Journal - 54

Temps

En mars 2020, la crise sanitaire a imposé une décélération inédite, une suspension du temps social, économique et culturel, bouleversant le temps collectif tout autant que le temps individuel. La possibilité d’une prise de recul par rapport à nos rythmes de vie habituels a-t-elle inauguré une réflexion sur notre rapport au temps ? Avons-nous vécu ce qu’Hartmut Rosa appelle « un moment de résonance collective nous offrant la possibilité de nous transformer et de transformer le monde social » ?

Si la vie humaine se structure autour de durées (ou temporalités) différentes – sociale, économique, individuelle –, celles-ci s’entremêlent et parfois s’opposent. L’individu contemporain semble centré sur l’instant tandis qu’une accélération continue s’impose à lui dans tous les domaines comme si nous vivions une saturation inédite du « maintenant », doublée d’une injonction permanente à l’adaptabilité. Pour Hartmut Rosa, à aucun niveau, nous n’avons de prise sur cette accélération et « nous détruisons ainsi notre capacité à nous approprier le monde, à être ému et à développer une résilience. » Dès lors, nous pensons difficilement le long terme, et en particulier les dérèglements climatiques. Ce que notre temps abîme c’est un rapport sensible au monde, une façon de le mettre en forme en s’y attachant. Hannah Arendt ne dit-elle pas que la culture est ce qui mérite qu’on s’y attarde ?

Le philosophe Bernard Stiegler voit dans la succession effrénée d’innovations technologiques une déstabilisation permanente qui court-circuite systématiquement nos possibilités de socialisation, de délibération et d’élaboration de savoirs, conduisant à ce qu’il appelle une « absence d’époque », un moment où nous ne partageons plus d’horizon commun vers lequel tendre collectivement. Temps disloqué peut-être, temps du déni, où les urgences − celles des vies sacrifiables et d’une catastrophe annoncée − semblent être sempiternellement reculées au nom de l’absence d’alternative.

Comment les développements technologiques ont-ils modifié notre rapport au temps ? Comment reprendre en main la globalité numérique ? Que faire contre le sentiment d’urgence et de retard permanent ? Qu’est-ce que le temps du travail ? Le temps du care ? Le temps peut-il être un outil de lutte ? Quelles pratiques de la lenteur observe-t-on ? Comment préserver, renforcer le temps lent des récits et de l’imaginaire ? Que devient le temps de la création, de la production, de la diffusion d’une œuvre d’art dans le contexte de la pandémie ?

À l’heure où le temps du marché rythme à nouveau nos vies, ce dossier propose de réinterroger, sous des angles résolument multiples, le rapport au temps de notre société post-moderne.

📻 👂Une émission de radio a été co-réalisée avec Radio Panik pour la sortie du Journal : « L’Emploi du temps »

Cliquez sur les titres pour accéder aux articles