Un musée itinérant pour dire l’exil

Daniele Manno, artiste, est membre fondateur du collectif Medex

25-09-2016

Le Musée éphémère de l’exil, Medex, est un jeune collectif d’artistes issus de diverses disciplines qui travaille la question de l’exil – qui dépasse celle de la migration – avec des primo-arrivants dans le cadre d’ateliers d’écriture installés à Bruxelles. Cet article revient sur la genèse du collectif et sur quelques fondamentaux qui guident son action.

 

Octobre 2014, pour Sara et moi commence une aventure qui va changer le cours de nos parcours artistiques. Nous entamons une collaboration avec le musée des Lettres et Manuscrits de Bruxelles en vue de la Museum Night Fever de mars 2015. Le musée se situe au centre-ville, dans l’un des plus célèbres passages de Bruxelles, et la thématique dont nous serons amenés à parler nous semble riche de perspectives.
Voici le point de départ de nos recherches artistiques et pluridisciplinaires : le musée présentera à cette occasion des manuscrits de Victor Hugo en exil, des textes poétiques qui ont été parmi les plus riches de toute sa production.
Notre choix est fait : l’exil d’aujourd’hui, vu sous un œil poétique, sera notre matière de travail. Nous partons alors à la recherche des nouveaux Victor Hugo et le chemin nous conduit directement au Petit Château, un des centres d’accueil pour les demandeurs d’asile de Bruxelles. Nous présentons l’idée de monter un atelier d’écriture durant une réunion avec des réfugiés y résidant et aussitôt nous commençons à travailler. Un groupe, « Les poètes de l’exil », se constitue, avec lequel nous réfléchissons, écrivons et dessinons.

J’écris ce qui reste de ma nécessité de vivre.
J’écris le besoin d’être compris par les autres.
Je crie des flèches arrondies par le vent.

Je saute sur l’idée jamais domestiquée,
sur le voyage qui demande à être vécu.
J’écris mon chemin à force de chutes,
de rires, de larmes, d’outrages à soi.

Anonyme

La poésie se mêlant à l’exil de chacun réussit à faire surgir des sentiments frissonnants, riches : un chemin verbal qui accompagne le chemin vécu, l’abandon de sa terre et de ses chers. La poésie – elle aussi en exil de nos jours – envahit le centre d’accueil et s’offre aux résidents comme une opportunité de se décrire autrement que sous l’aspect bureaucratique des interviews – machinerie kafkaïenne –, proposant une autre forme de textualité, un exercice de liberté dans lequel on se soucie de soi, où l’on se rencontre. Mustafa, Mohammed, Emil, William et tous les autres poètes commencent à se souvenir, à prendre la parole. Ces moments de rencontre les amènent à poser des questions à la poésie, à l’envisager comme un outil pour prendre la parole afin de raconter différemment les choses, d’exprimer une voix moins audible.
Et puis, il y a les dessins. Au processus de création textuel, nous associons une véritable recherche sur l’illustration. Cette dernière extrapole le message textuel et le complète d’une autre façon. Elle ajoute de nouvelles perspectives à cette mosaïque de voix que l’on veut la plus vaste possible.

Now is not possible. You must make an appointment.
Monday. Tuesday. Lundi. Mardi.
Twenty minutes. We can’t allow more.
That’s how it is. That’s how we live.
Look I can fit you in on Friday week.
Three fifty five till quarter past four.
Don’t be late. Don’t make me wait.
D’you understand? Now close the door.
What do you say? You need more time
to find the words. Explain who you are.
I am not what you think.
It’s not what it seems.
It’s another story I am trying to tell.
I’m sorry but I don’t have time for this.
You’ll have to come back. Next month.
Next year. We’re completely booked up.
Run off our feet. There’s no more space.
Can’t you see how busy we are?

Sarah

Vient décembre 2014. Je reçois un appel de la part du responsable du musée, qui annule notre collaboration. Le musée est sous scellés pour fraude. Nous ne savons pas comment réagir à cette nouvelle. Arrêter notre projet ? L’idée nous semble bien plus absurde que celle de devenir nous-mêmes un musée. Un musée éphémère, clandestin. Un musée de rue. Tout le monde s’est enthousiasmé à l’idée, même les organisateurs de la Museum Night Fever qui ont décidé de nous soutenir dans ce pari. Nous décidons de rester dans le passage où se trouvait le musée, d’y monter notre exposition, visible le temps d’une nuit.
Depuis cette première action, nous organisons, avec Les poètes de l’exil, des ateliers d’écriture. Nous montons ensemble nos expositions. Nous faisons tout notre possible pour tisser avec eux des liens humains et faire de l’art un prétexte à la rencontre, à la découverte. Ainsi est né le projet d’un musée sans lieu fixe, sans heures d’ouverture, qui se déplace dans Bruxelles ou ailleurs.

My darling…
if they, one day, ask about me
Never think too long…
Say to them…
he loves me… loves me too much
if they blame
you…
how did you cut your long hair…? Which was flying like
Summer… distributing…
Shadow and light
Say to them :
I cut my hair to
whom I do love
as he loves it
cut short…

Mohammed

Comment dire l’exil ? Comment faire honneur à ces récits récoltés en confiance ? Comment les transmettre ? Nous rencontrons des gens qui ont une histoire riche et puissante, une histoire qui est comme une œuvre. En les écoutant, en voyant leurs gestes, j’ai toujours pensé aux hommes-livres décrits par Bradbury dans Fahrenheit 451, ces gens qui gardent un récit en tête et arrivent à le faire vivre d’une façon très poétique.
C’est notre objectif : mettre les primo-arrivants en confiance, leur fournir des outils artistiques, partager leur histoire, leur prêter oreille, yeux, bouche, mains. Susciter une parole d’hommes et de femmes et non une parole de réfugiés.

Mon monde
Au fleuve qui coule lentement
Où tu peux écouter les mélodies du vent qui souffle
Mon monde avec ses arbres qui longent la rive
Qui lui donne une verdure impeccable
Où viennent chanter les oiseaux
Mon monde avec ses cases rondes en paille
Bâties en bambou
Mon monde avec ses puits bien profonds
Où viennent s’approvisionner ceux qui ont soif
Mon monde avec son ciel bien ensoleillé
Voici mon monde

Djena

Nous avons toujours manifesté une énorme méfiance à l’égard de la façon dont, médiatiquement et parfois artistiquement, on parle de l’exil et des réfugiés. Dans le discours médiatique, on sent l’intention de caricaturer les événements pour faire émerger la peur et in fine la haine envers la diversité ou bien, au contraire, pour susciter de la pitié.
Souvent, les visiteurs des expositions sur le thème de la migration se trouvent devant quelque chose qui est présenté de manière à les faire se sentir coupables d’indifférence. On leur donne la possibilité de se laver la conscience avec trois larmes et un don caritatif.
Nous entendons nous servir de l’art autrement. Dans notre musée, le visiteur doit ravaler ses larmes et réveiller sa curiosité. C’est au niveau des sourcils qu’on situe notre travail sur le spectateur. Nous voulons l’étonner, le bouleverser, le mettre mal à l’aise, le faire rire et réfléchir. Nous voulons susciter un sentiment d’empathie et d’égalité. Nous ne voulons pas parler des « pauvres malheureux » qui doivent être aidés, mais de Mustafa et Abdoul, nos nouveaux amis poètes. Le visiteur, en sortant, porte en lui de nouvelles informations, mais aussi et surtout une nouvelle manière de concevoir les choses.
Nous refusons d’exposer des photographies et ce, notamment, pour ne pas tomber dans le pathos des images médiatiques déjà présentes dans les esprits lorsque l’on parle des réfugiés. Le trop réel des récits des primo-arrivants doit trouver un point de fuite que la photographie ne peut, selon nous, offrir.
Notre travail d’illustration accompagne la dynamique des ateliers d’écriture et la soutient. Parfois, une histoire est illustrée avec le portrait de celui qui la raconte, parfois ce sont des images oniriques, plus distanciées, qui prennent le dessus. L’importance de la fiction comme manière de réinventer les histoires est l’un de nos critères principaux. La poésie ne doit pas se rendre à l’évidence. Elle peut imposer une nouvelle lecture, mille commencements s’ouvrent à tous.
Au Medex, l’acte poétique représente le carburant de tout ce qui vient ensuite, après les séances communes d’écriture : illustrations, expositions, performances, interactions avec le public. Tout cela est le fruit d’un travail de recherche poétique.

Je ne suis plus moi-même.
Je ne parle plus comme avant.
J’ai une histoire.
Mais quand tu perds ton pouvoir,
Tu perds ton histoire.
Quelqu’un demande au mulet « Qui est ton père ? »
Il répond mon grand-père est un cheval.
Mais quoi que tu fasses
Qui que tu sois
Que tu sois populaire ou non
Tu es un humain.
Avant tout et principalement
Un humain.

Anonyme

L’homme a toujours voyagé. Nomade, il s’est déplacé et sa richesse dérive de la rencontre, de l’échange et du mélange des savoirs de tous les horizons. Notre travail est de stimuler le partage, de créer un tissu social capable de fonctionner comme un réseau, d’être vecteur de nouvelles identités collectives.
Le Medex travaille principalement avec des primo-arrivants accueillis au Petit Château : il s’agit des personnes arrivées en Europe depuis moins d’un an qui sont dans l’espoir de voir leur demande d’asile acceptée. Nous cherchons à créer un réseau à l’intérieur duquel elles peuvent se sentir faisant partie d’un groupe. Ce qui nous importe vraiment, au fond, c’est de réussir à entamer un processus de reterritorialisation avec des gens qui sont laissés dans un état d’attente prolongée.

Les poèmes cités dans cet article font partie d’un recueil qui a tenu lieu de catalogue à une exposition du Medex au Bip.brussels en mars 2016.