Ninon et Clara

Sébé Allah Yé (Alpha Blondy) #ParOùOnPasse 5

Ninon et Clara, artistes et habitantes de La Petite Maison

13-03-2023

Balade en montagne, Clara

Une fois par semaine nous avons une journée off. Pour celle-ci nous avons décidé de marcher. Une douce journée de 14km de trajet. On est parti·es du fort de Briançon jusqu’à Montgenèvre. C’est un bout du GR et l’un des chemins empruntés par les personnes qui franchissent la frontière à pied. Sur ce chemin, des dizaines de pulls, manteaux, chaussures abandonnés. Parfois cachés, parfois en plein milieu du chemin.
On a beaucoup discuté le long des sentiers, de nous, nos vies, nos familles. On a croisé quelques vélos, deux randonneur·ses et la police en SUV. On a vu une cabane, des arbres jaunes, une source d’eau, des roseaux, plusieurs ponts en bois, et plein de flèches de couleur montrant le chemin vers Briançon, comme un accompagnement en plus. Un soutien militant qui s’est glissé dans les balises du GR et d’autres routes à vélo. Des flèches-balises, faites rapidement, indiquent toutes Briançon.
Et puis nous sommes arrivées à la station de ski. Quelle vision étrange qu’une station de ski déserte sous un soleil plombant. C’est une ambiance particulière, un peu fin du monde, voir tous ces tire-fesses qui pendouillent et ces infrastructures totalement vides. Tout en sachant que chaque jour des dizaines de personnes déambulent dans ce désert de divertissement pour traverser la frontière. Car l’atout de cette station de ski créée en 1907  c’était d’être à moitié en Italie et à moitié en France, pour pouvoir skier d’un pays à l’autre…
On repart sur notre route qu’on connait un peu mieux. D’ailleurs ce n’est plus que de la descente ou presque alors on marche plus vite. Et puis finalement on se perd. On atterrit dans un chemin de VTT sur une autre partie fortifiée de la ville, beaucoup trop haut. On croise une caravane allumée qui prépare l’apéro, un couple du coin avec leur petit chien, qui nous propose de nous raccompagner. On préfère marcher.
La nuit tombe et on redescend tout ce qu’on a monté en trop. Il fait nuit, les habits abandonnés au loin ressemblent maintenant à des silhouettes…

 

Atelier objets qui rassemblent, Ninon

Le rituel de l’atelier s’est bien mis en place. Zizou et Omosa ont bien compris et ont l’air d’apprécier. (Zizou et Omoza sont arrivés par le Refuge Solidaire et sont devenus bénévoles. Ils dorment au Chalet avec les autres bénévoles − nous prendrons le temps de vous les présenter dans le futur !) Pour cette fois, nous préparons ensemble le sac de matériel et nous partons ensemble du Chalet pour rejoindre le Refuge.
Nous sommes donc 4 à proposer l’atelier d’aujourd’hui, avec de sacrés atouts. D’abord les deux garçons parlent arabe (ce qui n’est pas négligeable pour la compréhension et pour espérer impliquer plus de personnes), ils connaissent du monde et aussi les codes. Et puis Omosa est un très bon photographe. Il fait de très belles images de nature ou des portraits noir et blanc très poétiques. Nous sommes heureuses de lui laisser l’appareil photo et de lui montrer comment fonctionne la petite imprimante.

Des nouveaux bénévoles sont arrivés aussi, ils veulent participer à l’atelier. On est reparti·es sur un objet qui rassemble − ou un lieu qui rassemble, selon les interprétations, les traductions et aussi les envies. Omosa est allé prendre en photo l’endroit de la pièce qu’il voulait dessiner, le meuble en bois dans laquelle est rangée la vaisselle et qui sert de comptoir pour poser les gamelles et servir les repas le midi et le soir.

C’est un des moments qui rassemblent le plus au Refuge. À l’heure du repas, une grande ligne se crée, qui mélange tout le monde : chacun·e attend avec son assiette et sa cuillère à soupe ! Le service peut-être assez silencieux, ou au contraire très vivant, avec de la musique et des personnes qui dansent. Ça dépend beaucoup de l’équipe bénévole qui a préparé le repas et qui va le servir mais aussi bien sûr du moral général dans le self. Pas toujours le cœur à la légereté et à la fête, même si franchement, quand une personne commence à rire, le reste suit. Et on vole collectivement un moment suspendu et hors du temps à ces destins embourbés dans l’injustice de territoires occidentaux hostiles.

Zizou a trouvé sur internet une illustration d’une femme qui fait la vaisselle : ça représente les moments où il aidait sa maman dans cette tâche. Pour lui c’était le moment qui rassemblait quand il était chez lui : « Mes frères, ils n’ont jamais aidé ma mère. »
Du coup on dessine sa tête à la place de celle de la femme. Il porte une belle robe bleue, comme une princesse Disney.

Rasol, lui, a dessiné une table basse avec des verres à thé, une théière et un vase avec une fleur au centre de la table. Il me raconte qu’il était barman en Turquie, « mais pas d’alcool ! ». Il me montre des vidéos de lui préparant des cafés latte et des cocktails de jus de fruits. Il voyage avec son frère et une femme. Ils se sont rencontré·es en Turquie et on poursuivi la route ensemble. Son frère et lui son Iraniens, elle est Tunisienne, ensemble ils parlent turc : c’est leur langue commune. Il m’explique qu’ils vont bientôt se séparer, lui va rejoindre sa famille en Allemagne (avec son frère qui le suivra) et elle sa famille en Angleterre. Sur son dessin, il écrit en perse « la maison est belle, avec des couleurs ».

Certains dessinent le drapeau de leur pays et je me surprends à commencer à dire : « Mais un drapeau, c’est pas un objet qui rassem… » Mais j’arrête ma phrase. Réflexion faite, y a-t-il un objet plus rassembleur qu’un drapeau ? Ne parlons-nous pas d’ « appel sous les drapeaux » ? Ce n’est pas vraiment à cela que je pensais quand on a proposé cet atelier, et en même temps, je trouve ça assez beau d’imaginer son drapeau comme objet qui rassemble toutes les personnes habitant un même territoire. Si cette image de collectif uni sous un drapeau n’est pas ternie par l’exclusion de certaines personnes, à qui on refuse les droits les plus élémentaires.

Quelqu’un dessine un portrait du Che Guevara. Homme qui a su rassembler pour certains et diviser selon d’autres. On commence à voir apparaitre des messages sur les dessins. C’est justement ce que nous avions imaginé pour les prochains ateliers. Ces messages sont comme des avertissements, des conseils pour les suivant·es mais aussi des messages de paix, ou d’autres qui donnent du courage et de l’espoir pour l’avenir.

Life is short and the world is nothing but many tests. 
Be human. 
Tous les humains, tous différents et tous égaux.
Life is easy, just take advantage of it.
Work hard and you will get happiness in your life.
Hope for freedom in Iran.
This flower is dedicated to our death in the camps.
Waiting for the family.
Même si votre cœur est abattu, le monde ne s’arrêtera pas. Recommencez.

L’espace d’atelier devient vite un espace politique aussi. Les personnes qui participent sont généralement des personnes ayant fui des conflits, qui amènent à des réflexions sur le monde et sur nos valeurs en tant qu’êtres humains. Souvent certaines semblent militantes, très engagées dans leurs pays de départ. Sans rentrer dans les détails des histoires intimes de chacune et chacun, il est facile de comprendre, quand on voit les messages laissés, quels espoirs les traversent, quelles sortes de valeurs ils et elles défendent, et souvent apparaissent clairement les raisons d’une fuite forcée pour leur survie. Sans jamais parler de politique, nous y revenons toujours.

Les Afghans dessinent beaucoup de fleurs rouges et d’oiseaux avec de long becs.

J’ai décidé de dessiner la table de ping-pong. Celle qu’il faut ranger à chaque moment du repas et ouvrir à nouveau dès que la dernière assiette est lavée et rangée. J’ai dessiné cette table parce qu’elle est centrale, dans la journée des personnes ici et aussi dans l’espace. Et puis elle est un des rares objets qui rassemblent vraiment  tout le monde : accueillant·es et accueilli·es se mélangent et font des tournois.

Quelqu’un au refuge m’a expliqué qu’elle avait été offerte par une association suisse qui récolte des dons d’objets, dont des tables de ping-pong pour les distribuer dans plein de tiers-lieux partenaires, en Suisse, en France ou ailleurs.

Liste d’objets/ lieux qui rassemblent :

– un bouquet de fleurs
– l’espace où l’on sert les repas dans le self des Terrasses Solidaires
– des drapeaux (Mali, Mauritanie, Afghanistan, Maroc…)
– faire la vaisselle
– une bibliothèque
– une enceinte
– un jeu d’échecs
– une table basse avec du thé
– une table de ping-pong
– Che Guevara
– un canapé
– une théière
– une baguette de pain
– un poêle
– une cheminée
– le Dado (jeu de société)
– …

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