Réponses des partis | L’extrême droite en Europe : fatalité ?

▸ Écolo
▸ Christophe Verbist, directeur du Centre d’Etudes Jacques Georgin pour DéFI (Démocrate Fédéraliste Indépendant)
▸ Les Engagés

11-04-2024

« Il ne vous a probablement pas échappé que l’extrême-droite a le vent en poupe en Europe. En Italie, aux Pays-Bas, au Danemark… elle rencontre des succès notoires. En Flandre, elle se porte bien. En France, beaucoup ne se demandent plus si elle arrivera au pouvoir mais quand et comment ; M. Bardella est présenté de plus en plus comme plausible Premier ministre et de plus en plus d’études indiquent que les idées de l’extrême-droite se banalisent, se diffusent dans les médias et l’opinion. En Allemagne, une vaste mobilisation se rassemble contre l’extrême-droite…

Cette évolution inquiète le Conseil d’administration de notre association d’éducation permanente qui a publié à ce sujet la tribune « L’extrême droite en Europe : fatalité ? » : la culture peut-elle lutter contre l’extrême droite en élaborant un autre projet de société, répondant aux angoisses du futur, stimulant les processus démocratiques ? »

C’est avec ces mots que nous nous sommes adressé·es aux président·es de différents partis politiques en Belgique. Nous avons reçu les réponses de trois partis sur les six contactés, les voici.

⚟ Pensez-vous que les partis d’extrême droite sont des partis « comme les autres » et que leurs idées méritent d’intégrer le débat démocratique ?

Écolo : Non, les partis d’extrême droite ne sont pas des partis comme les autres. L’inclusion de l’extrême droite dans le débat politique menace l’existence même de l’espace démocratique, puisqu’elle souhaite supprimer les droits fondamentaux des individus.

DéFI : Non, DéFI considère que les partis d’extrême droite menacent la stabilité de nos démocraties parlementaires, leurs valeurs fondamentales, et les libertés publiques : ce ne sont donc pas des partis comme les autres.

Les Engagés : Nous ne considérons pas les partis d’extrême droite comme des partis « comme les autres ». Leurs idées, souvent basées sur la haine et l’exclusion, sont en opposition avec les principes démocratiques fondamentaux de diversité, d’inclusivité et de respect des droits humains. Nous appliquons d’ailleurs ces principes à nous-même. En effet, nos statuts exhortent nos adhérents à :
1. s’opposer à toute forme d’extrémisme niant les droits fondamentaux de la personne ;
2. ne pas reconnaître, adhérer ou soutenir sous quelque forme que ce soit quelconque mouvance extrémiste, fanatique, liberticide, complotiste ou radicale, telle par exemple
les mouvements fascistes, le suprémacisme blanc, le wahhabisme, le salafisme, le néopentecôtisme intégriste, les Frères musulmans, les théoriciens du grand
remplacement, les sectes officiellement reconnues comme telles, etc (cf. article 11, paragraphe 3).

⚟ Pensez-vous au contraire que l’extrême droite doit être combattue, ainsi que les partis qui la représentent, et selon quel motif principal ?

Écolo : Nous l’indiquons clairement dans notre programme pour les élections de juin 2024 : « L’extrême droite est une menace contre la démocratie et la cohésion dans notre pays. Nous voulons la combattre sans relâche. Nous voulons agir avant tout pour assécher le marécage de son développement : c’est en effet dans une société injuste, fracturée, désinformée que l’extrême droite se développe. Nous souhaitons agir pour une société plus juste, plus ouverte et plus égalitaire. »

DéFI : L’extrême droite doit être fermement combattue, selon les raisons pré-citées.

Les Engagés : Nous sommes fermement opposés à la banalisation des discours haineux dans le champ politique. Nous soutenons l’application de sanctions strictes, comme la perte de l’éligibilité pour les personnes propageant des discours de haine, et le retrait partiel de financement pour les partis politiques qui ne procèdent pas à l’exclusion de ces individus.

⚟ Êtes-vous d’avis que le meilleur moyen de lutter contre l’extrême droite est de lui couper l’herbe sous le pied, soit en mettant en application les mesures qu’elle revendique (par exemple en termes de politique migratoire) ? Si oui, que répondez-vous aux analyses qui semblent démontrer que cette stratégie ne fait que lui dérouler le tapis rouge ?

Écolo : Non. Premièrement, nous avons des idées à ce point opposées qu’il nous serait bien impossible de mettre les mesures revendiquées par l’extrême droite en application. Deuxièmement et surtout, nous sommes également convaincus qu’appliquer leurs mesures revient à rendre leurs idées légitimes et donc à les renforcer politiquement.

DéFI : DéFI entend rester ferme sur les valeurs progressistes qui sont celles de son projet politique : on n’a pas à répondre à l’extrême droite, on doit appliquer ce qui est juste. DéFI propose à cet égard  d’introduire des mesures structurelles visant la gestion humaine, durable et efficace des demandes d’asile et de la politique d’accueil et, d’autre part, de promouvoir une politique migratoire européenne forte, solidaire et harmonisée, capable de faire face aux défis migratoires auxquels les États européens vont irrémédiablement être confrontés.

Les Engagés : Notre vision de société consiste à promouvoir une société inclusive, ouverte et démocratique, en opposition directe aux principes vociférés par l’extrême droite. Nous ne croyons pas que l’adoption des mesures revendiquées par l’extrême droite soit une stratégie efficace pour la combattre. C’est par l’action politique concrète qui répond aux problèmes des citoyens que nous pouvons pallier ce qui fait le nid des extrêmes : l’inaction politique.

⚟ Quelle stratégie préconisez-vous de mettre en place pour contrer l’extrême droite ? À une époque, on parlait de « cordon sanitaire ». Cette stratégie semble avoir fait son temps ?!

Écolo : Du côté des partis francophones, nous appliquons toujours la technique du « cordon sanitaire ». Le principe du « cordon sanitaire » existe en Belgique depuis environ trente ans. Conçu initialement en 1989 et ensuite révisé à plusieurs reprises, il vise à empêcher toute participation au pouvoir/gouvernement des partis d’extrême droite belges, considérés comme oppressifs et défendant notamment le racisme, le négationnisme, la discrimination ou le séparatisme. Il couvre différentes réalités selon les régions : il est exclusivement politique en Flandre, tandis qu’il a une double signification du côté francophone, à la fois politique et médiatique. Dans le domaine médiatique, cela implique d’empêcher les partis d’extrême droite ou leurs représentants d’avoir un temps d’antenne non restreint à la télévision ou à la radio en direct, les excluant automatiquement des débats ou discussions en direct. Cependant, la presse est encouragée à rendre compte de ces partis, même en citant ou en interviewant leurs représentants, à condition qu’une contextualisation de leur programme et de leurs déclarations soit réalisée. En mai 2022, tous les partis francophones à l’exclusion du PTB ont réaffirmé ce principe dans la Charte de la Démocratie et le Code de Bonne Conduite et l’ont étendu à Internet et aux médias sociaux. L’idée a donc été réactualisée.
Toujours dans notre programme, nous avançons ces pistes de solution : « Nous voulons lutter contre les fake-news, réviser l’article 150 de la Constitution pour lutter contre les discours de haine, renforcer la vitalité et le soutien à l’associatif ainsi que réformer la démocratie pour plus de participation citoyenne. De plus, nous voulons assurer un strict respect de la Charte de la Démocratie qui réitère la nécessité d’un cordon sanitaire à l’encontre de l’extrême droite. Il constitue une digue utile et nécessaire. Enfin, nous entendons par ailleurs soutenir et promouvoir les initiatives prises par les membres de la société civile dans le cadre du travail de mémoire évoquant plus spécifiquement la résistance face au régime nazi et à l’extrême droite. »
Par ailleurs, des outils existent déjà dans notre arsenal juridique pour lutter contre les discriminations et garantir la protection des droits humains. Ces outils doivent être utilisés dès que nécessaire, pour lutter contre l’expression et l’application des idées nauséabondes de l’extrême droite.

DéFI : DéFI a souscrit le 8 mai 2022 au renouvellement de la Charte de la démocratie par les partis politiques francophones démocratiques aux élections dans l’espace francophone : il s’engage à l’appliquer strictement.

Les Engagés : Nous sommes favorables au cordon sanitaire, et à sa réactualisation, comme mentionné dans l’article « Pour les Engagés, le cordon sanitaire doit être resserré ». Les formes violentes d’extrémisme, doivent être fermement sanctionnées ce qui sous entend un renforcement de la stratégie de surveillance et d’intervention en cas de violation de la loi.

⚟ Quelle mesure « phare » recommanderiez-vous ?

Écolo : Pour Écolo, est important de soutenir les associations/structures d’éducation permanente, la dynamique de leurs actions en faveur de l’émancipation de chaque personne, en faveur d’une démocratie plus active. En ce sens, le soutien envers les acteurs qui s’engagent dans la lutte contre les fake-news, contre les discours de haine est primordial.

DéFI : DéFI au-delà du cordon sanitaire estime qu’il existe cependant une mesure plus radicale à prendre à l’égard des formations politiques « qui en veulent à la liberté. »
Au vu des succès croissants des partis extrémistes (surtout d’extrême droite dont l’organisation s’avère le plus souvent particulièrement opaque et dont le projet politique est contraire à « l’ordre démocratique et libéral » pour reprendre l’expression de la Constitution allemande), il s’impose de prévoir des garde-fous juridiques qui permettent de ne pas traiter de manière égale en droit un parti démocratique et un parti dont la finalité repose sur une apologie de la discrimination et n’est pas conforme aux droits et libertés garantis par la Constitution et par la Convention européenne des Droits de l’Homme.
On ne peut pas faire l’impasse sur le fait que la situation politique actuelle en Belgique, où le Vlaams Belang a connu un succès électoral sans précédent lors des élections de 2019 et, de par sa force parlementaire, perturbe la mise sur pied d’un gouvernement démocratique, tant à l’échelon fédéral que dans les assemblées régionales, rappelle à maints égards la République de Weimar.
La Cour européenne des Droits de l’Homme a développé une jurisprudence qui encourage les États à prévoir un régime d’interdiction à l’encontre des « ennemis de la démocratie » il nous paraît urgent de suivre cet encouragement en droit positif.
De la même manière que le défaut d’un statut clair des partis politiques, l’obligation de « loyalisme démocratique » que le législateur belge a, tant mal que bien, essayé d’organiser depuis 1995, s’est révélée tout à fait désastreuse, à l’épreuve du contentieux juridictionnel, alors qu’il ne s’agissait ici que de la privation d’un avantage pécuniaire. Il est édifiant de constater que la dissolution de l’ancien Vlaams Blok a été prononcée par un tribunal judiciaire sur la base d’une loi pénale, en dehors du cadre de droit public prévu expressément par la loi sur les partis politiques, laquelle s’est révélée inopérante à ce sujet. Cette carence n’est pas neutre.
Seule une mesure plus radicale d’interdiction d’un parti dit liberticide par la Cour constitutionnelle,est susceptible de faire comprendre à l’opinion publique que le parti en question est proprement hors-la-loi, et revaloriser ainsi la démocratie de manière effective.

Les Engagés : Nous souhaitons lutter contre la banalisation des discours haineux dans le champs politique en frappant d’une peine d’inéligibilité les personnes répandant des discours de haine, conformément à l’article 33 du Code pénal. Si elles sont élues d’un parti politique, celui-ci perdra une partie de son financement s’il ne procède à leur exclusion.

⚟ Pensez-vous qu’une action culturelle pourrait naitre, être soutenue et contribuer à l’émergence d’un imaginaire qui serait l’antidote à celui de l’extrême droite ?

Écolo : Nous le souhaitons, toute action permettant de lutter contre l’extrême droite est la bienvenue et nous sommes conscients du potentiel important de l’impact d’une telle action culturelle. Les médias jouent un rôle essentiel.

DéFI : Face aux dérives de nos démocraties, minées par toutes sortes d’incivilités, de tensions et de tendances délétères, l’objectif est de recréer les conditions d’une adhésion des citoyens à la société, une cohésion sociale. La démocratie implique une action culturelle ainsi que vous la décrivez, un effort d’éducation, y compris permanente, des contre-pouvoirs, une justice forte, une décentralisation, des médias libres, le respect des faits contre les dogmes, les rumeurs ou les idéologies. L’allégeance à la société démocratique qui en résultera constitue un fondement de stabilité bien plus solide que n’importe quel arsenal législatif ou administratif coercitif
Le médicament de la démocratie c’est principalement de réduire significativement les inégalités socio-économiques.

Les Engagés : Nous croyons en la puissance de l’engagement associatif dès le plus jeune âge comme moyen de construire une société plus solidaire. Nous aspirons à créer un environnement où chaque individu puisse avoir accès à l’expression, quel que soit son parcours et puisse participer activement à la construction d’un avenir collectif. Permettre l’expression des citoyens, notamment par la culture, atténue le sentiment d’exclusion et le risque de radicalisation larvée qui nourrit les extrémismes.
Nous souhaitons par ailleurs un Pacte Démocratie-Média entre l’ensemble des niveaux de pouvoir et l’ensemble des acteurs de la Presse et des médias afin de consacrer juridiquement la notion de « Service démocratique d’intérêt général » des médias. Ce cadre fixerait des règles précises à respecter pour éviter le glissement vers le populisme et la démagogie. En contrepartie, le financement public qui leur serait alloué serait plus important. Les médias sont d’important acteurs de la démocratie. Nous travaillerons avec eux pour qu’ils jouent pleinement leur rôle : informer les citoyens, déjouer les fake-news, alimenter les débats, faire œuvre de pédagogie, combattre les manipulations du réel.