas toustes de la même manière, voire qui semblait même peu attrayant pour certain·es. Nous avons cheminé vers une commune recherche de sens et d’apprentissage. C’est ce cycle d’arpentage qui sert de socle aux réflexions que nous avons envie de partager avec vous dans ce « Neuf Essentiels» consacré à la dette, à la pauvreté et au surendettement.
Les ouvrages qui ont été arpentés et qui nous ont servi de charpente pour l’écriture de cette introduction sont les suivants :
– La fabrique de l’homme endetté, de Maurizio Lazzarato. Il existe peu de livres sur le fonctionnement systémique de la dette à l’échelle individuelle. Le livre de Maurizio Lazzarato est une exception, notable, qui semble incontournable, par les questions qu’il ouvre, par la position politique qu’il défend et par les balises intellectuelles qu’il donne.
– Ces vies en faillite, d’Olivier Bailly. Ici, l’apport du livre est encore plus précieux. Il n’existe pour ainsi dire quasiment pas de livres sur le surendettement des ménages. Cette enquête, belge de surcroit, donne des éléments très concrets pour saisir les enjeux du sujet, notamment par les pratiques du crédit à la consommation. En plus, le livre est en accès libre sur Internet.
– La violence des riches, de Michel Pinçon et de Monique Pinçon-Charlot. Se tourner vers les pauvres et les mécanismes structurels qui fabriquent la pauvreté, c’est nécessaire. C’est aussi nécessaire de se tourner vers les riches et de mieux comprendre la violence profonde qui anime leur manière de gouverner le monde. Le livre est très français, mais les discussions qu’il génère sont précieuses et riches.
– Dette – 5000 ans d’histoire, de David Graeber. C’est un peu un pari. C’est en effet le genre d’ouvrages tellement longs que d’en envisager une lecture solitaire nous semble impossible. Pour un arpentage, c’est donc parfait. En plus, avec un titre pareil, ça fait très envie. On se dit qu’on va pouvoir élargir notre manière de voir la dette et son fonctionnement. finalement, on était trop peu nombreux pour le lire en entier. On en a lu la moitié.
– À propos du surendettement: hommes et argent, d’Arnaud de la Hougue. Ce livre est problématique. Il fait partie de la très courte liste des ouvrages qui prennent le temps de penser le surendettement (peut-être le seul qui a été écrit par un chercheur en sciences sociales). En même temps, il aborde la question d’une manière plus que discutable, et discutée, en tout cas sujette à discussion. Son approche est très individualisante, psychologisante. On pourrait donc choisir de ne pas le lire. Nous, on pense que c’est toujours intéressant, parce que ça permet de nous situer et de parler de cette posture entre nous.
– Punir les pauvres, de Loïc Wacquant. La dette est un outil d’asservissement des plus pauvres d’entre nous. Nous ne connaissons pas d’ouvrage qui traite de manière particulière de ce sujet-là. En revanche, il existe ce livre, de Loïc Wacquant, qui, ne serait-ce que par le titre, donne envie d’en savoir plus sur le sujet. On s’éloigne un peu de la dette, mais c’est pour mieux saisir dans quelles logiques de gouvernement nous nous situons.
– Si on arrêtait de payer?, d’Olivier Bonfond. Le livre est là, depuis le début, à nous tenter. Par son titre, tout d’abord, qui intrigue. Par sa forme – des questions et des réponses – qui lui donne un aspect accessible. Peut-être parce que c’est notre dernière séance d’arpentage, on le choisit ce jour-là. Pour ouvrir. Nous donner du possible. évoquer ensemble ce qui s’est déjà passé et s’appuyer dessus pour imaginer ce qui peut encore advenir.

Vous trouverez les notices bibliographiques de certains de ces ouvrages dans ce « Neuf essentiels».

UNE EXPÉRIENCE D’ÉCRITURE COLLECTIVE

Nous avons eu beaucoup de plaisir à vivre cette aventure de lecture et d’écriture collective. Nous sommes parti·es de présupposés sur la dette et le surendettement. Et à travers notre parcours d’arpentages, nous avons pu en sortir, apprendre, comprendre des mécanismes qui nous semblaient fort lointains, voire obscurs. Ce socle commun est un point de départ pour continuer à dénouer la complexité de ce monde, sur lequel nous souhaitons toustes agir.
La participation à l’écriture de cet ouvrage de Culture & Démocratie est une expérience singulière. Nous n’avons pas toustes une pratique d’écriture régulière et encore moins collective. Cette aventure, nous avons donc dû l’inventer entre nous : nous partager le travail, relire, faire relire, réécrire, intervenir dans l’écriture des un·es et des autres, en trouver les règles du jeu. écrire collectivement est un apprentissage et nous espérons que vous trouverez du plaisir à lire ce que nous avons essayé de délier ensemble. Ce sont des pistes, des invitations à penser.

Nous joindre
Site web: Esquifs
Courriel: esquifs@esquifs.be

1

Nous avons fait le choix de l’écriture inclusive. Pour cela, il nous a fallu nous donner des règles (qui tiennent notamment compte de la lisibilité du texte). Ces règles ne sont pas absolues. D’autres pratiquent cette écriture autrement. Ici, nous avons écrit :
· lecteur·es pour lecteurs et lectrices
· toustes pour tous et toutes
· celleux pour celles et ceux
· la·e pour la et le
· iels pour elles et ils

PDF
Neuf essentiels (études) 8
Neuf essentiels sur la dette, le surendettement et la pauvreté