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Dossier

Un pont entre l’Afrique et l’Occident

Keita Takei
Musicien

07-03-2019

La première fois que j’ai pu me produire en Belgique, c’était quand j’ai été l’initiateur du concert des résidents du centre d’accueil où j’ai séjourné pendant ma procédure d’asile. Un journal a parlé de l’évènement, cela m’a donné une visibilité et de fil en aiguille j’ai été recommandé pour devenir le chanteur du groupe Rio Fatala.

Ensuite, en 2006, j’ai intégré Globe Aroma, qui était alors en pleine promotion de son premier album, dans laquelle me suis investi. De 2006 à 2008, j’ai assuré la partie musicale du projet Table Cuisine qui a tourné à Bruxelles et en Flandre. C’était un projet socio-artistique avec Globe Aroma et les résidents du Petit Château, où les cuisines du monde, des textes et de la musique étaient intégrés autour d’une table tournante. J’ai aussi donné un concert pour la Fête de la Musique en 2006, puis le parcours a continué : j’ai fondé différents projets musicaux . Aujourd’hui, je me produis moi-même (Ta Yeye Productions), je réalise mes propres clips et  je viens de sortir mon tout premier EP, « Sur le Chemin » (justement !). Il est disponible sur SoundCloud et Youtube au nom de Keita Takei.

En ce qui concerne mon actualité,  je suis aussi en train d’écrire un conte musical. C’est un processus difficile. J’ai déjà avancé beaucoup sur le projet et j’ai eu des partenaires artistiques, mais très vite je me suis senti utilisé… Je me suis souvent senti comme une personne bête. Je vois beaucoup d’artistes qui se sentent perdus et n’osent pas demander de l’aide par peur que leur projet ne soit récupéré. Aussi, pour être rémunéré comme les autres, ce n’est pas évident.

Ma musique oscille entre tradition africaine et culture hip-hop. Ma thématique centrale est la paix, mais ce message n’a pas toujours bonne presse. Je n’ai pas de tabous dans mes textes. J’aborde les souffrances des gens parce que ce sont des réalités que je constate, en Europe comme en Afrique, mais je ne pointe pas de responsables car je ne veux viser personne : mon but est la paix, pas la division. Par contre, pour certains sujets comme l’immigration, j’avoue que je me cantonnerai à des aspects généraux parce que mon vécu est trop sensible. J’ai vu trop de gens en souffrir.

La colonisation et la décolonisation sont des sujets un peu délicats à aborder parce que les Européens de ma génération ne sont pas conscients de ce que c’est. Ils ne les connaissent qu’à travers les médias – ou essentiellement –, et si on ne les a pas vécues ou si on n’en a pas été témoin, on ne peut pas être vraiment conscient de la souffrance engendrée. Eux ne croient pas que cette souffrance ait pu être telle, ils ne peuvent pas la concevoir.

Malgré tout, je suis certain que l’Europe et l’Afrique ont besoin l’une de l’autre : c’est cela l’avenir.  C’est ce va-et-vient, ce pont entre l’Afrique et l’Occident que me permet aussi la musique à travers l’entraide aux artistes qui passent par les mêmes étapes que moi. Très tôt, j’ai été sollicité pour donner mon avis sur les nouvelles chansons de ceux qui m’entouraient. J’assiste  à leurs répétitions, je les accompagne en studio, j’assure la deuxième voix dans leurs chansons, je fais leurs arrangements et retravaille leurs textes.

Les artistes rencontrent une multitude d’obstacles en Belgique. Ils ont peur et les aspects administratifs, comme par exemple la Sabam, sont très compliqués. Il faudrait un accompagnement et ceci n’est pas donné par les institutions artistiques non plus. C’est une erreur qu’en Belgique la culture ne soit pas représentée par le niveau fédéral. Sur le terrain, il y a un manque de soutien aux artistes et cela nous empêche de bien développer nos projets artistiques.

Avec les plus proches, on s’entraide pour la logistique lors de nos concerts mais on s’invite aussi sur scène dans nos concerts respectifs pour partager la visibilité. J’ai commencé à organiser des concerts, pas seulement pour moi mais pour nous tous. La première édition, « Le Chemin du Destin » a eu lieu en avril dernier.

 

SUR LE CHEMIN

N’akhè dounya Amikhilokhinantoman

yakha nondi mikhilokhinantoma

eh! nakhantounou ah! naansiga!!!

yakha nondi khoyènanssènèma

ah! woniyalinakhènassènè

ha! aha woniyalinakhènassènèha!

***

Je remercie ceux qui m’ont soutenu des moments difficiles

ah, c’était des moments inoubliables.

quand j’étais malade, il m’ont soigné ;

quand j’étais perdu, il m’ont aidé à me retrouver.

Ils m’ont donné un toit, un petit lit et un petit plat allako n’khalouga

nondi natèmoui fémounoulankhi,

n’yèrèma noyé dans mes pensées et rien dans la poche.

Dans ma tête, trop de fiction.

Aujourd’hui, je m’amuse, j’ai la force de me contenir

quand je pense à mes souvenirs

et je regarde ce beau monde avec, avec, avec le sourire… hahaha !!

***

inoubiyassimah ikélimanè plustot,

issigama dindinkhain ikhasona plustot.

Mais loin des miens, perdu sur le chemin,

le téléphone est le seul moyen de contact, allô allô !

je suis différent, mais fier, seul quand je marche parfois tête tournée,

pour éviter les têtes qui font la gueule.

d’autres me traitent comme si j’étais bête.

qu’est-ce qu’il faut dans un beau pays !

qui m’a pourtant beaucoup donné…

Sur la route J’ai croisé la haine, la rancœur, la colère

j’ai vu l’injustice, le racisme, l’ignorance et la vengeance

et je les ai ignorés au profit de l’amour… de l’amour !

Souvent j’ai plus de mots, même au moment où il faut…

j’ai choisi de me taire pour ne pas tomber dans la violence,

avant de prendre position, je me suis posé la question,

oui la solution : je me suis lancé dans la chanson.

Je suis un artiste, pas un homme triste,

je suis un artiste pas égoïste,

Heyi  je ne kiffe pas les hypocrites.

Je fais de la musique ça fait partie de ma vie, au fond de ma musique, c’est le travail, l’amour, le respect, le partage ;
on échange mon style, mon flow avec ma mélodie… viens ?

Viens ?

Je dis viens.

Qu’on s’amuse,

viens, viens qu’on s’amuse !

 

 

Image : © Emine Karali