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Dossier

Quand une scribe glane à la volée la parole d’or des conteur·ses

Laurence Vielle
Comédienne, poétesse

25-04-2020

Le 11 septembre 2019 à La Bellone a eu lieu une rencontre « Aux sources de l’oralité » organisée pour les 15 ans de la Fédération de Conteurs Professionnels ; j’en fus la scribe, j’ai reçu dans ma plume, mon cœur, les mots de Bernadette Bricout, Boubacar Ndiaye, Regina Machado, Churla Flores. La parole qui se dit, qui se partage, qui se transmet, qui réveille les morts, qui parle aux papillons, au ciel, à la terre, je l’ai ressentie à travers leurs mots que j’avais tissés ce jour-là pour en faire une toile. En relisant aujourd’hui cette toile de leurs mots, j’en ressens encore les vibrations, je vois encore leurs visages qui nous parlent, leurs présences stupéfiantes, tendres et englobantes.
Ainsi, j’en reprends ici quelques lumineuses fibres en les remerciant.

« Quel que soit le chemin quand il est sous tes pieds tu dois aller au bout. » Le conte ce serait c’était ce sera c’est
la jubilation collective de nous libérer de toutes nos entraves numériques / une matière qui ne paye pas de mine pourquoi en dire plus / des êtres qui ont consacré leur vie entière à retranscrire déchiffrer transmettre les histoires / le conte c’est le rêve d’un monde à naitre débarrassé de toutes les barrières dont le monde est hérissé et pour faire advenir ce monde tu chantes un chant transmis de génération en génération / le conte c’est un récit oral qui enseigne la maitrise de soi et la dignité et le respect de l’autre et le savoir-vivre vis à vis du monde invisible, nous sommes tous ici des maillons de la chaine, les mots sont des grands voyageurs /
le conte c’est une fusée pour ton ciel intérieur, tu es le cosmonaute, et quand tu crois que tu as trouvé ton conte, tu n’y es pour rien, tu n’as fait que l’attendre, c’est lui qui t’a trouvé / le conte c’est la non-attente où la paix se réchauffe au soleil du dedans et chacun de nous est une goutte du même océan dans une complicité infiniment sacrée qu’on appelle amour / le conte c’est la vie même / le conte sort de ses cendres la parole de l’opprimé / le conte c’est amstramgram et nous ne savons pas de combien de siècles d’existence cette formule-là est riche / le conte donne une interprétation humaine du langage obscur ce que dit le vent ce que dit l’oiseau ce que dit la pluie je le dis en mots / le conte te dit le temps où les bêtes parlaient / le conte chante en travaillant, le conte dentelle tricote marche et randonne / les contes sont des tissus de mots et des tissus de gestes, couper cette bande, couper la tradition, c’est provoquer la mort du groupe / quand tu écoutes le conte, le monde se recompose autrement, le centre de gravité est ailleurs, après tu te tais ou presque / le conte est la lumière qu’on ne peut pas effacer et la beauté qu’on ne peut pas laver / la plus grande gloire du conteur est de devenir anonyme / le conte est planétaire / le conte n’a aucune inquiétude, il croit à la vie / le conte a des siècles d’existence, nous venons de naitre à côté de lui

Au conte au conte, tout est possible tout est possible
la terre devient or, je peux être poisson, voler comme un oiseau
je m’élargis je suis fluide je meurs et je renais
je suis plus grand que je ne crois je suis meilleur que je ne crois
le monde que j’habite est vaste et le monde qui m’habite est vaste
tout est possible la fenêtre s’ouvre la porte s’ouvre
la navette passe d’une main à l’autre
et dans l’instant où aucune main ne possède rien, un fil se tisse
lance-toi dans le conte comme le fil narratif qui se tisse
et le fil de ta parole se fait dans l’instant de lâcher
tout est vivant tout est vivant
le temps est vivant
le conte c’est une bouche ouverte sur ta grand-mère sur tes mères sur tes enfants et l’enfant de l’enfant de l’enfant de l’enfant de tes enfants
et l’enfant de l’enfant de l’enfant d’un très ancien enfant
et c’est une bouche ouverte sur ton premier ancêtre qui s’appelait le suivant / et puis / après / ensuite et je suis là devant vous
grâce à mes racines je suis devenu l’arbre pour t’offrir mes fruits sans regarder la couleur de celui qui prend mes fruits
je suis l’arbre qui offre pour rester en vie
tout ce qui est retenu est perdu et ça fait mal
je suis une mémoire qui ne s’endort jamais
je réveille la mémoire et je fais appel à la lumière des ancêtres
je relie l’homme à ses semblables pour qu’il puisse dire je t’aime
je dépose quelque chose en chair dans le cœur des enfants et ça les construit et nous sommes éternels
je parle avec un cœur qui bat et maintenant écoute
écoute dans le vent le buisson en sanglots
ceux qui sont morts ne sont jamais partis
ils sont dans l’eau qui coule dans l’eau qui dort
écoute plus souvent les choses que les autres
écoute écoute
à chaque fois que nous sommes émus par un visage c’est de l’amour
et quand l’amour nous habite nous sommes habités par la danse
toi que je vois partout, avant ma mort s’il te plait
donne-moi la force de célébrer la vie
cueille une parole offre-la dis-la pour lui donner de la vie
retenir c’est périr
la parole qui s’ennuie en nous-même provoque des maladies
la parole n’a pas de couleur
nous sommes tous invités au festival de la vie qu’est le monde
chacun a sa place sur cette grande piste de danse qui est la terre
vas-y danse et puise à la source danse apprends à être
tu es ce que tu dis et le plaisir envahit ton corps
sens le plaisir avant de dire
apprends dans le sentir dans le toucher apprends à aimer
apprends à te sentir ici et maintenant
apprends à te sentir légère comme un souffle
apprends à lâcher tes vieilles histoires
sens l’infini de la pierre dans ton ventre dans ton corps
l’instant frappe à ta porte tu l’accueilles comme un bouquet de fleurs qu’on t’offre
écoute tout ce qu’on te dit reste dans la joie de dire apaise avec ta parole
tu es musicien tu es chanteur tu es poète tu es tout ce que tu veux
ne coupe pas la vie en tranches tout tort causé à une vie exige réparation
et si ta parole n’est pas plus importante que le silence
garde-la dans ta bouche
amène la parole là où elle est absente
avant de parler demande la parole à celui qui a vu le soleil avant toi
on ne meurt jamais on change de domicile on déménage
dès qu’on raconte on rencontre l’autre et on n’a pas d’âge
je suis à moitié vide et je me remplis de toi et puis je repars
la peur s’éloigne
écoute, l’homme est le remède de l’homme
on a besoin d’être là ensemble c’est mieux
que les histoires nous amènent toujours plus loin au-delà des rivages
et si pour un instant notre respiration est en résonance avec la respiration du monde
demandons-lui que notre coupe soit capable d’offrir joyeusement de l’eau claire aux gens qui ont soif
je vous salue et je vous remercie
pour ce fil qui même quand il se rompt ne s’arrête jamais
l’amour qui réunit nos êtres

kamusawakia

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Journal 51
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