Tribune de l’association Culture & Démocratie − À propos des fermetures culturelles décidées par le CODECO du 22 décembre 2021

27-12-2021

Culture & Démocratie se joint à l’indignation et aux protestations de multiples associations, fédérations et acteurs culturels contre les fermetures imposées par les gouvernements représentés au CODECO du 22 décembre.

Culture & démocratie partage les termes de l’indignation exprimée dans son avis d’initiative, à l’unanimité, par le Conseil supérieur de la culture, le 24 décembre : « […] mépris, discrimination et maltraitance sont imposés aux secteurs culturels, artistiques et socioculturels […] ».

Culture & Démocratie est pleinement solidaire des actions en justice entreprises par la Ligue des droits humains, la Fédération des employeurs des arts de la scène et diverses associations et organisations.

Culture & Démocratie est pleinement solidaire des acteurs culturels qui maintiennent ouverts les lieux de culture.

Culture & Démocratie est pleinement solidaire des artistes et technicien·nes qui résistent et survivent, malgré tout.

Nous tenons à souligner la gravité de la décision du CODECO, sous l’angle de la démocratie, d’une part, et de la culture d’autre part, et des liens entre la culture et la démocratie, enfin.

 

DÉMOCRATIE : le pacte fondamental qui lie, en démocratie, une population à ses représentant·es repose sur la confiance : la transparence et la publicité des décisions et des faits, arguments et valeurs ayant fondé ces décisions en sont les conditions essentielles.

Celle-ci suppose trois conditions essentielles :

1/ L’identification de l’autorité qui prend une décision
Ce n’est pas le cas ici, le Premier ministre faisant référence au consensus de l’ensemble des gouvernements représentés au CODEDO alors que différents membres de ce même CODECO affirment s’être opposés à cette décision. Qu’est-ce qu’une décision au consensus ? Qui décide ? Comment décide-t-on ?

2/ L’argumentaire raisonné et étayé par des faits sur lequel s’appuie cette décision, en particulier quand elle limite ou empêche l’exercice d’un droit fondamental, celui de participer à la vie culturelle, et, par conséquent, l’ensemble des droits culturels des populations.
Ce n’est pas le cas ici : quelles sont les raisons qui ont pu conduire à une telle absence de justification et de proportionnalité ?

3/ Le contrôle parlementaire : déjà limité au contrôle a posteriori, vu le régime d’exception dans lequel cette décision est prise, comment imaginer exercer ce contrôle si la responsabilité de la décision n’est pas clairement identifiée ? Comment évaluer l’opportunité de suspendre, de prolonger ou d’abroger cette décision, si les raisons sous-jacentes à la prise de décision ne sont pas connues ?

 

CULTURE : la conception de la culture qu’exprime cette décision confine la culture aux loisirs, à la distraction, à l’accessoire, au superflu.

Par contraste, on notera que l’activité commerciale marchande des grandes surfaces est jugée essentielle. Cette discrimination est plus qu’inquiétante, s’agissant des plus hautes autorités de l’État. Ce défaut d’équité n’exprime-t-il pas le primat donné aux activités marchandes, réputées productrices de richesses, et le mépris pour les activités non-marchandes, telles la santé et la culture, réputées productrices de dépenses et de coûts ? Qu’est-ce donc que cette richesse-là ? Quel est le sens de ces dépenses-là ?

Dans quelle inculture agissent ces autorités pour ignorer que l’exercice des droits culturels de la population est ce qui permet aux personnes, seules ou en commun, d’exercer l’ensemble des droits humains ?

Ignorent-elles donc, ces autorités, que cet exercice des droits fondamentaux est ce qui fonde la construction de la subjectivité, la formation d’une identité, l’expression de son humanité, sa vision de la société et le sens de son existence et de son développement ?

Ne perçoivent-elles pas, ces autorités, que l’exercice de ces droits est d’autant plus crucial que la pandémie et les confinements de la vie économique, sociale, culturelle, et politique qui s’ensuivent altèrent déjà grandement les principaux déterminants de la santé mentale des personnes ?

Ignorent-elles, ces autorités, que ces risques sociaux multiplient et aggravent les inégalités sociales déjà trop profondes ?
Ne comprennent-elles pas, ces autorités, que la résilience des populations est liée à l’exercice des droits fondamentaux ?

 

LES LIENS ENTRE CULTURE ET DÉMOCRATIE

La démocratie n’est pas qu’un régime, ou plutôt ce régime repose sur des sentiments d’appartenance et de représentation, de confiance et de respect qui forgent des liens puissants permettant aux deux faces de la représentation d’être légitimement portées l’une par l’autre.

Pour qu’une représentation du peuple par ses représentant·es soit légitime, il faut que les actes du gouvernement soient effectivement contrôlés par ces (ses) représentant·es ; ceci suppose une délibération argumentée et raisonnée autour de décisions dont la responsabilité soit identifiée. Nous avons vu que ces conditions ne sont plus réunies ici.

Mais, plus profondément, pour qu’une représentation (délégation) du peuple soit légitime, il faut que les visions du monde des un·es (peuple) et des autres (représentant·es, ici les gouvernements réunis en CODECO) soient explicites, permettant de distinguer raisonnements factuels et jugements de valeurs. C’est cela qui permet le conflit, instruit la délibération en connaissance de cause, facilite l’éventuelle négociation, et in fine, fonde la légitimité de l’arbitrage démocratique.

Nous ne nous sentons pas représenté·es par des gouvernements dont les décisions sont confuses, dont les raisons sont inconnues, dont la vision du monde, ne parait même pas questionnée.

Ceci n’est que l’amorce, un peu tardive, d’un conflit plus large et plus profond à propos des fondements de la vie en commun dont l’expérience quotidienne, notamment culturelle − dans l’espace public comme au théâtre −, est pour chacun·e le vivier dans lequel vit ou meurt le désir démocratique.

L’accoutumance à l’isolement social, notamment par le télétravail contraint ou les restrictions d’accès aux terrasses, devient le trait commun à la gestion de la pandémie. À persévérer dans cette direction sans horizon, privé·es d’expérience commune du monde, du lien et du commun, nous ne serons bientôt plus démocrates.

Pour ces raisons, Culture & Démocratie exige l’annulation des fermetures culturelles imposées à l’occasion du CODECO du 22 décembre 2021.

Au-delà, Culture & Démocratie estime qu’il est indispensable de se retrouver, au lendemain des réouvertures culturelles conquises, pour penser une démocratie plus continue, plus élargie, plus profonde, plus cultivée, à la hauteur des exigences de la complexité des défis de l’époque et des transitions écologique et démocratique à conduire : un nouveau régime de démocratie culturelle.

 

Pour l’association Culture & Démocratie,

Laurent Bouchain, Vincent Cartuyvels, Luc Carton, Sabine de Ville, Bernard Foccroulle, Irene Favero, Pierre Hemptinne, Sébastien Marandon, Catherine Vanandruel

Articles Liés