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Dossier

Spéculativismes. Sortir du réalisme capitaliste par la fiction spéculative

Jean-Baptiste Molina, chercheur et activiste en fiction spéculative

18-10-2022

L’appel à produire de nouveaux récits est omniprésent. C’est que la panne d’imagination est sévère. Or, « nouveaux récits », ça peut dire tout et son contraire. Nous avons besoin d’un diagnostic clair de ce que signifie être face à cette panne d’imagination. Pour mieux comprendre ce que l’on peut y faire. C’est cette boussole des futurs récits que propose Jean-Baptiste Molina. Au passage, il signale les pièges à éviter. Pas question que nos imaginaires prolongent la vie de la Bête et de ses industries créatives. C’est une autre écologie fictionnelle qui est à dessiner, collective, plurielle, tournée vers les communs.

Le système s’effondre tout autour de nous précisément au moment où de nombreuses personnes ont perdu la capacité à imaginer qu’autre chose puisse existern.

Le capitalisme s’est infiltré dans nos inconscients, il a colonisé nos imaginaires. Nous l’avons érigé comme l’aboutissement inévitable de l’humanité, au point qu’il nous est devenu impossible de penser des alternatives. C’est cette impasse cognitive généralisée, où il est plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme, que le philosophe Mark Fisher appelle le réalisme capitaliste. Pour constater cette panne de l’imaginaire il suffit de regarder la majorité des films de sciences-fictions, ces dystopies techno-capitalistes qui ont souvent pour seule issue l’apocalypse. Nous vivons une réalité où la prophétie de Margaret Thatcher il n’y a pas d’alternative s’est concrétisée. Le capitalisme serait devenu la seule réalité possible, une réalité extérieure indépendante de nos esprits, notre réalité. Pourtant il a tout d’une fiction. Il est fondé sur de grandes fabulations toxiques, tel que les grands mythes de l’Homo œconomicus et de la rationalité économique, objectivant le comportement humain comme étant maximisateur, calculateur et individualiste ; la croyance en une croissance infinie dans un monde fini, avec son immonde oxymore de développement durable ; ou la légende prométhéenne du Progrès technocentré et salvateur. De plus, depuis les années 1970 et l’exacerbation de la financiarisation, nous sommes passés d’un capitalisme d’accumulation à un capitalisme spéculatif. Spéculer en économie c’est vouloir tirer du profit par l’anticipation de l’évolution des marchés économiques. Mais ce sont souvent les placements découlant de ces anticipations qui finissent par faire évoluer les marchés. La spéculation transformatrice, agissante sur nos réalités, n’est pas du seul ressort de la finance. De plus en plus de personnes découvrent une force émancipatrice et créatrice dans la spéculation, et se mettent à créer des fictions activistes. En activant des possibles, nos récits peuvent être des outils de lutte pour sortir du réalisme capitaliste, voir du capitalisme. Mais les forces agissantes de ce dernier ont une forte tendance à tout détourner et récupérer à leurs avantages. Ainsi l’Université de la Pluralité créé des récits transformateurs aux service des assureurs Axa ou la Maif, Usbek & Rica co-organise des concours de science-fiction pro-nucléaire au côté d’Andra, l’Armé française embauche des auteur·ices d’anticipation pour se préparer au futurn, et des projets de design fiction alimentent le business as usualn. Il est crucial ne pas laisser faire cet accaparement, et de conscientiser et organiser nos pratiques d’activismes spéculatifs. Les lignes qui suivent chercheront à proposer des conditions à établir pour qu’une fiction nous permette de sortir du réalisme capitaliste.

La profusion des récits de dystopie capitaliste, qu’ils soient pro- ou anticapitalistes, participe directement à ce marasme de l’imaginaire, en nous imposant le techno-capitalisme comme une fatalité. Lorsque ces dystopies spéculent des récits de soinn ou de lutten face au capitalisme et ses ravages, elles sont stratégiquement inspirantes, mais elles participent au réalisme capitaliste. Quant aux utopies non-capitalistes, elles doivent être réalisablesn et proches de notre existant pour nous sortir de cette impasse. Bien qu’exaltant et structurant pour le spéculactivisme anticapitaliste, le roman d’Ursula K. Le Guin Les dépossédéesn se déroule dans un autre système planétaire que le nôtre. Un autre monde non-capitaliste est possible, mais ça ne sera pas le nôtre ! Une utopie irréalisable, trop éloigné de nos réalités, de notre présent ou de notre planète terre, peut avoir des vertus critiques, mais elle maintient le statu quo du réalisme capitaliste. La polysémie du mot utopie sème le trouble, car si elle est une représentation d’une société idéale, une utopie peut désigner également une réalité difficilement admissible : en ce sens, qualifier quelque chose d’utopique consiste à le considérer comme irrationneln. À nous d’inventer les mots et les nuances pour lever l’ambivalence de cette notion et donner de la force à nos récitsn ! Inversement à cette proposition d’utopie réalisable, Alice Carabédian dans Utopie radicale – Par-delà l’imaginaire des cabanes et des ruinesn, nous conseille d’oser des utopies impossibles justement car elles sont impossibles. Pour elle, l’utopie est un processus critique avant d’être un projet créateur, c’est un voyage avant d’être un rivage. Mais le réalisme capitaliste est si puissant, qu’un récit post-capitaliste est déjà du ressort de l’impossible pour nos imaginaires entravés. Les utopies sont des spéculations d’une société souhaitée, mais elle ne doivent pas tendre vers la société parfaite. Il est nécessaire de nuancer les idéalisations, car une société sans désaccord est forcément un régime totalitaire. Elles doivent donc expliciter leurs limites, leurs contradictions, et leurs dérives. Si les dystopies sont enfermantes, les utopies post-capitalistes sont bien infécondes si elles ne nous confrontent pas aux durs problèmes pouvant surgir lors de la chute de notre système économique. Nous avons besoins d’utopies ambiguës – pour reprendre le terme utilisé par Ursula K. Le Guinn − où la violence et le conflit ne doivent pas être niés, mais où il ne faut pas non plus leur donner une place centrale. Pour inventer des possibles post-capitalistes privilégions ce qu’Ursula K. Le Guin appelle la fiction-paniern, et non des récits héroïques et patriarcauxn, dominants dans nos civilisations capitalistes. Ces utopies ambiguës nous confrontent à la dureté de la vie sans le relatif confort que nous apporte le capitalisme. Pour cette confrontation, les utopies doivent être pratiques et adaptées aux actions concrètes. Ces anticipations ambiguës et pragmatiques nécessitent une réflexion poussée sur les technologies, pour éviter les dérives du mythe du progrès technocentré salvateur, ainsi que celle d’une décroissance primitiviste trop radicale. Pour facilement se projeter dans des fictions spéculatives, le présent semble adéquat. Des présents autres, comme les uchronies des univers post-Haraka imaginés lors des labo-fictions des ateliers de l’Antémonde, prolongeant l’univers de l’ouvrage Bâtir aussin. Des présents réalistes, comme Il faudra faire avec nous de Lë Agaryn. Entre fiction et manuel de sabotage, ce roman ne nous permet peut-être pas d’imaginer d’autres possibles, mais la force qui s’en dégage pour les luttes est indéniable. Ou des présents vus du futur, via le rétrofuturisme, tel que les enquêtes sur les anomalies sorcières du laboratoire sauvage Désorceler la Financen, qui sont des archéologies de notre présent, narrant des recherches sur l’effondrement du capitalisme tardif. Précisions que pour spéculer sur la fin du capitalisme, proposer des causes exogènes sur lesquelles nous n’avons pas prise, comme des extraterrestres ou un blob, ne nous permet ni de sortir du réalisme capitaliste, ni d’alimenter des stratégies de lutte.

Nous avons besoin d’utopies ambiguës, où la violence et le conflit  ne doivent pas être niés, mais où il ne faut pas non plus leur donner une place centrale.

En plus du présent et du futur, le passé est un temps à explorer pour des récits transformateurs. L’Histoire, est un récit manipulable et manipulé, une fiction écrit par les oppresseur·ses. Il est possible, à l’instar de Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanitén, de David Graber et David Wengrow, de se baser sur l’archéologie et l’anthropologie pour réécrire l’Histoire et délégitimer le capitalisme.

De nombreux·ses amateur·ices de science-fiction se réapproprient des récits connus en écrivant des fanfictions. En s’inscrivant dans cette pratique populaire, les nouveaux récits peuvent prendre des dimensions collectives, permettant de disséminer le pouvoir germinatif du récit et d’étendre la lutte contre le réalisme capitaliste. Les activistes de la fiction spéculative se doivent de tout mettre en œuvre pour accompagner cette réappropriation collective des récits qu’iels proposent. Après la parution de Bâtir aussi, les ateliers de l’Antémonde ont animées de nombreux labo-fictions, pour créer collectivement des récits sous un format d’éducation populaire et d’écriture orale. En ce qui concerne la réappropriation collective des sym-fictions, Donna Haraway nous a promis que les projets « Faites des parents, pas des enfants ! » et « Les Enfants du Compost » disposeront bientôt d’un monde collectif en ligne où l’on pourra jouer et poster des histoiresn, mais pour le moment cette dimension collaborative s’est restreint au cercle d’érudit bourgeois fréquentant le problématique colloque de Cerisyn. La plus encore problématique Université de la Pluralitén dispose quant à elle d’une plateforme internet, nommée Narratopias, comprenant une bibliothèque collaborative, un répertoire de pratique de spéculation, ainsi qu’un jeu de création de récits. Pendant la résidence THX 2022 organisée par les petites singularitésn, le collectif archipel a spéculé sur les possibles de luttes actuelles. Et lors de la rencontre Raconter demainn, plusieurs ateliers de narration se dérouleront, dont celui de Désorceler la Finance avec un labo-fiction cherchant à proposer des bifurcations post-capitalistes. D’innombrables possibilités d’atelier, de plateforme internet, de jeu de création, et d’autres pratiques d’éducation populaire, sont à inventer, toujours en se focalisant sur la recherche d’horizontalité de ces dispositifs. Car si nous sommes à ce point embourbé·es dans la panne des imaginaires du réalisme capitaliste, c’est que nos écologies de l’imagination sont devenues totalement hiérarchiques. Une petite élite, au service des géants des industries créatives, produit des récits pour une masse de consommateur, via des médiums audiovisuels où les possibilités d’interprétation du récit sont restreint à l’extrêmen. Pour se réapproprier nos imaginaires, nous devons renverser ce rapport hiérarchique, et nous mettre toustes à explorer de nouveaux mondes. Ce qui ne sous-entend pas de devenir toustes auteur·ices, compteur·euses, ou cinéastes. Car créer des nouveaux récit peut se faire à travers d’innombrable médiums, mais aussi seul dans sa tête, ou lors d’une discussion totalement informelle. Il y a d’incroyable champs des possibles pour la création de processus collectifs et spéculatifs. Ne nous limitons pas à des pratiques de réappropriation de récits existants ! Nous pouvons faire en sorte que ces pratiques ne soient pas dans une écologie de l’imagination hiérarchique, avec une élite d’activiste spéculatif créant des scénarios à réinterpréter. Créons des processus de tente sombren qui, comme l’art paléolithique, ne serait pas conçu pour encadrer et guider l’imagination, mais plutôt pour offrir des supports suggestifs à l’exploration imaginativen. Si depuis le début du stockage symbolique externen du paléolithique, la majorité de l’humanité a pris l’habitude de totalement fixer son imaginaire grâce à l’art, une minorité en lutte se projettent encore dans des mondes virtuels grâce à des techniques chamaniques. Iels explorent l’invisible par des visions et des rêves. Le militant pour les droit des peuples autochtones Ailton Krenak insiste sur l’importance des mondes oniriques. Selon lui, pour retarder la fin du monde, nous devrions considérer le rêve un exercice discipliné, qui concerne le collectifs, pour rechercher les orientations que nous devons donner à nos choix quotidiensn. Il nous faudra effectivement beaucoup de discipline pour réussir à sortir du réalisme capitaliste qui a gangréné notre inconscient. Rêver de se retrouver nu·e dans un supermarché, ou de se faire réprimander par son patron, ne nous aidera jamais à comprendre la subjectivité des non-humain·es misent en péril par le capitalocène. Dans nos sociétés l’imagination et le rêve s’opposent au réel, mais cette dichotomie est loin d’être universelle. Pour certain·es, comme Ailton Krenak, Ces lieux font partie du monde que nous partageons ; il ne s’agit pas d’un monde parallèle, mais d’une potentialité du monde différenten.

Si la fiction peut nous sortir du réalisme capitaliste, mettre fin au capitalisme par l’imaginaire semble être une proposition fortement naïve, car seule l’action pourrait précipiter sa chute. Mais ce jugement est entièrement fondé sur la dichotomie imaginaire/réel, remis aussi en question par nos savoirs contemporains. Lorsque nous voulons faire une action simple, comme attraper une boîte d’allumette sur une table, nous nous créons un court récit d’anticipation (si je tend trop mon bras vers la droite, je vais faire tomber le jerrican d’essence, par exemple). Notre capacité à nous immerger dans l’imaginaire a pour base notre capacité à nous engager dans le monde. […] L’imagination ne nous projette pas dans un monde irréel, elle constitue au contraire une forme d’interaction avec le monde sur mode mentaln. Avant une action plus importante et complexe, comme incendier une antenne ou une banque, il faut spéculer des récits beaucoup plus sophistiqués, comprenant de multiple scénarios, sur une anticipation beaucoup plus lointaine. La destruction du capitalisme réclame une multitude de récits et de pratiques spéculatives et collectives. La fiction est une première étape nécessaire à l’action, mais elle reste bien impuissante si elle n’aboutit pas sur cette dernière. Lorsque des promoteurs immobiliers spéculent sur une ville, ils mettent tout en œuvre pour que leur fiction de leur ville de demain se réalise. Laisser les récits post-capitaliste à l’état de fiction, c’est faire le jeu du réalisme capitaliste ! Le capitalisme tombera, il est déjà en train de sombrer, à nous de l’achever !

Image : © Joanna Lorho

1

Préface de David Graeber, in Alain Damasio, Virginie Despentes et al., Éloge des mauvaises herbes : ce que nous devons à la ZAD, Les liens qui libèrent, 2020.

2

L’équipe d’artistes et auteur·ices de science-fiction travaillant pour le programme de l’Armée française Red teams a spéculé différents scénarios catastrophes, dont certains ont été rendus publics. L’un deux, nommé la P-Nation, a particulièrement angoissé les états-majors, et pourrait bien être inspirant pour divers·es militant·es. Dans cette spéculation, des réfugié·es climatiques et des activistes dressé·es contre une société de contrôle techno-dystopique fondent et s’unissent dans un pays flottant, pour contre-attaquer les nations capitalistes. Voir: https://redteamdefense.org/saison-0/p-nation.
À ce sujet, lire aussi, Zelda Soussan, Ruggero Franceschini,François Schuiten, « Sortir du déni, imaginer demain », in Journal de Culture & Démocratie n°54, 2022.

 
3

Pour en savoir plus sur ces récupérations capitalistes, voir l’article de Théo Bourgeron, « La fabulation spéculative », de Zanzibar à Ballard, AOC, 2021.

4

Comme les récits des « Enfants du compost », proposant de nouvelles manières de faire symbiose et parentèle, pour la création de nouveaux liens multispécifiques et de sensibilité trans-espèces. Les protagonistes sont des enfants qui viennent au monde dans des familles non-nucléaires et non-hétérocentrées, en tant que symbiote d’une espèce non-humaine, avec la quelle iels partagent des caractéristiques psychologiques et physiologiques. Iels passent leurs vies à prendre soin de cette espèce et de leurs biomes.
Lucienne Strivay, Fabrizio Terranova, Benedikte Zitouni, « Les enfants du compost », in Didier Debaise, Isabelle Stengers (éd.), Gestes spéculatifs, Les presses du réel, 2015 ; « Histoires de Camille », in Donna Haraway, Vivre avec le trouble, Des mondes à faire, 2020 ; « Autobiographie d’un poulpe ou la communauté des Ulysse », in Vincianne Despret, Autobiographie d’un poulpe et autres récits d’anticipation, Actes Sud, 2021.

5

Tel que la fiction Subtil béton des Aggloméré·e, spéculant une dystopie techno-capitaliste dans la quelle une insurrection a échouée (un récit de défaite qui nous plonge particulièrement dans le pessimisme du réalisme capitaliste, même si la courte ouverture de fin nous laisse sur une note d’espoir). Ainsi que certains des récits d’Alain Damasio, comme « Les Hauts® Parleurs® », une anticipation de lutte contre la privatisation des mots, ou « Hyphes », spéculant l’avenir de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes face à la privatisation des territoires.
Les Aggloméré·e·s, Subtil béton, L’Atalante, 2022.
Alain Damasio, « Les Hauts® Parleurs® », in Alain Damasio, Aucun souvenir assez solide, La Volte, 2012.
Alain Damasio, « Hyphes », in Alain Damasio, Virginie Despentes et al., Éloge des mauvaises herbes : ce que nous devons à la ZAD, Paris, Les liens qui libèrent, 2020.

6

Tel que l’ouvrage Écotopie, qui dépeint une société utopique cohérente, réaliste et réalisable. Basée sur des idéaux libertaires des années 1960 et écologistes, cette spéculation prône la décentralisation, l’antiautoritarisme et l’autogestion, et elle eu une forte influence sur les mouvements écologistes et la contre-culture de l’époque. Ernest Callenbach, Écotopie, Stock 2, 1978.

7

Ursula K. Le Guin, Les dépossédés, trad. de l’anglais par Henry-Luc Planchat, Robert Laffont, 1975.

8

Voir l’entrée « Utopie » de Wikipédia, consultée le 27 juin 2022. Cette citation est suivie de :  « Cette polysémie, qui fait varier la définition du terme entre texte littéraire à vocation politique et rêve irréalisable, atteste de la lutte entre deux croyances, l’une en la possibilité de réfléchir sur le réel par la représentation fictionnelle, l’autre sur la dissociation radicale du rêve et de l’acte, de l’idéal et du réel. »

9

Pour alimenter des nouveaux récits émancipateurs nous avons besoin de nouveaux mots. Les néologismes sont des outils pour proposer des futurs habitables, ils sont nécessaires pour casser nos verrouillages d’interprétation de la réalité et pour imaginer d’autres rapports aux mondes. Les mots nous permettent de découper, d’interpréter et de représenter le réel. Détournons les !
Jouons-nous des normes, chamboulons les genres grammaticaux et inventons des nouveaux concepts ! Luttons contre la novlangue néolibérale et managériale qui entrave nos vies et nous empêche de penser. Elle participe au réalisme capitaliste en nous imposant des concepts et en formatant nos imaginaires.
Pour remplacer le concept d’utopie, en attendant l’invention de néologismes, il est aussi possible d’utiliser celui d’eutopie, malgré le manichéisme qui le sous-tend. L’écrivain Thomas More, le créateur de ces deux mots, définit l’utopie comme un lieu fictif, et l’eutopie comme le lieu du bon, mais les deux définitions ont été englobé dans le premier devenu polysémique.

10

Alice Carabédian, Utopie radicale − Par-delà l’imaginaire des cabanes et des ruines, Seuil, 2022.

11

Au sujet de son roman Les dépossédés, Ursula K. Le Guin, op. cit.

12

Ursula K. Le Guin, The Carrier Bag Theory of Fictionin Denise Du Pont (dir.), Women of Vision: Essays by Women Writing Science Fiction, St. Martin’s press, 1986.

13

Dans le cas de l’intégration de relations amoureuses et/ou sexuelles dans un récit, l’hétérosexualité n’est pas à privilégier, non par pour un quelconque pink washing mais parce que l’écrasante majorité des relations dans les fictions sont hétérosexuelles, avec une forte tendance à colporter des idéaux patriarcaux.

14

Ateliers de l’Antémonde, Bâtir aussi, Cambourakis, 2019. Ce recueil de nouvelles développe des spéculations où le capitalisme s’est effondré, suite aux révolutions des printemps arabes se propageant à travers le monde. Ces utopies post-capitalistes sont ambiguës, pragmatiques, et sont construites autour de réflexions poussée sur les technologies. Cette ouvrage est un outil émancipateur et créateur, qui peu nous permettre de nous délivrer du réalisme capitaliste.

15

Lë Agary, Il faudra faire avec nous, Les Étaques, 2022.

16

Désorceler la Finance, L’enquête sur l’Anomalie, Entre-temps, 2022 

17

David Graeber, David Wengrow, Au commencement était... Une nouvelle histoire de l’humanité, trad. de l’anglais par Elise Roy, Les liens qui libèrent, 2021.

18

Donna Haraway, Vivre avec le trouble, trad. de l’anglais par Viven Garcia, Des mondes à faire, 2020, p. 291.

19

Un colloque avec des partenaires aussi sympathiques que Vinci, Veolia ou Suez, se déroulant dans le grand château de Cerisy-la-Salle.

20

En plus de travailler pour des assureurs, ces sociétés qui spéculent économiquement sur nos malheurs, cette start-up du récit occupe un espace géré par Plateau Urbain, un acteur majeur de l’urbanisme transitoire et d’immobilier solidaire (ce qui traduit de la novlangue donne : mesure anti-squat et gentrification).

21

Ce texte a été nourri et terminé lors de cette résidence.

23

André Leroi-Gourhan, Le geste et la parole. Technique et langage, Albin Michel, 1964, p. 295-296.

24

Si le chamanisme peut paraître hiérarchique, avec un·e chamane qui délivre verticalement un récit (ce que Charles Stépanoff appelle des dispositif de tente claire), il existe aussi des pratiques chamaniques hétérarchiques et horizontales (les dispositif de tente sombre), où chacun·e est libre de voyager dans l’invisible, sans une frontière entre un·e chamane spécialiste guidant le récit, et des profanes passifs·ves. Charles Stépanoff, Voyager dans l’invisible – Techniques chamaniques de l’imagination, Les empêcheurs de penser en rond, 2019, p. 141.

25

Charles Stépanoff, op. cit., p. 19.

26

Charles Stépanoff, op. cit., p.18

27

Ailton Krenak, Idées pour retarder la fin du monde, trad. du portugais par Julien Pallotat, Éditions Dehors, 2020, p. 43

28

Ailton Krenak, op. cit., p.51

29

Charles Stépanoff, op. cit., p. 36-37

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