Benjamin Monteil
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Dossier

Territoires de liens : expériences en santé mentale

Entretien avec Laurent Bouchain, responsable de l’Écheveau, service culturel de l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu − ACIS, et
Aurélie Ehx, coordinatrice à l’Autre « lieu » - R.A.P.A. (Recherche-Action sur la Psychiatrie et les Alternatives)

19-11-2021

Dans le secteur de la santé mentale plusieurs territoires se superposent. La pandémie est venue bouleverser les rapports entre les uns et les autres, et d’autres relations se sont tissées autour des territoires existentiels et expérienciels des publics comme des travailleurs et travailleuses. Dans la difficulté il a fallu mettre en place d’autres pratiques, d’autres modes d’accompagnement face parfois à une aggravation des précarités psychiques. Mais cette adaptation aux clôtures imposées s’est aussi accompagnée d’ouvertures, de nouvelles manières de « faire soin ». Laurent Bouchain raconte ici l’expérience de l’Écheveau, service culturel au cœur d’un hôpital psychiatrique, et Aurélie Ehx celle de l’Autre « lieu », espace d’accueil, de soutien et d’accompagnement de personnes aux prises avec des troubles psychiques.

Propos recueillis par Hélène Hiessler, coordinatrice à Culture & Démocratie.


Comment la notion de territoire se réalise-t-elle dans votre pratique ?

Laurent Bouchain : Pour moi, il y a plusieurs territoires. D’abord il y a le territoire-public (public hospitalisé), le territoire-institutionnel (l’hôpital), le territoire-partenaire et pour finir le territoire-domicile (accompagnement projet 107n). Avec la crise, le rapport aux territoires a changé. Par exemple, avant la pandémie, le territoire-partenaire de l’Écheveau dépassait d’une façon naturelle le territoire-institutionnel. Au-delà des ateliers en interne, il y avait des sorties (spectacles, expos), des projets avec des opérateurs culturels, des résidences d’artistes, de la diffusion. L’idée maitresse était de permettre à la vie culturelle d’être le pont entre la parenthèse du séjour hospitalier et le domicile.
Avec la pandémie, le territoire-public s’est confronté d’un côté à un espace rétréci, celui de l’hôpital avec son service de soins, et de l’autre, à un territoire (partenaire) qui n’existait plus. De plus, l’hôpital en tant qu’institution s’est repositionné comme un opérateur de soins stricto sensu. Même si des propositions culturelles créatives amenées par les opérateurs culturels étaient impossibles, l’appui du service culturel et des artistes permanent·es au plus fort de la crise étaient bénéfiques afin d’éviter la sclérose.
Aujourd’hui, nous ne pouvons que constater les dégâts causés par la pandémie. Si habituellement les personnes sont soutenues par les activités extérieures, couper leurs liens avec ces acteurs extérieurs est ressenti comme une détonation psychique insupportable avec pour certain·es un retour aux addictions (causé par la pression du contexte), une consommation excessive d’alcool ou de nourriture voire même de nouvelles fragilités physiques. Il faudra pour certain·es tout reprendre à zéro. Cette réalité pandémique a été le révélateur d’une énorme faille, d’une scission sociétale entre ceux et celles qui sont équipé·es psychiquement et ceux et celles qui ne le sont pas.

Aurélie Ehx : À l’Autre « lieu », la question du territoire est permanente : nous cherchons à ce que sur le territoire géographique de Bruxelles-Capitale, les personnes puissent trouver des ressources qui leur permettent d’aller bien, d’éviter des hospitalisations successives et de pouvoir vivre la vie la plus souhaitable pour elles. Par temps de Covid, beaucoup de partenaires ont réduit la voilure, nous y compris. Nous avons dû revoir notre manière de garder le lien et de permettre qu’il y ait toujours des expériences artistiques pour les personnes. On appelait régulièrement celles qui le souhaitaient, on s’est beaucoup déplacé·es dans la ville pour aller glisser dans les boites aux lettres des propositions artistiques, de workshops à faire chez soi, etc. Certaines choses ont été partagées via les réseaux sociaux. Puis assez rapidement, on a rouvert avec une permanence physique : des personnes s’inscrivaient et on a organisé des balades en petits groupes dès que c’était possible.
Notre territoire référentiel, on l’a géré en essayant de garder nos manières de travailler dans l’informel, le non-médicalisé, et en continuant à créer du lien entre nous et avec différentes ressources du territoire, des points d’ancrage restés accessibles. La ville grouille de choses parfois invisibles quand tout est en fonctionnement, mais on peut l’explorer et tenter d’être plus sensible à ce qui y fait vie. Un tracé sur une carte ne rend rien de l’expérience réelle qu’on fait d’un territoire. Nos balades ont été une façon d’en faire l’expérience autrement.
Si on parle maintenant de territoire immatériel, de territoire existentiel des personnes, il faut se demander quels sont les rêves que les gens portent en eux, leurs histoires, leurs valeurs, les attraits qu’ils ont pour des objets, matières, expériences artistiques. La période de pandémie a amené une certaine forme de repli, mais on reste attentif·ves à permettre que chacun·e continue à nourrir ce territoire existentiel qui fait vivre. On s’attendait à ce que les personnes qui avaient le plus de facilité à déambuler, à voir du monde, à passer des coups de fils réguliers ou celles qui vivent une forme de sociabilité plus facilement que d’autres dans d’autres lieux et d’autres activités extérieures, aient davantage de ressources pour résister au contexte ambiant. Mais elles devenaient plus fragiles. À l’inverse, d’autres que nous pensions plus sujettes à une grande anxiété par rapport au contexte se sont avérées bien équipées pour traverser cette période. Elles se téléphonaient beaucoup, nous demandaient comment nous allions. Il y avait de belles discussions. C’était le versant plus questionnant pour nous, qui travaillons dans le champ de la santé mentale et de la psychiatrie : on voyait combien ces personnes étaient habituées à vivre ce repli. Celles qui se sentaient armées ont même démarré des petites interviews par téléphone et créé des capsules pour notre émission « Psylence radio ». Mais sur la durée, le désenchantement nous a tou·tes touché·es. Heureusement, à ce moment, on a pu commencer à rouvrir les activités en présentiel et à se revoir.

Cette réalité pandémique a été le révélateur d’une énorme faille, d’une scission sociétale entre ceux et celles qui sont équipé·es psychiquement et ceux et celles qui ne le sont pas.

 

Quelles relations se tissent entre ces différents territoires, entre le dedans et le dehors ? Quelles nouvelles articulations dans le contexte de la pandémie ?

A. E. : On est chaque fois en lien avec tout le territoire dans un rayon de dix kilomètres autour du lieu où la personne réside et on concocte avec elle tout un tissu d’aides et de soins. Souvent les personnes ont un·e psychologue, un·e psychiatre et pour celles et ceux qui sont fâché·es avec la psychiatrie, le travail consiste aussi à reconstruire progressivement ce tissu-là. On évite au maximum les hospitalisations puisqu’on est convaincu·es que ce n’est pas l’hôpital qui fait soin, mais ça reste un outil de travail utile. L’hôpital a une fonction anxiolytique pour nos membres qui savent que si ça ne va pas, on peut aller aux urgences. Pour notre équipe c’est pareil, on revendique le fait de travailler les questions de soin sans l’hôpital, mais on sait qu’en cas d’urgence on peut y avoir recours. Or ce « recours » de l’hôpital n’était plus possible avec le Covid.
C’est la première fois qu’on a été contraint·es de travailler vraiment sans, ce qui a créé du remous entre nous. On a eu des craquages de personnes souffrant de troubles faibles mais dont la situation a dégénéré. On a dû revoir nos façons de travailler. Notre assistant social s’est beaucoup déplacé pour suivre les situations de plus près. On avait même des difficultés à contacter les psychiatres qui suivaient ces personnes car elles·eux-mêmes travaillaient par téléphone.
La pandémie nous a amené·es à identifier d’autres ressources sur le territoire que celles de l’ordre de la santé mentale ou de l’association de quartier, sur lesquelles on se focalisait habituellement. On s’est mis·es à chercher des points de repère et des escales possibles pour les personnes − des espaces, du calme, de beaux endroits. On a recomposé des cartographies existentielles et expérientielles.

L. B. : Les habitudes de travail ont explosé, laissant la place à un vide à cartographier. Chercher à refaire lien, à redonner du sens, telles étaient nos obsessions. On a créé un site internet reprenant des émissions de radio, des musées qui proposaient des visites en ligne. On a déplacé la sphère physique vers la sphère virtuelle tout en continuant à privilégier en interne le contact, la transmission. Nous avons gardé la bibliothèque ouverte, maintenu le bar à médiation culturelle, décuplé nos ateliers internes et avons continué à travailler même dans des périodes de l’année où nous sommes généralement fermés.

 

Vous avez parlé d’une attention plus sensible au territoire. Cette « posture » sensible, c’est aussi quelque chose qui s’est déployé pendant la pandémie ?

A. E. : Pour parler de l’expérience de la folie, de la maladie, on doit faire attention à notre lexique, aux mots qu’on emploie pour désigner les choses et même pour parler du virus car on a vu que la pandémie pouvait nous convoquer dans des situations angoissantes. Parallèlement, et c’est venu de nos balades, on s’est dit en effet qu’on devait faire des rencontres plus sensibles. Quand on se rencontre entre nous, membres qui nous croisons à un moment donné dans une activité, dans la cuisine ou lors d’un premier entretien, il faut garder en tête les individualités. Il faut rencontrer la personne face à soi et être dans une posture sensible de manière à percevoir les silences qui racontent des choses, aller explorer avec elle, sentir son territoire existentiel et pouvoir être chaque fois dans une rencontre qui laisse de la place à l’invisible. On a été questionné·es par les membres de notre équipe qui avaient une formation d’éducateur·ice spécialisé·e ou d’assistant·e social·e sur le fait que d’être cette posture sensible d’accueil ou de rencontre nécessitait de livrer beaucoup plus de choses de soi et de l’accepter. Cette posture ne va pas sans la question du dévoilement, mais elle permet de s’expérimenter dans ses limites et reste intéressante dans un espace comme l’Autre « lieu ». Et puis on a cette chance de pouvoir travailler l’individuel en parallèle avec le collectif et donc déplacer des choses qui émergent dans l’individuel vers le collectif et vice versa.

L. B. : Pour ma part, quand je suis en déplacement avec les équipes mobiles comme référent culturel, j’oriente mon travail en direction de la sphère culturelle, créative et artistique. On ne parle pas de ce qui ne va pas d’un point de vue psychique : on cherche à retrouver une respiration à partir de mon approche de référent. On parle des chemins et pratiques qui vont faciliter leur retour au domicile. Ma posture est par conséquent perçue comme une posture différenciée par rapport à celle de mes collègues soignant·es.
Durant la crise, nous avons gardé un contact avec mes collègues des services culturels extérieurs (centres culturels, bibliothèques, plan de cohésion sociale). Nous nous rencontrions dans un magnifique bois à côté de chez nous car se voir dans les bureaux n’était pas possible. Le fait de marcher nous a mis·es dans une posture différente, plus directe, plus familière en quelque sorte. Nous allions directement au cœur de nos préoccupations. Mais le fait de partager cette même instabilité professionnelle et sensible dans un espace hors bureau a donné à nos liens une force véritable et pérenne.

 

Dans vos pratiques, vous avez tou·tes les deux développé des relations plus individuelles avec les personnes avec qui vous travaillez. Est-ce qu’il n’y a pas du collectif à reconstruire à travers cette attention plus importante à l’individualité de chacun·e ?

A. E. : La question du collectif n’est jamais déconnectée de l’individualité. Ici on réunit des groupes, mais avec chaque personne du groupe on a des liens personnels, individuels, qui se jouent aussi dans les coulisses des activités. On est sur les deux pans, car ce qui nous intéresse c’est de travailler la question du lien sur un plan à la fois collectif et individuel et faire en sorte que la personne puisse être dans des liens plus sereins avec toutes celles et ceux qu’elle rencontre.

L. B. : Dans nos pratiques, je m’aperçois que je donne plus d’importance à la personne représentant l’institution qu’à l’institution elle-même. Aujourd’hui je discute avec Hélène et Aurélie et non avec Culture & Démocratie et l’Autre « lieu ». Il y a plus d’élans relationnels. À l’hôpital c’est la même chose, je travaille avec une personne et non avec un patient ou une patiente de telle ou telle unité.

Quen est-il des outils numériques que vous avez été contraint·es dutiliser davantage ? On connait les risques dune telle distanciation − est-ce que cela a permis néanmoins aussi une certaine ouverture, certaines inventions ?

On a dû faire une utilisation assez réfléchie de l’outil virtuel car pour certaines personnes qui fréquentent l’Autre « lieu », cela peut être source d’angoisse, de peur ou de dépersonnalisation. Ça nous a donné des orientations pour déplacer nos pratiques avec des personnes qui étaient déjà très esseulées, isolées, en repli. On était alerté·es par nos collègues psychologues qui nous disaient de faire attention avec telle ou telle personne qui avait l’impression que son écran lui parlait.
On a essayé à chaque fois d’adapter nos postures et nos manières d’être en contact avec les personnes de façon à ce qu’on puisse bénéficier de l’apport du virtuel tout en gardant sans cesse un lien avec le réel. Le virtuel ne doit jamais être la seule ressource, il doit y avoir quelque chose d’autre de plus ancré dans le monde. Dans ce sens on faisait parfois des tours en vélo pour saluer ou simplement déposer une carte postale chez une personne.

L. B. : Le virtuel a aussi une dimension intrusive. Lors d’une visioconférence, on est filmé·e avec une caméra plus ou moins bonne, qui ne nous met pas forcément en valeur, on est chez soi, sans far, et d’une certaine manière notre intimité est dévoilée à l’image : la maladie, la pauvreté, les problèmes de logement, de travail. Avec des personnes qui souffrent de pathologies dans lesquelles la notion d’ordre ou de propreté n’existent pas, même si à l’extérieur elles n’en laissent rien paraitre, le fait de poser une caméra chez elles rend tout cela visible, et cela peut accélérer leur problématique de santé mentale.
L’informatique ne fait pas peur aux gens qui en ont l’habitude et qui savent comment le gérer, faire attention à ces détails. Mais aujourd’hui certaines personnes n’ont pas forcément confiance dans le fait, par exemple, que l’image qui passe quand elles se connectent ne sera pas enregistrée et ne risque pas de les desservir. Il faut savoir que l’identité physique des personnes qui n’ont pas confiance en elles est très importante. Il existe d’ailleurs des ateliers d’esthétisme à l’hôpital ou à domicile qui visent à redonner confiance à ce niveau-là.

 

De tous ces bouleversements, clôtures, ouvertures, qu’est-ce qu’on garde ? Qu’est ce qui est à penser encore ?

A. E. : J’ai l’impression qu’avant on était dans des réflexes d’entretiens, on parlait plus de comment s’organisait le lieu et de ce qu’il était, de ce que la personne pouvait faire, le programme des activités, etc. Aujourd’hui, il me semble qu’on pense les choses différemment, de façon moins concentrée sur l’interne, sur notre lieu en tant que tel. Par exemple, on va plus facilement vers l’extérieur, un extérieur non conventionnel, un peu plus informel. On investit davantage d’autres espaces susceptibles de devenir des ressources dans notre quotidien. Je pense par exemple au terrain de pétanque du parc Royal près duquel s’est implanté Kiosk Radio ; on prend plus volontiers le café avec les voisin·es de l’Autre « lieu », tou·tes ensemble, sur le trottoir. On garde peut-être aussi en tête que ces espaces font soin pour nous lorsqu’on les vit dans une sorte de flottement, de temps disponible pour soi et les autres, en dehors des temps dédiés/programmés des activités ou des rendez-vous. Cela questionne notre rapport au temps, et particulièrement au rythme, au pouls de nos projets.

L. B. : On n’a pas besoin de la société et de ses éléments de culture pour être bien. D’ailleurs quand on me dit que la culture est essentielle, non, elle ne l’est absolument pas. L’acte de création est essentiel mais pas la culture comme on l’entend. Aucun·e spectateur·ice n’est mort·e de n’avoir pas pu voir un spectacle (je parle ici de la posture du spectateur ou de la spectatrice, pour les créateur·ices c’est autre chose, bien entendu). Par contre couper les gens d’actes de création, que ce soit le jardinage, le sport, la culture, ou même juste imaginer comment ils peuvent aller mieux, ça par contre, ça a créé des dégâts. En se posant cette question-là − comment je peux aller mieux ? −, j’amène la question des outils que je vais devoir développer, des relations que je vais devoir entretenir, des institutions que je vais devoir connaitre. Et pendant la crise, il n’y avait plus rien.
L’absence de temps − de temps de création, de temps de relations en général − est l’une des choses qui pour demain devront être repensées. Avec le numérique, force est de constater que certaines réunions qui duraient parfois trois heures se font beaucoup plus rapidement : on a perdu du relationnel mais on a gagné du temps. Reste à se poser la question : notre temps relationnel, institutionnel ou inter-institutionnel est-il bien exploité ? Et puis, de cette heure trente gagnée, ne peut-on pas retrouver ces instants sensibles que nous partagions entre nous et qui nous donnent le sens et l’énergie d’aujourd’hui ?

 

Pourriez-vous développer cette question du rapport au temps que vous évoquez tous les deux ?

A. E. : On s’est posé la question du temps en nous penchant sur des cartographies classiques, ces cartes routières qu’on trouvait fort vides. On s’est dit que ce serait intéressant de penser le temps plutôt sur le modèle de nos balades photographiques. Non pas comme quelque chose d’horizontal et linéaire, une ligne du temps qui va de gauche à droite, mais plutôt avec une vision plus verticale, une superposition de couches qui permettent à chaque fois de faire infuser un nouveau contexte, un milieu qui nous permet de vivre et d’être dans un autre rythme, de réfléchir la temporalité autrement.  Cette idée de couches successives héritées du passé qui font qu’à un moment donné, des choses ont infusé et font partie de notre présent avec lequel on doit composer, elle nous a aidé·es −  nous travailleur·ses et membres − à penser différemment le rythme, le temps et tous les éléments historiques de nos vies et de la vie culturelle et sociale au sens large, à intégrer ces éléments à nos vies, à tout remêler, à composter.
Souvent on parle de « régularité » dans notre secteur, mais c’est une notion très extensible. Si quelqu’un ne vient pas tous les jours mais une fois toutes les trois semaines, c’est une forme de régularité, de présence et de continuité même si on peut estimer le contraire. En portant notre attention sur les objets, les outils de base qui nous servent à nous repérer − comme la ligne du temps −, on peut questionner notre usage du monde.

L. B. : À l’hôpital, on a une expérience différente. Le temps n’est pas le temps, et le quotidien n’en est pas un. Dans un hôpital de jour, les personnes gardent la temporalité liée au domicile (se lever, se déplacer, venir à l’hôpital de jour, rentrer, etc.). La chronologie de la journée n’est pas trop bousculée. En cas d’hospitalisation en revanche, la chronologie est régulée par les levers et les couchers, et entre les deux les interventions, les soins, les ateliers, etc. Le temps à l’hôpital est découpé en blocs qui correspondent non à des mois, des semaines, etc., mais à la durée de de l’hospitalisation des personnes.
Avec la pandémie, mon organisation temporelle a changé. Habituellement, elle est liée au déplacement. Mais pendant le confinement, je ne pouvais plus aller au domicile des personnes, je n’avais plus d’interaction avec les partenaires, et j’étais donc presque tout le temps à l’hôpital. Tout d’un coup, j’avais du temps, et je ne me souviens pas de quoi je l’ai rempli. Le temps des ateliers et un continuum de « présent », ce sont les projets qui créent du rythme en nous mobilisant parfois sur plusieurs semaines. Mais avec le confinement le temps devient presque éternel, et notre travail devient, en quelque sorte, de trouver comment faire vivre l’éternité.
Sans projet, le temps s’accumule et s’étire. Quand vous êtes en souffrance, cela est d’autant plus flagrant et affligeant. Être en mouvement, en mouvement dans un projet, en être responsable ou simplement responsable de son engagement, être en création, dans un processus qui donne de la magie au non réel, telle est la solution de beaucoup d’entre nous pour viser son équilibre émotionnel.

Image : © Benjamin Monteil

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Les Projets 107 s’inscrivent dans la Réforme globale des soins en santé mentale. Ils visent la mise en place d’une offre de soins en santé mentale plus cohérente et accessible par la réalisation d’un réseau de partenaires et de circuits de soins, permettant le maintien des personnes dans leur tissu social d’origine et la préservation de leur autonomie. Cf. Ouvrage collectif, Pour une approche terminologique des champs médicaux, culturels et sociaux. Thesaurus, 2015.

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