Ninon et Clara

Rencontre avec Marcel #ParOùOnPasse 4

Ninon et Clara, artistes et habitantes de La Petite Maison

21-12-2022

Portrait d’un lieu

Pour aller Chez Marcel il faut monter une route qui monte beaucoup, sur une autre montagne. Ça se mérite !
En arrivant, on fait la visite. C’est une maison avec beaucoup d’escaliers, ça grouille de partout. Beaucoup de personnes font des travaux : ponçage, peinture, etc.

On entre par une grande porte où se trouve le premier salon, la pièce commune avec le poêle et la cuisine. C’est une pièce chaleureuse mais sombre si la grande porte est fermée. Il y a seulement une petite fenêtre, côté cuisine, qui donne sur les montagnes, toujours les montagnes.

Au sous-sol il y a la chambre du « Marcel-crew » qu’on a rencontré au refuge. C’est une toute petite chambre, avec beaucoup de lits collés. Ça fume tranquille, entouré de plein de nouvelles récup du jours. À ce même étage, il y a une salle avec des machines de sport. À gauche c’est le garage ouvert sur le jardin. Il y a du linge qui sèche. Plus loin, une salle de bain.

Il y a deux étages, avec une grande mezzanine, qui accueille celleux qui n’ont pas encore de chambre. Et sinon il y a plusieurs chambres qui ont été créées avec des plaques de gyproc.

Après la petite visite on s’installe dans la pièce principale, on fait du tri de récup pour libérer l’espace, on rassemble deux bancs pour faire une table. le poêle est allumé. Tout le monde s’installe, comme à son habitude, les trente premières minutes sont les plus compliquées.

C’est toujours un peu gênant de faire, ou d’oser faire dessiner entre adultes. Parce que le dessin c’est intime. C’est comme s’il reflétait notre âme, notre visage intérieur.
Moi par exemple je suis une grosse imposture : je fais des ateliers de dessin, mais je ne sais ABSOLUMENT pas dessiner. Tout ce que je fais est très enfantin. Mais quelque part je me dis que ça doit les rassurer de me voir mal dessiner. Genre « okay tranquille y’a pas de pression en fait ».

Chez Marcel j’ai dessiné une théière, c’est mon objet totem, qui rassemble. Ma mère a toujours bu beaucoup d’eau, de thé, d’alcool. Elle boit tout beaucoup, mais surtout elle aime partager, elle adore ses grands bols pour le thé, ou ses petites tasses vernies très colorées pour le café. Chez moi, à La Petite maison, il y a toujours quelqu’un qui fait du thé, ou un jus de pastèque, de citron, du café à la cafetière italienne. Ce sont des moments qui rassemblent. Assis ou debout, boire nous oblige à nous arrêter, à prendre le temps de discuter ou de ne rien faire, ensemble. À se réchauffer, à se réconforter, à se donner de l’énergie. Chez Marcel, Ibrahim l’a prise en photo sur la gazinière. J’aime beaucoup cette photo. Le bleu ressort sur les flammes.

Faire un atelier, c’est créer petit à petit une collection, une série : une baguette de pain, une box wifi, un canapé, une maison avec un soleil rouge, un plateau de jeux de société (le dado : ça c’est trop bien, j’y ai joué sur le téléphone d’Ibrahim . Je crois que c’est un jeu marocain, Bachir m’en avait beaucoup parlé aussi.)

Jouer c’est très important, ça évite de raconter nos vies. Souvent, pour les personnes migrantes, ce sont inlassablement les mêmes questions, pénibles, racistes et majoritairement violentes. Et tu viens d’où ? Et t’es passé par où ? Et tu veux aller où ? Comme si leurs identités se définissaient à travers ces trajectoires forcées.

Bifurcations, bifurcations… mais donc, le dado : le but c’est de gagner en premier (classique) et d’arriver au centre du plateau avec tes cinq jetons le plus vite possible. J’aime bien jouer, parce qu’on voit très vite les personnalités qui émergent, celleux qui jouent pour le plaisir d’être à plusieurs, celleux pour qui c’est l’enjeu le plus important de leur vie à l’instant T (moi !) et qui sont en définitive souvent des tricheur·ses ou de mauvais perdant·es .

Et devinez quoi ? J’ai gagné ! Il faut dire qu’on m’a beaucoup aidée aussi.

Pendant l’atelier, il y a ceux qui sont toujours là mais qui ne dessinent jamais, enfin en tout cas pas pour l’instant. Par contre, ça commente gentiment les autres et ça aide aussi à choisir l’objet.
Il y a ceux qui dessinent avec des tutos youtube a côté d’eux. Et puis aussi ici au refuge et Chez Marcel il y a encore une fois le besoin de tracer des traits droits. Tout le monde nous demande des règles, que nous n’avons pas, bien évidemment. Donc on crée des règles avec d’autres objets au bord droit.

À la fin de l’atelier, il y a aussi souvent des bouts de dessins, des dessins pas finis, abandonnés parce que pas satisfait·es ou parce que les participants font souvent plusieurs choses en même temps. Moi j’apprécie ces dessins non-finis, il faudrait les donner aux prochain·es pour leur donner vie une autre vie. Il faudrait que j’essaie d’abord, avant de proposer une idée nulle.

L’atelier Chez Marcel s’est fini la nuit, on a imprimé les photos, on a rangé les stylos et mangé un morceau avec eux.
On est parties avec nos sacs et nos doudounes, casquettes et bonnets. Quand on fait des ateliers le temps s’arrête, on est en apesanteur, plus rien n’existe autour de nous, le cerveau se met en off et médite. Ce temps est anodin mais précieux.

Nous ne réglons pas de problème juridique, sanitaire, administratif ni ne répondons à des besoins du quotidien, souvent les gens pensent que nous faisons « juste » de l’animation, pour passer le temps, pour se divertir. L’étymologie de « divertissement » c’est se détourner, et plus souvent se détourner de la mort. Nous ici on ne se détourne pas, on se lie, on crée des temps de parole libres, de rencontres, de partage et surtout de rires, parce qu’ on a besoin de ces moments-là. Alors pour finir vraiment Chez Marcel, on peut dire qu’on a peut-être pas fait des dizaines de dessins, mais on a beaucoup ri, parfois pour pas grand-chose.

Nous avons partagé un moment de joie, entre inconnu·es. Nous avons fait lien, le temps d’un atelier.

La caravane de Chez Marcel

Il y a quelques jours, avant d’aller Chez Marcel, on avait rencontré Mohamed, un de ses habitant·es. Il avait participé à un atelier sur notre lieu refuge, un endroit où on se sent bien.
Il avait dessiné une caravane, enfin plutôt sa caravane. Tout en dessinant, il m’explique qu’il aime bien vivre avec du monde, mais qu’il aime aussi s’isoler, il a besoin de se retrouver seul par moment. Alors, il habite Chez Marcel, mais dans une caravane qui est dans le jardin. Il me dit qu’il a installé un poêle, sauf que du coup, « dehors il fait froid, et dedans c’est enfumé ! »
Quand il nous fait visiter sa caravane en vrai, c’est un honneur. On le suit effectivement au fond du jardin, il s’est installé une petite terrasse en bois à l’entrée.

Il nous ouvre la porte, on a toutes les deux le réflexe d’enlever nos chaussures mais il nous dit que ce n’est pas la peine.
L’endroit est forcément petit, mais très bien aménagé. Sur la droite, une petite table qui sert de bureau, face à la fenêtre, avec un cahier et un stylo posés.

Sur la gauche, l’espace nuit, avec un lit assez large, comme une cabane. Et le poêle sur la gauche entre l’espace nuit et l’espace gauche. C’est très rangé, très accueillant et effectivement très à l’écart de l’agitation de l’habitation principale.

De l’autre côté du jardin, il y a une autre caravane, je ne sais pas si quelqu’un y vit actuellement.

〰️ Carnets de solidarité, de Julia Montfort

〰️ En savoir plus sur Chez Marcel en lisant un article, en regardant une vidéo, en lisant une série d’articles !

〰️ Blanc comme neige, de Claire Richard sur Binge Audio

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